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Entretien avec l’économiste Mohamed Bahloul

lundi 28 mars 2005, par Stanislas

Mohamed Bahloul, économiste analyste, est le directeur fondateur de l’IDRH (Institut de développement des ressources humaines). En tant qu’expert international, il assiste depuis une quinzaine d’années les institutions publiques et les entreprises nationales et internationales dans leurs projets de réformes et de mises à niveau par le conseil et la formation.

Depuis 1978, il poursuit une activité académique d’enseignement et de recherche à l’université d’Oran dans le domaine de l’économie industrielle. Le Jeune Indépendant : La situation économique du pays sur le plan financier est plus que confortable.

Quelle lecture peut-on faire de cet atout et de son mode de valorisation dans les politiques publiques de relance économique ?

Mohamed Bahloul : L’embellie financière de l’Algérie est une réalité. L’Etat (les réserves de change par exemple ont atteint plus de 43 milliards de dollars) et les banques (plus de 600 milliards de dinars, selon certaines estimations) disposent de liquidités importantes.

Une nette amélioration de la capacité d’autofinancement de la nation est à relever. Cette évolution est le résultat d’une double conjoncture très favorable ces dernières années. Economique, grâce à l’emballement des prix du pétrole, et climatique, grâce à la générosité du ciel.

Cette épargne importante, qui n’a pas d’égale dans l’histoire économique contemporaine de notre pays, constitue un véritable atout qui, conjugué aux bonnes performances macroéconomiques réalisées à la suite des différents ajustements budgétaires et monétaires, peut ouvrir une voie royale pour l’accélération des réformes économiques de structures et de modes de gestion qui restent à faire.

Les avis sont bien sûr partagés concernant le mode d’affectation de ces ressources. Tout le monde en parle. Les besoins sociaux sont énormes et les attentes des acteurs économiques ne sont pas toujours convergentes quant à l’utilisation de la cagnotte dans une direction ou une autre.

Ce qui, il faut le dire, n’est pas toujours facile. Non seulement en termes de choix et d’arbitrages entre les différentes options de dépenses publiques mais aussi parce que l’Algérie a déjà un ancrage important dans l’économie de marché et dans l’économie mondiale.

Elle doit de ce fait respecter un certain nombre de normes et d’engagements. Elle ne peut se permettre les sentiers de la facilité. Toute injection d’argent frais dans son économie se fera désormais sous contrainte de maintien et de préservation des grands équilibres macroéconomiques.

Veiller à une bonne qualité de la monnaie nationale est par exemple une de ces contraintes que les décideurs publics prennent en charge dans leur gestion. Il en est de même de l’impératif d’encourager une croissance plutôt par les ressources du marché que par les ressources de l’administration.

Même la prise en charge des doléances sociales doit être à terme et progressivement partagée entre l’Etat et le marché. D’où les sérieux problèmes d’optimisation budgétaire et d’allocation des ressources publiques. Pour le moment, le gouvernement, très prudent, a pris option de consacrer une partie de ces ressources à crédibiliser la signature internationale de l’Algérie dont la seule disponibilité a largement favorisé le grand retour d’opérateurs économiques algériens sur le marché financier international, qui leur a été jusque-là fermé (entre 2000 et 2004, plus de 7 milliards de dollars d’emprunts extérieurs ont été levés par des entreprises nationales), d’alléger le poids de la dette extérieure (baisse de 35 à 25 % du ratio de la dette entre 2003 et 2004) par des remboursements anticipés, de continuer à assainir les portefeuilles des banques publiques, d’appuyer l’effort de restructuration du secteur public selon une démarche de partenariat et de reconversion à la propriété privée, de mise à niveau et d’appui à la compétitivité des entreprises, d’amélioration des environnements, etc.

Il annonce aussi un vaste programme de requalification des territoires et de renforcement de leur potentiel d’attractivité par des investissements infrastructurels et logistiques lourds (zones d’activités, routes, autoroutes, ports, aéroports, réseaux de téléphone, d’eau, d’électricité...).

