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Budget et politique économique en Algérie (2e partie et fin)

mercredi 30 juin 2004, par Hassiba

Dans un ouvrage intitulé Economie du secteur public, Gérard Bélanger(6) justifie les fondements de l’intervention de l’Etat, au Canada, par les différences fondamentales entre les entreprises publiques et privées, le financement de la santé, de l’université, le transport et son rôle dans l’aménagement du territoire(7), la pollution, la rentabilité des dépenses, notamment des dépenses de santé, les politiques du logement, l’avenir des régimes de retraite publics, le financement communal et la décentralisation du secteur public (pour booster les finances locales) et enfin les politiques de stabilisation économique.

L’économie du secteur public :
Il relève une observation de taille qui peut bien s’appliquer à l’économie algérienne, si nous voulons faire l’effort de raisonner : pourquoi un budget croissant pour des services constants ? Pour notre cas malheureusement, les services sont en décroissance alors que les budgets de ces services sont gonflés d’année en année, sans qu’on perçoive la moindre évolution (compte tenu de la dévaluation du dinar qui est venue mélanger toutes les cartes). Et ça doit inquiéter qui de droit. La mauvaise gestion se finance par nos contributions fiscales et parafiscales et c’est dommage parce que c’est du gaspillage irrécupérable à long terme. Du reste, a-t-on jamais récupéré une ressource gaspillée ? L’une de ses explications qui a retenu notre attention est la question des financements ou l’importance des règles de financement. _ Comme le note Shultze(8), l’absence d’indicateurs de performance (d’activités ou de résultats) a deux conséquences :
 La première est la propension de l’autorité centrale à établir un contrôle détaillé et tatillon de l’usage des différents inputs (un contrôle de destination seulement).
 La deuxième est que les individus comme les institutions éprouvent toujours la tentation de minimiser les risques (absence d’évaluation financière, comptable ou autres). Cela pour dire que l’autorité peut infléchir l’activité des institutions sous sa responsabilité, en développant des règles de financement favorisant la recherche de l’efficacité chez les administrateurs des organismes publics (instauration d’une prime à l’efficacité et sanction cas contraire bien sûr). Dans le système budgétaire algérien, hérité de l’époque coloniale, l’administrateur d’une institution a presque toujours avantage à dépenser le plus possible. Car une règle archaïque du droit budgétaire veut que le surplus qu’il peut réaliser lui soit à tout jamais confisqué. De là les fonctionnaires algériens, à l’instar de leurs collègues d’outre-mer par le passé, ont consacré la règle qui dit : « Un bon gestionnaire, c’est celui qui consomme entièrement son budget. » Ce qui n’est ni juste ni faux mais nous vous épargnons ce débat tout en affirmant que dans le contexte économique algérien, cette règle est fausse et source de gaspillage non évalué à ce jour. On peut ajouter d’autres fondements de l’intervention multiple et variée de l’Etat pour exhorter nos administrateurs à remplir correctement leurs missions sans se soucier des retombées idéologiques :
 1- Les défaillances du marché : seulement la présence d’imperfections dans les marchés ne doit pas conduire à une substitution du gouvernement mais plutôt à une action complémentaire.
 2- Le jeu politique démocratique : il faut comprendre le marché politique pour comprendre l’omniprésence gouvernementale. C’est à qui faire incliner les décisions politiques en sa faveur. Il y a un sérieux problème, c’est que le jeu politique entraîne des politiques économiques inefficaces (citons le cas absolument fantastique de la suppression de l’importation des alcools avant -8/4 et leur prochaine autorisation post -8/4 ? sur injonction de l’UE).
 3- Les conflits d’intérêts : nécessité objective de les réguler à défaut subjectif de les supprimer.
Le problème en Algérie est de savoir si l’intervention de l’Etat aux défaillances du marché n’est pas elle-même défaillante au regard des prescriptions : conditions de l’efficacité, vérité des prix et des salaires au lieu de subventions ou interdictions réglementaires, concurrence et choix au lieu de monopole de fait ou cartellisation. Une chose est certaine : l’intervention de l’Etat n’est pas toujours efficace ; on s’explique mal dans de nombreux pays d’ailleurs l’inefficacité des mesures publiques du point de vue économique. Pourquoi y a-t-il si peu de politiques publiques qui répondent aux conditions de l’efficacité ? La corruption peut et ne peut tout expliquer, l’absence de stratégie et de vision, si. On s’étonne que ce soit le patronat qui demande la hausse des salaires !

