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Il y a un an, l’Amérique occupait l’Irak

Irak, le grand bourbier

jeudi 18 mars 2004, par Hassiba

Sûr de son entreprise irakienne le 20 mars 2003, Bush n’est plus certain de rester à la Maison-Blanche durant les quatre prochaines années. C’est l’effet boomerang d’une initiative hasardeuse.

Qu’est-il advenu de l’Irak aujourd’hui ? Pratiquement, un an jour pour jour après le déclenchement de la guerre contre le régime de Saddam Hussein, le pays de Nabuchodonosor est à feu et à sang. Des morts, il en tombe quotidiennement. Parfois, ce sont de véritables boucheries qui sont commises, à l’exemple des derniers attentats de Bagdad et de Kerbala. Nul n’est à l’abri. Aucune ethnie ou communauté n’a été épargnée. C’est le fruit de la volonté de George Walker Bush de changer un régime par la force, dans le but inavoué de faire main basse sur ses richesses, notamment le pétrole. Si au début, la violence était imputée au président déchu qui activait dans la clandestinité, depuis sa capture, le 13 décembre de l’année écoulée, la situation sécuritaire ne s’est point améliorée. Au contraire, elle s’est étendue à d’autres communautés, comme les chiites et les Kurdes.

Pas de répit dans la violence

Les habitants de Falloujah, Ramadi, Bagdad ou Erbil, à titre d’exemple, ne connaissent plus la quiétude. Il ne se passe pas un jour sans que des attaques ou des attentats contre la police irakienne et les forces de la coalition soient signalés. Si la comptabilité macabre du nombre de soldats US est tenue à jour, avec plus de 275 morts, sans tenir compte des autres militaires de la coalition ciblés par la guérilla, personne n’est en mesure de dire combien de victimes irakiennes cette guerre a fait. Les assassinats se multiplient. C’est l’insécurité totale. Devant cette situation incontrôlable, l’administrateur civil américain de l’Irak, Paul Bremer, a décrété plusieurs mesures, il y a quelques jours, pour parer au plus pressé. Il veut, dans un premier temps, contrôler les frontières dans l’espoir de réduire le flux de “combattants” étrangers. Dans ce cadre, la vingtaine de points de passage entre l’Iran et l’Irak seront fermés. Le nombre des gardes frontières passera du simple au double et l’introduction prochainement des visas pour les ressortissants étrangers.

Lakhdar Brahimi à la rescousse

Ignorée lors de la prise de décision d’attaquer l’Irak, l’organisation des Nations unies est pratiquement suppliée de revenir en Irak pour tenter de trouver une sortie de crise. C’est le diplomate algérien et fonctionnaire de l’ONU, Lakhdar Brahimi, qui a été choisi par les Américains pour cette difficile mission. Le retour de l’organisation onusienne en Irak se fera contre la volonté de l’Administration Bush, qui n’a nul autre choix que cette solution pour amener la communauté internationale à cautionner un règlement de ce conflit. L’ONU reviendra en Irak pour légitimer le processus politique de transfert de la souveraineté aux Irakiens. Washington a recours à ce procédé pour éviter de plus graves conséquences de son occupation de l’Irak, contestée dès le début. Cette opération a obligé les Américains à “adoucir” leur position vis-à-vis des pays qui se sont fermement opposés à l’usage de la force contre le régime de Saddam Hussein. Les deux parties, qui se sont entredéchirées il y a un an, acceptent pour des questions d’intérêts communs de “tourner la page”.

Armes de destruction massive, le grand mensonge
Cette volte-face de Washington s’explique, selon les observateurs, par deux raisons essentielles. Outre l’enlisement de leurs forces en Irak, les États-Unis ont vu le principal motif ayant justifié la guerre contre le régime de Saddam Hussein voler en éclats. En effet, les 1 400 experts dépêchés sur les lieux n’ont rien découvert après plusieurs mois de recherches soutenues avec des moyens ultrasophistiqués. La démission et les déclarations du chef des inspecteurs, David Kay, ont mis dans l’embarras les Américains. Ils n’avaient plus d’arguments pour justifier l’occupation d’un pays par la force. Les masques sont tombés. Pour ne pas avouer ses intentions réelles, l’Amérique tente de s’en sortir avec le minimum de casse possible. Las des querelles, qui ont failli provoquer la cassure avec leur allié d’hier, et soucieux de préserver leurs intérêts, Paris, Berlin et Moscou encouragent désormais les efforts américains pour transférer rapidement la souveraineté aux Irakiens.

Aznar out, Bush et Blair en danger, le retour de manivelle
La première victime politique de la crise irakienne est incontestablement José Maria Aznar. Rattrapé par cette guerre irakienne au moment où il s’apprêtait à quitter la scène en beauté, le Chef du gouvernement espagnol sortant a tout perdu. Il a cherché à induire en erreur son peuple dans l’affaire des attentats terroristes de Madrid du 11 mars dernier, pour tenter de cacher que c’était la facture à payer de son engagement aux côtés de ses amis Bush et Blair dans l’expédition de Bagdad. Le peuple espagnol n’a pas pardonné le mensonge. À en croire les résultats des sondages d’opinion effectués aux États-Unis et en Grande-Bretagne, le Président américain et le Premier ministre britannique ne feront pas de vieux os à la Maison-Blanche et à Downing Street. Le mécontentement des Britanniques augmente régulièrement et ils sont de plus en plus nombreux à réclamer la démission de Tony Blair. Le danger est, par contre, imminent pour George Bush. À quelque six mois de l’élection présidentielle prévue pour le 4 novembre prochain, le candidat à l’investiture démocrate part avec les faveurs des pronostics. John Kerry est donné gagnant par les sondages.

