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Chréa à la reconquête de son prestige

dimanche 1er août 2004, par Hassiba

Blida semble s’engouffrer dans la pesanteur d’une montagne grise qui, comme par pudeur, se cache sous un épais nuage. Chréa se dresse tel un mirador.

L’œil sur la plaine. Ou comme une mère protectrice. A l’est, à l’ouest, où que le regard se pose, la montagne s’impose et défie l’horizon par son envergure.

Tel un caméléon, Chréa change de couleur à mesure que l’on s’approche. Nous roulons à tombeau ouvert sur l’autoroute, et Chréa semble porter un regard sur ses futurs visiteurs, nous infligeant un arrière-goût de morosité. Peut-être d’appréhension. Dans ses entrailles nourricières, Blida, le visage accueillant, incite à la montée vers le sommet en susurrant quelques doux réconforts. Les panneaux indicatifs, soumis aux fluctuations du temps, indiquent péremptoirement la direction à prendre. Comme unique emblème, le nom : Chréa. A 1525 m d’altitude. Le panneau ne fait ni dans le commentaire, ni dans l’apologie du site, ni dans la séduction. Sommaire, il annonce un lieu comme une évidence. Ou un point géographique. L’éloquence du panneau intrigue. Enfer ou paradis ? Flash-back sur une époque durant laquelle ses habitants souffraient les affres du terrorisme. Entre monts et vallées, crêtes et amonts, Chréa se faisait l’hôte idéal à la décadence humaine. Et même de la bêtise. Qu’en est-il aujourd’hui ? Déjà cet hiver, Chréa accueillait durant le week-end enfants et familles venus goûter à la joie des jeux de neige. Chréa peut-elle prétendre concurrencer la mer, loin de l’hiver ? A-t-elle reconquis sa place d’antan qui la plaçait comme l’aire de loisir la plus prisée du pays en saison estivale ?

Les leçons de Chréa
Le panneau indicatif est déjà loin derrière. L’esprit vagabonde. Pour un temps. Nous prenons conscience que nous avons entamé la route sinueuse de la montagne. L’appréhension s’évapore. Nous avons soif de voir des gens, d’y retrouver un semblant de vie qui romprait avec l’image léguée par le terrorisme et ses ravages. Premier réconfort, les quelques maisons bordant le chemin sont habitées. Du linge sèche au soleil. Soleil qui semble n’offrir ses rayons qu’à l’intérieur de la montagne. Complicité ? Des voitures immatriculées 09 garées près des baraques attestent de la reconquête de l’homme sur « l’état sauvage ». Entre deux virages, les branchages jouent avec la lumière. Ils proposent çà et là des zones d’ombre. Plus bas, la verdure avait jauni au soleil. Plus haut, les nuances de vert raniment le paysage. L’oxygène s’insinue dans les poumons, ajoutant une louche à l’ivresse de la montée. Vert encore : des postes de Gendarmerie ponctuent le trajet de rappel à l’ordre. La roche escarpée ose avec témérité se jeter dans le vide. Bleue, grise ou rougeâtre, elle affronte avec rudesse notre virée. Tendre avec la nature, la roche ne s’impose pas. Elle se tasse pour permettre à une gerbe de fleurs de pousser : roses, rouges et blanches. Ne s’épousent-elles pas ? La roche autorise à un arbre de s’enraciner. Comment la matière dure a-t-elle permis à la matière tendre de prendre place ? Quel est cet étrange deal passé entre la roche et la végétation, leur permettant de cohabiter sans heurt ? La symbiose du vert et du gris laisse coi tout inquisiteur humain. L’intelligence est-elle humaine ou végétale ? Ce spectacle de l’entente entre la roche et l’arbre nous narguera durant l’heure et demie que durera la montée.