Les programmes sociaux (habitat, éducation, santé et services sociaux divers...) ne sont pas en reste dans ces choix. Ces programmes sont cependant pour le moment totalement tournés vers une seule finalité : contribuer substantiellement à éponger la pression des besoins sociaux et infrastructurels énormes dans ces domaines.

Ce qui est insuffisant et pourrait être une source d’aggravation des déséquilibres urbains et entre les territoires. Intégrés dans une problématique d’aménagement et de management du territoire, ces programmes nécessaires et prioritaires doivent aussi être rapidement articulés à un projet national d’urbanisme, qui participe à améliorer la qualité de la vie des cadres et des couches moyennes en général.

La qualité de la vie est aujourd’hui comptée, on l’oublie souvent, comme un puissant facteur de compétitivité des villes et des territoires et d’accélération de la mobilité des compétences et en capitaux, et de la mobilité tout court, autant d’éléments fondamentaux des réformes structurelles.

Mais l’effort demeure important dans tous ces domaines comme d’autres. A part l’excellente santé financière du pays, le reste du tableau est différemment apprécié. A grands traits, comment, selon vous, se présente cette situation ? Cette aisance financière est paradoxalement symptomatique des deux problématiques majeures de l’économie, voire de la société algérienne.

En un, nous continuons à dépendre du surplus de puits et de pluie. Ce sont les cours de la pluviosité et du pétrole qui demeurent les indicateurs d’appréciation en dernière instance des performances de l’économie algérienne et non les indicateurs de productivité et de compétitivité.

Ce qui en soi donne une idée de l’état de notre économie et de l’œuvre de transformation immense qui nous attend. L’Algérie est un acheteur net au reste du monde, l’industrie est sinistrée, ce qui a même fait dire à un ministre en charge des réformes dans une conférence qu’elle n’existe plus.

Le tissu productif national est dans un état de nécrose généralisé et se développe dans des directions multiples qui ne lui assurent à moyen terme aucune cohérence systémique, y compris lorsqu’on veut le projeter dans une perspective d’insertion active dans l’économie modulaire internationale.

Les progrès méritoires enregistrés par l’agriculture en termes de croissance sont fragiles et aléatoires car le résultat d’un dumping d’investissements matériels est déconnecté de tout projet de modernisation des structures agraires (propriété et marché de la terre, eau, modes de financement durables et leur diversification, mécanisation, carte des emplois et compétences du secteur, formation et recherche agronomique, marchés des produits agricoles, etc.).

Les frémissements du secteur du bâtiment et des travaux publics sont de plus en plus, et c’est une tendance dominante durable, le fruit de la contribution du secteur international. Le recours au savoir-faire et à la main-d’œuvre étrangers est désormais une option structurelle du management des projets de construction en Algérie.

Les services s’emballent grâce en particulier au commerce et aux activités marchandes informelles, au moment où le dynamisme de la création des PME est timide, va dans tous les sens et ne connaît aucune orientation par rapport à une structure type de l’économie qu’on veut bâtir, avec en prime le risque d’avoir une économie concurrentielle fortement atomisée.

Les services supérieurs qui fondent de nos jours la véritable structure et l’identité de l’économie moderne connaissent un développement résiduel. Le chômage est endémique et le dynamisme de création de l’emploi est tout aussi aléatoire et fait dans le précaire.

La composition sociologique spécifique de ce chômage est à dominante jeune, instruite et urbaine, c’est-à-dire explosive à terme si on ne la traite pas dans l’immédiat... On peut continuer sur la même ligne de constat pour le reste de l’économie.

En deux, ce tableau peu optimiste de l’économie algérienne doit être complété par la panne généralisée quant à la capacité de transformation de la richesse en capital, des ressources en croissance. On est loin des fondamentaux de la structure « naturelle » d’une économie moderne.