La réforme financière et budgétaire en cours : jeux et enjeux
Dans un pays comme le nôtre, dominé par des vents contraires, soufflant au gré des turbulences politiques, les enjeux d’une réforme financière et budgétaire ne sont pas simplement d’ordre technique. Le rôle de l’Etat y est dominant, le secteur public économique demeure la panacée à l’absence d’un secteur privé fort drainant les flux financiers et l’épargne pour créer de la richesse, de l’emploi, donc de la croissance. Les équilibres des marchés concurrentiels n’existent pas.
Toute la théorie économique du XXe siècle accorde une place prépondérante à l’Etat en raison du marché du travail (chômage et justice sociale) et de l’inflation (création monétaire). Mais elle insiste sur son rôle limité en économie de marché. Les prix, le salaire d’équilibre doivent être laissés au marché(9).
On parle de « nécessité regrettable » s’agissant de la présence de I’Etat, dans la théorie néoclassique. En quoi la réforme peut être avantageuse pour l’économie nationale ? C’est au développement des marchés financiers qu’elle doit accorder la plénitude de ses moyens.
D’abord par marché, notion abstraite en finance, l’Etat ne doit pas nécessairement conférer une existence juridique à tous les acteurs(10) par ure excessive réglementation. On est passé de la notion de « marché au comptoir » à la notion de « marché au téléphone »(11). Le marché au comptoir se suffit d’un groupe de négociants et d’un réseau de communication pour exister. Un marché qui a besoin d’une structure, de personnels et de règlements, de clients attitrés et lieu de rencontres officiel ne peut être que la Bourse.
Cette dernière est la plus connue des marchés financiers. Mais des capitaux plus importants circulent et peuvent circuler en dehors de la Bourse sans remettre en cause :
 Le marché monétaire : fonction de satisfaction des besoins de liquidité des agents économiques.
 Le marché des capitaux : s’attribue toutes les transactions qui ne le sont pas au marché monétaire.
 Le marché financier : comprend les deux premiers.

1- Le marché monétaire
Ici s’échangent des titres à revenu fixe très liquide à échéance de trois années maximum. Les principaux agents économiques sont le gouvernement, la Banque d’Algérie, les banques, les courtiers en valeurs mobilières, des sociétés commerciales, industrielles et financières. Il existe un marché primaire et un marché secondaire. Il s’agit pour la réforme en cours de développer l’épargne, l’appel public à l’épargne, le financement commercial à crédit de court terme, etc.

2- Le marché des capitaux
Ici s’échangent les achats et ventes d’actions à échéance supérieure à trois ans. Une transaction du marché primaire (ventes au public, ventes privées) est dite lorsque le produit d’une vente de titres est remis directement à l’entreprise qui l’utilisera pour financer ses activités. Une transaction du marché secondaire (Bourse et marché au comptoir) est dite à propos d’un échange de valeurs entre deux épargnants qui n’en sont pas les émetteurs. La Bourse étant le marché secondaire le plus prestigieux. Nos journaux, à l’instar de ceux des pays à économie ouverte, devraient accorder leur attention aux activités de la Bourse algérienne, même si cette dernière ne brille pas en raison de la concurrence des marchés informels. Il ne faut pas se leurrer : tant que ces marchés continueront d’exister, avec le silence coupable de l’Etat et de ses acteurs, ils draineront la vraie épargne à leur niveau au détriment de la Bourse qui n’offre pas les meilleures conditions de rémunération de celle-ci ni pour les acteurs institutionnels ni pour les épargnants non émetteurs. A côté, la réforme doit encourager les caisses de retraite et les fonds mutuels à faire dans le prêt à long terme, le prêt hypothécaire. Ils doivent pouvoir acheter des valeurs pétrolières et autres titres sur les matières premières (configuration d’avenir avec les privatisations du secteur). L’ébauche de spécialisation doit organiser l’appartenance des établissements financiers aux créneaux qu’ils revendiquent. Les banques consentent des prêts à la consommation et n’achètent que rarement d’actions d’entreprises. Le marché de l’assurance devrait s’intégrer dans la réforme pour capter des ressources particulièrement adaptées au financement de l’économie à long terme. En guise de conclusion, retenons les formidables prescriptions du professeur Sid Ali Boukrami, dans une contribution remarquée au journal El Watan du 31 mai dernier intitulée « L’ouverture et l’aptitude au progrès » où il note que « la conception anglo-saxonne du marché implique la négociation, la régulation, la culture du risque... et s’élargit avec la réorganisation en Europe de l’épargne contractuelle en s’appuyant sur les compagnies d’assurance et les fonds de retraite ». Parlant des Bourses de Tunis, de Casablanca et du Caire, il relève qu’« à l’exclusion de la culture financière et de la collecte de l’épargne locale, le développement de ces places financières non assises sur une sphère économique réelle se prolonge par des effets pervers inattendus ». Enfin, il termine par une recommandation pleine de bon sens : « L’aboutissement des réformes économiques - en Algérie - suppose un intérêt pour cette population de spécialistes et d’experts chargés de les mettre en œuvre dans la mesure où une administration performante constitue le préalable à leur succès ». A bon entendeur salut !

Par Benahmed Sadek Berkane
Consultant en administration et finances publiques, El Watan

Notes :
 6- Gérard Bélanger Edition Gatan Morin L’ Economie du secteur public Québec, Canada 1981.
 7- Le gouvernement pour une vision claire de développement peut penser à intégrer les transports à l’aménagement du territoire dans son programme. Le schéma d’aménagement se détermine en fonction des réseaux de transport disponibles ou à créer (aériens, maritimes, routiers, ferroviaires).
 8- Ancien directeur du budget aux Etats-Unis, économiste, 1969, Analyse et évaluation des dépenses publiques.
 9- Aigle Azur, une compagnie du transport aérien, vient d’affirmer que ses prix élevés sont le résultat d’injonctions de l’Etat algérien au détriment de la concurrence et du voyageur. Comprendra qui veut !
 10- Traité de gestion financière 2e édition, Jean-Marie Gagnon et Nabil Khoury, Gatan Morin Editeur 1981 Québec, Canada.
 11- Si les autorités l’ignorent, certaines de nos entreprises fonctionnent à l’Internet et c’est tant mieux si elles sont accompagnées par l’environnement officiel.