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Game Rover à Birmingham

jeudi 14 avril 2005, par nassim

Angoisse et colère chez les ouvriers de Longbridge, face à la chute du groupe Rover.

Bordée de vieux bâtiments en brique rouge aux vitres défoncées, de friches

La nouvelle Rover 75

industrielles qui promettent depuis plusieurs années la naissance d’un parc technologique, désespérément vide, la route centrale qui traverse Longbridge conduit à ce qui est encore son poumon, l’usine MG Rover. Par la porte Q ne passent plus que les ouvriers chargés des derniers modèles produits dans l’usine depuis son arrêt il y a une semaine, lorsque les fournisseurs non payés ont refusé de livrer. John Towers, le président du groupe ­ l’un des quatre dirigeants de Phoenix Venture, qui a repris ce grand malade de l’industrie automobile en 2000 ­, a congédié lundi les employés. Et Tony Blair a assuré la paix sociale, décaissant une aide d’urgence pour pouvoir assurer les salaires de la semaine : 6,6 millions de livres (9,7 millions d’euros). Depuis, il règne un calme d’avant tempête, ce gros grain que redoutait le Premier ministre au démarrage de sa campagne électorale.

« Dérision ». Tout le monde pressent que cette fois c’est foutu. Cherche des coupables. « Pas de commentaires », « non merci », « je n’ai rien à dire » : nombre d’ouvriers refusent de parler. « On nous l’a interdit », explique l’un d’eux. Adrian Ross, 47 ans, le leader syndicaliste de la TGWU (Transport and General Workers Union ) au sein de l’usine, sort du site abattu, pour faire le point de la situation, entre deux réunions avec les administrateurs provisoires qui ont été nommés jeudi, quand l’entreprise s’est placée elle-même en procédure de redressement. Publiquement, il refuse d’accabler le gouvernement Blair, ou même la direction. « Depuis cinq ans, nous avons tout fait pour nous redresser. Ça a été un grand combat. Les pertes ont été réduites mais la grande presse, la presse de Londres, n’a cessé de nous tourner en dérision. Ils ne nous ont même pas donné une chance de redresser la tête. » L’incapacité de Rover à imaginer de nouveaux modèles, d’avoir un réseau de vente costaud ou une meilleure productivité : tout cela explique le déclin du seul constructeur encore britannique, mais il ne veut pas l’entendre. « Si depuis de longues années Rover s’enfonce, c’est que les Britanniques n’ont pas de patriotisme. Les Français achètent des voitures françaises, ici non. Et on s’est fait taper dessus » ajoute un de ses collègues. Ils ont peur, ils espèrent encore être sauvés par les Chinois de Shanghai Automotive Industry Corporation, lesquels ont pourtant clairement fait comprendre que les négociations étaient finies. Les administrateurs de PriceWaterhouseCoopers essaient de s’y retrouver dans les comptes, sans parler de l’argent qui manque dans le fonds de retraite...

« Vous me jurez que vous ne donnerez pas mon nom ni mon âge ? »On jure. Stewart a deux enfants de 23 et 27 ans, un passé de vingt-neuf ans dans l’usine, de gros emprunts à rembourser pour sa maison, une femme qui heureusement ne travaille plus chez Rover, une petite cinquantaine, des yeux au bord du gouffre, et une vieille Rover 200, de « seconde main » : « Parce que je ne pouvais pas m’en payer une neuve. » Il est sûr que le calme ne durera pas. Tant que le gouvernement « débloquera une aide d’urgence, semaine par semaine pour payer les salaires, tant qu’il achètera la paix, ce sera comme ça. Mais j’imagine que ça va barder, la semaine prochaine, si les salaires ne sont pas payés. » Pour qu’ils le soient, il faudrait que Bruxelles, qui exige des explications sur les aides de Blair, ferme les yeux. Ou que la dernière proposition des « Phoenix Four » ­ à savoir la cession de tous les actifs qu’ils détiennent à travers leur holding ­ puisse permettre de dégager une cinquantaine de millions de livres. Stewart sait bien que la débâcle de Rover, ce n’est pas seulement la faute de la London press : « Elles sont trop chères nos voitures, on ne peut pas se battre face aux japonaises. »

Dix livres symboliques. Les crises, Stewart les a toutes vécues. En 1988, l’entreprise a été rachetée par British Aerospace. Et revendue à BMW en 1994. Pendant six ans, le géant allemand a essayé de redresser la productivité et les pertes. En 1999, il y avait encore 9000 salariés. Cédée en 2000 pour dix livres symboliques, à quatre industriels fanfarons, salués comme des dieux à l’époque et aujourd’hui décriés, Rover a continué sa longue agonie. « Cette fois, c’est mal parti », convient Stewart, qui a pris un coup sur la tête quand les administrateurs ont évalué les pertes mensuelles de 20 à 25 millions de livres (de 30 à 37 millions d’euros). « C’est pas une zone qui vote conservateur ici, mais le député du Labour Richard Burden, il va avoir des soucis. Il pourrait très bien perdre son siège. »

Femmes et enfants. C’est bien le problème de Tony Blair : les emplois, dans plusieurs circonscriptions de Birmingham, dépendent de Longbridge. Avec 6 000 employés chez Rover, 15 000 à 20 000 chez les équipementiers, et des familles entières touchées indirectement, c’est la vie quotidienne de 75 000 personnes qui est menacée. Contrairement à ceux qui y croient encore et font le dos rond, Gemma Cartwright, la trentaine, ne veut pas se laisser endormir. Andrew, son mari, travaille depuis quinze ans dans l’atelier de peinture. Elle en veut au gouvernement : « Pourquoi la police n’est pas équipée de Rover ? », aux quatre dirigeants de Phoenix, et proteste contre les indemnités qui leur seront payées ­ environ 3000 livres (4400 euros) par salarié, quand Ford a donné 30 000 livres (44 000 euros) en fermant l’usine de Dagenham. Hier, avec d’autres femmes et leurs enfants, elle est allée à Londres déposer une lettre à Downing Street. Au même moment, Tony Blair, tendu, lançait son programme pour un troisième mandat.

Par Armelle THORAVAL, liberation.fr