Le constat est aujourd’hui partagé et nous nous interrogeons tous sur les hésitations et la vigilance légitime des pouvoirs publics quant aux lenteurs dans l’orientation du surplus financier disponible. Nous avons un véritable problème de « boîte noire » de l’économie nationale et pas seulement par rapport à sa capacité d’absorption active et productive des ressources et des investissements.

La structure de notre économie est déstructurante avec un paradoxe : elle transforme la richesse en pauvreté et en chômage. L’épargne disponible est vite aspirée et orientée vers les canaux de l’économie de distribution et de spéculation, qui s’appuie sur une forte chaîne d’économie concurrentielle impraticable depuis les structures du commerce extérieur (une économie trop ouverte et d’importation nette) jusqu’aux circuits de l’économie informelle (détournement de la règle concurrentielle et légale).

C’est une économie qui pénalise les meilleurs compétiteurs et favorise en exponentiel les enrichissements par les réseaux de l’administration et de l’économie clandestine au détriment de l’enrichissement par les réseaux du marché et de la compétition ouverte.

Ne sont pas en cause ici les seuls gouvernants, ce qui serait trop facile, mais toute l’architecture et les stratégies des différents groupes sociaux impliqués dans l’acte économique. D’où la nécessité de mettre la stratégie de réforme, j’allais dire de refondation de l’économie algérienne, sur les rails d’un débat national salvateur et de retour d’éveil de tous les acteurs et groupes sociaux pour un partage consenti des charges de la reconstruction économique nationale.

On ne peut durablement rester dans une démarche cloisonnée et atomisée des projets et des actions de changements avec l’éternel rituel des lamentations et des accusations des uns et des autres. Selon les propos récents de certains hauts responsables au niveau de l’appareil de l’Etat, les réformes économiques présentées comme une panacée piétinent, pour ne pas dire plus.

Pourquoi, selon vous ? Et quel genre de réformes la situation actuelle du pays réclame-t-elle ?

Les réformes économiques en Algérie connaissent effectivement une situation de flottement ; certains, plus sévères, n’hésitent pas à parler d’impasse.

Les constats et les inquiétudes sont partagés au niveau de toutes les sphères : de la décision, de l’expertise nationale et internationale (voir le dernier rapport de la Banque mondiale), comme au niveau de celle des chefs d’entreprise et des salariés.

Les raisons sont multiples et tiennent, selon mon évaluation, à trois causes majeures : l’absence de consensus clair et ferme dès le départ, l’absence d’expertise d’appui et d’accompagnement sur la base d’une ingénierie des réformes (au sens de Mollard) qui fixe la « feuille de route » du changement et, enfin, conséquence, l’ambiguïté de la démarche y compris dans le mode de pilotage stratégique et opérationnel des différentes séquences et actions de la réforme.

Ces facteurs et d’autres liés aux contraintes structurelles de l’économie ont joué dans la lenteur du processus de réforme en Algérie : un processus entamé dans notre pays, il faut le souligner, bien avant beaucoup d’autres qui ont aujourd’hui achevé la phase récessionniste des réformes pour commencer à cueillir les premiers fruits.

Mais il me semble que de nouvelles tendances se dessinent à l’horizon de l’observation de l’expérience et de l’évolution de ces toutes dernières années. Le consensus est en phase de devenir une réalité après les derniers repositionnements de l’UGTA et du patronat.

L’expertise existe mais à l’état de potentiel qui attend d’être transformé en une capacité nationale structurée, organisée, visible et intégrée à une dynamique de constitution d’une ingénierie nationale au sein des administrations et des entreprises, comme dans les universités et les différents centres de ressources techniques qui se sont formés ces dernières années et qui demandent à leur tour d’être renforcés et diversifiés dans leur offre d’expertise.

Quant à la démarche, on peut dire qu’elle commence à se préciser de jour en jour pour se dégager d’une conception segmentaire des réformes, sectoriellement cloisonnée et fragmentée dans plusieurs centres de pilotage pour aller vers une unité de vision et de management qui éviterait les conflits de compétences, les doubles emplois, le gaspillage des ressources et les lourdeurs bureaucratiques qui en résultent, etc.