Comment des terroristes, qui se cachaient dans Chréa, n’ont-ils pas su voir ce que la montagne donnait en exemple : le mélange des genres et des couleurs, le partage de l’espace entre le dur et le faible ? Assez ! La tête tourne et on se sent un peu barbouillé. Est-ce l’évocation de la décennie noire ou la sinuosité des routes ? Peu importe au fond de chercher midi à quatorze heures, on se suffit du spectacle. On se tait. Pendant que l’esprit papillonnait en se perdant dans des pensées lugubres, nous voilà presque arrivés à la station. Des panonceaux indiquant Les Cèdres, Les Glacières, Belvédère... invitent à la découverte. Il sera toujours temps de prendre ces directions. Pour l’instant, cap sur la place principale. Envie nous prend de voir le téléphérique. Le paysage est dégagé. Comme une coupole, des bâtiments entourent la place. Un restaurant, une poste, un secteur sanitaire, un hôtel.

A la recherche des chalets
L’endroit est vide. Quelques jeunes adossés à un muret discutent et ne montrent aucun intérêt à notre venue. Il est midi, un jour de la semaine, et l’activité semble plate, au point mort. L’auberge sur la droite semble abandonnée. Ses portes et moulures en bois font penser à la taverne d’un western, d’un Ouest toujours lointain. Les murs portent la trace écaillée d’une peinture défraîchie. L’odeur de renfermé s’échappe des fenêtres cassées de l’auberge fantôme. A l’intérieur, les mouches s’adonnent à un drôle de ballet. Nous préférons tourner le dos à ce que l’homme a tenté de tisser pour observer la vue. Des sapins, des cèdres et d’autres conifères sont allongés comme assommés par un soleil de plomb. Sous l’apesanteur, les sapins se sont affalés vers le bas, ne pouvant lutter contre l’attrait de la Terre. Encore étourdis par le trajet, nous remontons dans notre véhicule à la recherche de chalets. La place est vide, mais peut-être y a-t-il des personnes « embusquées » à l’intérieur des bois. A l’ombre des branchages. Il n’y aura pas grand monde, mais des traces témoignent d’une volonté certaine de se réapproprier les lieux. De revenir. De nombreux chalets sont en cours de construction ou en rénovation. Nous croisons un couple âgé qui décharge le coffre de la voiture pour monter les courses. « C’est dix fois mieux que la mer et il n’y a plus rien à craindre. L’endroit est surveillé par des patriotes ou des gardes champêtres. Nous comptons y passer un semaine. Et ce soir, les enfants viennent dîner », précise la femme.

Originaire de Blida, c’est la première fois que ce couple monte à Chréa depuis la fin du terrorisme. L’homme et son épouse profitent du chalet, qui présente toutes les commodités, pour respirer le grand air et se reposer. Nous les quittons, rassérénés par leur présence et leurs dires. Un peu perdu, nous tournons à gauche, puis à droite, pour tomber devant quelques immeubles habités. « C’est une cité militaire », nous renseigne un garde. Plus bas, des chalets ont été ravagés par des flammes. Dépourvus de portes et fenêtres, les chalets ont les murs noirs, la cendre jonche le sol. Des résidus de bâtons brûlés bloquent nos foulées. Les murs sont « ornés » de textes en langue arabe et de figures pornographiques. La chaleur et l’odeur nauséabonde nous précipitent vers la sortie. Le sentiment que ces chalets pourraient être utilisés à de meilleures fins nous afflige. Mais des surprises nous attendent. En contrebas de la place, un hôtel est en construction. Il est grand. Et promet d’être accueillant. Aussi, le vice-président de l’APC de Chréa annonce que le téléphérique sera à nouveau fonctionnel dès cet été. Les nouvelles sont bonnes et les travaux au niveau des chalets et du téléphérique démontrent une volonté de redorer le blason de la station.

Chréa a du mal à se débarrasser de l’empreinte du terrorisme. Les quelques visiteurs qui s’aventurent là sont généralement des jeunes en motos qui profitent des sources naturelles en bord de route pour faire reluire leur deux-roues. Et se rafraîchir. Rien d’encourageant pour les familles qui désireraient y pique-niquer ou s’y promener. Les aménagements apportés devraient inciter à une plus grande affluence, mais il faudra encore quelque temps avant de placer Chréa comme sérieux concurrent des stations balnéaires. Celles d’en bas.

Par Zineb A. Maïche,
Chréa, El watan