Il y a comme un travail de redéfinition des périmètres de mission et d’action des différents acteurs institutionnels du changement qui se développe. Il reste à confirmer et à consolider. Y a-t-il des interdépendances entre réformes économiques et réformes des systèmes judiciaire, scolaire, politique... ? La réforme est une et indivisible.

C’est un package, un kit, à prendre ou à laisser. Elle ne doit souffrir aucun morcellement dans sa conception et sa mise en œuvre. La cohérence systémique et sémiotique, donc y compris le discours et les langages investis dans les stratégies de communication de la réforme, est fondamentale dans un processus de changement, surtout lorsqu’il concerne le balancement d’une économie gérée par le « pouvoir du bureau » à une économie gérée par le pouvoir du marché et suppose une optimisation de l’adhésion d’acteurs et de groupes sociaux influents et aux intérêts divergents.

Ce package couvre la modernisation de quatre grands pôles : l’Etat, l’éducation, l’épargne et l’entreprise. Ces quatre modernisations, ou ‘4E’, sont à mener dans l’ordre et/ou ensemble et en étroite synergie. Par ailleurs, il me semble utile de relever que la réforme n’est ni une théorie économique ni un ensemble de recettes à consommer et encore moins une science exacte.

Sa démarche globale doit s’émanciper de tout dogmatisme, y compris libéral. Comme tout projet de changement, elle est un exercice d’innovation stratégique et d’inventivité institutionnelle et sociale par excellence. La réforme, nous enseigne l’histoire des changements sociaux, suit la courbe de maturité de la société, c’est-à-dire celle de ses institutions et de ses élites.

Les expériences de transition vers l’économie de marché dans le monde sont diverses et multiples par leurs démarches, leurs priorités, leurs rythmes, les groupes sociaux qui les portent et les animent, leurs résultats... Il y a certes un cadre référentiel normatif à respecter, mais le cadre pragmatique est plus important et souvent déterminant.

L’accélération de la cadence des réformes est à chercher, à mon sens, de ce côté. Comment expliquez-vous le recul de l’IDE relevé en 2004 comparativement avec nos voisins ? Est-ce que la relance économique tant promise est tributaire de ce type d’investissement ? Avant d’analyser le mouvement des IDE par rapport aux variations de la conjoncture dans ce domaine, il me semble qu’il est important de le situer par rapport à la qualité de la structure qui a pour mission d’identifier les sources chaudes de cette épargne et son mode de circulation, d’innover et d’adapter les instruments de sa captation, d’organiser sa mobilisation et d’influencer, par des politiques publiques d’appui, ses formes et son orientation sectorielle.

On ne peut aborder comme on le fait jusqu’à présent la question des IDE de manière isolée, en soi et pour soi. Les IDE posent en entier la problématique de l’épargne dans un pays et en sont une des variantes. Un pays qui n’a pas modernisé les structures et les systèmes de collecte et de mobilisation productive de l’épargne nationale ne peut pas se donner d’emblée une grande ambition de drainage de l’épargne internationale.

Nous sommes, par exemple, dans le monde arabe le pays où le taux de bancarisation est le plus faible, avec la prédominance ravageuse d’un circuit financier parallèle qui offre matière à réalisation et expansion à l’essentiel des transactions commerciales et financières.

En plus, l’épargne disponible au sein de nos banques n’arrive même pas à se transformer en investissement et en activités économiques structurantes et génératrices d’emplois et de revenus. L’existence d’un système de mobilisation et d’orientation de l’épargne est un préalable et fait partie des critères d’attractivité (une trentaine) des IDE que j’ai eu l’occasion d’identifier, de sérier et de tester pour l’Algérie en 1996 dans un article paru dans la revue Nerdjes, coéditée à l’époque par le CNES et l’ANEP.

Parmi ces critères, il y en a, je cite, quelques-uns : l’efficacité de l’administration, la qualité des infrastructures et des réseaux (y compris leur management), des ressources humaines, la qualité de la vie des cadres expatriés des firmes étrangères et jusqu’à l’éthique des affaires et le poids de la corruption comme barrièr à l’entrée des investissement étrangers.

Vous pouvez juger par vous-même le potentiel de compétitivité du territoire en Algérie, en lui appliquant ces quelques critères parmi la trentaine qui font le référentiel d’attractivité d’un pays par rapport à un autre. Depuis quelques années, le discours politique et médiatique national a fait sienne la notion de « bonne gouvernance ».

Est-ce un impératif dicté par les instances internationales ou une exigence requise par les conditions internes ? La bonne gouvernance est une notion relativement récente dans le langage des sciences économiques et de la littérature des instances internationales (ONU, FMI, OCDE, UE...).

Théoriquement, elle est ancrée dans le paradigme libéral même si elle est radicalement rejetée par les économistes ultralibéraux, américains en particulier. Ils y voient un obstacle bureaucratique à la libre entreprise et aux « automatismes » vertueux du marché.

Sans entrer dans les détails des débats et souvent les querelles d’école, disons que la notion de bonne gouvernance nous est venue des Etats-Unis grâce à un économiste qui a voulu introduire, à partir des années 1930, dans le management de l’entreprise des principes de transparence et d’indépendance dans l’arbitrage des conflits d’intérêts entre les différents pouvoirs qui structurent son espace, en particulier entre celui des actionnaires, des managers et des salariés.

Ce n’est pas l’occasion ici de développer cette première séquence d’utilisation de cette notion dans la pensée de l’entreprise avant qu’elle n’investisse les institutions et les organisations internationales pour être déclinée sur le mode de gestion des Etats.

Appliquée aux Etats, la bonne gouvernance signifie la gestion des affaires publiques sur la base d’un ensemble d’exigences que je peux résumer en trois grands principes, auxquelles on associe généralement un ensemble de critères : 1) la légitimité des institutions (niveau et degré de représentativité des populations et des différents groupes sociaux et de leur participation à la vie publique) ; 2) la légalité et la neutralité des actes de gouvernement (par exemple, l’impartialité vis-à-vis de la gestion de la monnaie nationale, des systèmes d’information, du traitement des questions et contentieux d’affaires par la justice) ; 3) l’efficacité de l’administration de l’Etat par l’introduction du calcul économique dans la gestion des affaires publiques et la disponibilité de services collectifs de qualité et à des coûts réduits.

Si l’on veut rester dans une démarche de raisonnement strictement économique, la bonne gouvernance est, du point de vue des institutions internationales, la sécurité des droits de propriété, y compris la liberté de mobilité des capitaux et la mise en place des conditions locales de leur valorisation dans les espaces soumis à la souveraineté des Etats.

De manière générale, la bonne gouvernance peut être approchée au regard de son référentiel, aujourd’hui établi et normalisé dans des matrices d’évaluation, comme une sorte de certification de qualité du management d’un Etat assimilé à une organisation entreprise qui doit savoir compter et utiliser les ressources disponibles de la collectivité nationale dans la transparence, la neutralité par rapport aux groupes sociaux et l’efficience.

Vous concevez que, ainsi définie comme cadre de rationalisation de la vie et de la gestion des affaires publiques, la bonne gouvernance est un besoin de société, même s’il y a à redire sur le sens de son investissement dans les discours et les plates-formes de changements des uns et des autres.

Tout récemment, le MEDEF a souligné le manque de transparence dans certaines opérations de privatisation. Est-ce que la corruption se dresse comme un barrage devant la relance économique ? Justement, la transparence est aujourd’hui posée comme l’une des exigences majeures du référentiel de certification des Etats comme des entreprises à la « bonne gouvernance ».

Dans tous les pays, y compris dans les grandes citadelles de la démocratie et du marché comme les Etats-Unis (voir l’affaire ENRON) et d’autres, elle a investi les langages et rythmé le comportement des institutions et des structures, en particulier les marchés des capitaux.

Dans les pays en transition, elle constitue un levier important dans les processus de changement pour le passage à une économie de marché et les conditionnent dans une large mesure. Son importance dans le contexte des privatisations apparaît à plusieurs niveaux.

La cession des entreprises publiques est un produit phare et très sensible des réformes. La transparence doit l’irriguer dans toutes les phases de sa vie, de sa conception à son implantation, y compris dans la phase après-vente. Elle intervient comme outil d’optimisation de l’adhésion des populations concernées ou intéressées par les projets de privatisation et permet d’éviter les pratiques de communication institutionnelle contre-productive.

Les salariés, les fonctionnaires, les investisseurs potentiels, les milieux financiers et économiques et leurs organisations représentatives, les institutions multilatérales et les bailleurs de fonds, les gouvernements, les médias comme l’opinion publique nationale doivent avoir une vision claire et une visibilité sur les démarches, les buts et le mode opératoire des privatisations.

On doit pouvoir, par exemple, reconstituer, dix ou quinze années après, la traçabilité d’une opération de privatisation. La transparence constitue dans un acte de cession 40 % des facteurs de succès. Il est donc nécessaire de mettre en place un système de communication rentable pour fluidifier le marché des privatisations et donner aux transactions les moyens de sûreté et d’efficacité nécessaires.

L’Etat propriétaire est le premier gagnant à un marché transparent avec des retombées positives, y compris sur la valeur de l’entreprise. La transparence peut jouer comme facteur d’ajustement de la compétition entre investisseurs en faveur du vendeur, surtout lorsque l’entreprise à céder est appréciée par rapport à la valeur économique.

Certains réclament comme solution de sortie de crise l’instauration d’un nouveau pacte social. Comment imaginez-vous ce pacte ? Le pacte économique et social (PES) n’est pas toute la solution à la crise mais un des leviers essentiels, parmi les plus importants de la réforme.

En général, le PES est un contrat triangulaire entre le gouvernement, le patronat et les syndicats pour fonder une démarche consensuelle et non conflictuelle de répartition des fruits de la croissance sur la base d’un mode de production de la richesse qui reste à définir et à mettre en œuvre, et c’est le plus important et le plus difficile dans ce genre de projet.

Le PES suppose compromis et concessions mutuelles avec des engagements fermes des différentes parties pour le court et le moyen terme, sur une période donnée que fixent les négociations. Il y a lieu aussi de définir une structure-type des relations de production, qui donne identité et sens au modèle social que les Algériens choisiront pour produire et répartir dans le contexte d’une économie de marché concurrentielle.

En Algérie, le PES doit avoir pour finalité d’encadrer et d’accompagner le processus d’émergence d’une économie, où la création de la richesse est centrée d’abord sur l’activité travail et où l’enrichissement est le résultat de la compétition et non de la prédation.

La négociation entre les trois partenaires doit définir les termes d’un échange profitable pour toute les parties et dont la résultante est bénéfique pour la nation, car le but de la manœuvre en dernière instance, et selon le vieux principe de l’économie politique, est d’aboutir à une société où ceux qui s’enrichissent enrichissent la nation et non l’appauvrissent, comme c’est le cas aujourd’hui.

L’enjeu est, contrairement à ce que l’on peut croire, monumental. C’est un enjeu de société à bâtir. L’architecture des termes de l’échange doit être mûrement réfléchie et les apports des uns et des autres rigoureusement soumis au calcul économique.

L’essentiel, c’est de ne pas tomber dans les travers d’un PES conçu dans le champ de répartition de l’existant de la richesse avec la voie ouverte au consensus des stratégies politiques et sociales rétributives. Il me semble qu’il est urgent de concevoir un contrat de société dans le champ de l’économie de production.

Globalement, on doit aboutir à un schéma général de relations où le gouvernement s’engage à garantir aux chefs d’entreprise un modèle de bonne gouvernance, et ces derniers s’engagent à offrir à la nation un modèle de compétitivité.

Les salariés s’engagent à offrir à la nation un modèle de productivité du travail contre un engagement du gouvernement à leur garantir un modèle de protection sociale (au sens générique du terme). Ce sont là, de manière très schématique et rapidement, les termes de ce contrat triangulaire.

Il n’est pas facile de le concevoir et encore moins de le rendre à la réalité. Sur un plan technique et social, il suppose une préparation et des choix qu’on ne doit pas sous-estimer. Un pacte économique et social est, au-delà des formes et des joutes, un outil de changement social.

Il implique et suppose des choix de société ; on ne le soulignera jamais assez. Depuis des années, vous vous déployez sur un double plan, celui de la formation et celui de l’expertise. Dans quelle mesure et la formation et l’expertise peuvent-elles contribuer à la mise sur les rails de l’appareil économique et dans le bon sens ? Nous sommes dans un contexte de changement pour le passage d’un modèle d’économie administrée et fermée à un autre, de type concurrentiel et ouvert à la compétition internationale.

La formation des acteurs, qu’il s’agisse des institutionnels (y compris les élus), des entrepreneurs, des managers, des salariés ou des experts nationaux, est vitale non seulement pour une réappropriation rapide et active des objectifs de la réforme et de ses différentes dimensions stratégiques et opérationnelles mais aussi, et dans le long terme, pour le savoir-faire de l’entreprise dans une économie de compétition.

L’expérience internationale montre que les facteurs d’efficacité des projets de réforme dans un pays émergent (je pense à la Chine en particulier) se distribuent pour 40 % sur la qualité de la structure de pilotage des réformes et des modifications de l’environnement juridico-institutionnel (textes de lois et règlements, structures, systèmes...) menées par un centre politique unique et fort, appuyé par un pool d’expertise de pointe et de préparateurs de décisions qualifiés et disposant d’un système d’informations fiables et fortement orienté sur la satisfaction des besoins de l’analyse sectorielle.

Ce sont les facteurs de changement par le haut. Le reste, c’est-à-dire l’essentiel (60 %), relève des facteurs de changement par le bas et qui englobent en particulier le niveau et le mode de préparation des acteurs directs et des organisations, par le développement de leur capacité d’appropriation des réformes, d’adaptation structurelle et de capacité de management.

Si toute économie de compétition suppose ce que l’économie industrielle appelle une courbe d’expérience établie, toute réforme a besoin pour son enracinement d’une courbe d’apprentissage des catégories de marché et de l’entreprise.

Cet enracinement passe par une bonne conception et une bonne implantation des produits de la réforme (mise à niveau et développement des capacités de management, privatisation, partenariat, investissements et attractivité des territoires, etc.) ; le tout, et c’est capital, accompagné de stratégies de communication économique, financière et sociale pour optimiser l’adhésion des acteurs concernésouintéressésaux objectifs de la réforme.

C’est le sens de notre action dans le cadre de l’IDRH, institut que nous avons voulu dès le départ complètement dédié à l’appui des institutions et des entreprises pour contribuer à développerleur courbe d’apprentissage des catégories du marché et de l’entreprise et, partant, participer par l’expertise à l’enracinement des réformes.

C’est notre approche depuis une quinzaine d’années. Nous nous considérons, y compris sur un plan affectif, comme partie prenante de l’aventure et du paysage de la réforme dans notre pays. Nous nous proposons de contribuer, aux côtés d’autres acteurs et selon nos moyens, à diffuser et à appuyer le processus de généralisation du « savoir-faire de l’entreprise » dans la société par la formation et le conseil en management.

Je peux vous assurer que les résultats sont encourageants, même s’il reste beaucoup à faire pour booster la demande et la solvabiliser dans un domaine de métier et de compétence nouveau dans notre pays.

Par Ziad Salah, jeune-independant.com