La popularité de Bush, qui flirtait avec les 70% il y a un an, a fondu comme neige au soleil. Les derniers chiffres le situent tous en deçà de la moyenne. Plus d’un Américain sur deux ne lui fait plus confiance. C’est le résultat de calculs ne tenant pas compte de la réalité. Plus dure sera la chute.

K. A.

Un eldorado pour les firmes US

L’Irak est un eldorado pour les compagnies américaines qui se sont partagé les marchés de sa reconstruction. Ne laissant que des miettes pour les autres partenaires de la coalition. Les Américains ont commencé par s’adjuger le pétrole. Le clan des Texans, d’où Bush a puisé ses principaux collaborateurs, à leur tête Dick Cheney, son vice-président, a fait main basse sur l’or noir irakien immédiatement après la prise de Bagdad. D’ailleurs, tous les ministères avaient brûlé sauf celui du Pétrole ! La loi du butin de guerre a fonctionné pour tout le reste. La reconstruction des infrastructures que les Bush (père et fils) ont, tour à tour, détruites en 1991 et en 2003, est confiée également aux boîtes américaines. Le Pentagone, confirmant la perte de 274 GI’s depuis que Bush a déclaré la fin des hostilités, le 1er mai 2003, a annoncé simultanément, comme pour annihiler ce décompte macabre, l’octroi de deux méga-contrats à deux entreprises américaines pour des projets dans le domaine électrique. La remise en état des réseaux électriques et les réalisations de nouveaux projets sont confiés à Washington International Inc et Perini Corp qui se partagent le pays et un milliard de dollars. Auparavant, deux contrats, d’une valeur totale de 1,1 milliard de dollars, avaient été accordés à deux compagnies américaines : Fluor Amec pour des projets électriques et Washington International/Black and Veatch pour des infrastructures de base. Ces quatre contrats sont les plus gros attribués dans le cadre d’une première enveloppe globale de 5 milliards pour la reconstruction de l’Irak.

Des entreprises britanniques, des sociétés irakiennes, de Pologne et des Émirats arabes unis se sont vu offrir de très modestes contrats pour des projets de développement immobilier. Bush a promis de faire plus d’efforts en direction de partenaires ayant contribué à la guerre américaine en Irak, à la condition qu’ils mettent la main à la poche. Comme ils s’étaient engagés à Madrid (fin 2003), lors du sommet pour la reconstruction de l’Irak. La facture est évaluée à 55 milliards de dollars et le Congrès américain avait approuvé 18,4 milliards pour la partie américaine. Mais il n’y a pas que les Américains à engranger des dividendes. Les monarchies du Golfe ont eu leur part avec la hausse des prix et de la production de brut. L’Arabie Saoudite a enregistré un excédent budgétaire de 12 milliards de dollars en 2003, alors que depuis 1980, elle cumulait déficit sur déficit. Le Koweït, d’où la guerre est partie, termine l’année fiscale 2003/2004 avec un excédent de 5 milliards, également un record depuis 1980. Les autres monarchies pétrolières du Golfe (Émirats arabes unis, Qatar et Oman) ont connu d’identiques embellies financières. Cette région pourrait espérer davantage de prospérité à l’avenir, mais l’évolution de la situation en Irak reste un facteur d’incertitude pour ses régimes d’autant qu’ils sont fortement interpellés par Washington pour se réformer en optant pour les standards de la démocratie universelle.

Cela dit, les dividendes de l’invasion de Bagdad (chiffrées à 50 milliards) vont fondre comme neige. Bush a invité ces pays à effacer près de 70% des quelque 100 milliards de dettes et d’indemnisation de guerre que leur doit l’Irak.

En outre, les pétroliers du Golfe sont directement menacés par la reconstruction de l’Irak dont la pompe va prochainement fonctionner au top, une fois les infrastructures remises en l’état par les sociétés US. Les réserves prouvées en Irak sont de l’ordre de 112 milliards de barils.

Quel tribunal pour Saddam ?

Saddam Hussein, capturé le 13 décembre par l’armée américaine, sera jugé en Irak. Bush veut même précipiter son procès pour en faire un thème de campagne pour sa réélection, sérieusement contrariée par son rival démocrate, John Kerry. Le proclamant “prisonnier de guerre ennemi”, Bush a pris les devants, ne laissant pas trop de marge au gouvernement provisoire irakien qui, lui, avait souhaité se saisir du procès dans son intégralité. Les procureurs américains sont à pied d’œuvre à Bagdad.
Le Conseil de gouvernement provisoire irakien, se fiant à la décision de Bush de domicilier le procès de Saddam à Bagdad, a immédiatement fait état de préparatifs pour l’organiser. Deux semaines après l’arrestation de Saddam, le 13 décembre 2003, un membre influent du Conseil devait annoncer la nomination d’un staff, composé de cinq magistrats, d’une vingtaine de juges et d’une centaine d’assesseurs et enquêteurs, pour diligenter les enquêtes et établir les chefs d’accusation.

La procédure, à ses yeux, devrait prendre pas moins de six mois. Entre-temps, le Conseil, bien qu’installé par le proconsul américain Paul Bremer, a fini par ne plus taire les contradictions qui l’animent.
Ciblant de plus en plus d’irakiens, accusés de collusion avec l’occupant, la résistance qui, apparemment, aurait passé la main au terrorisme islamiste, est montée en flèche, occasionnant des pertes de plus en plus lourdes aux américains.

L’aggravation de la situation sécuritaire disloque le montage communautaire concocté par Washington. Kurdes, chiites et sunnites se regardent en chiens de faïence, chacun exigeant la mise en application de sa propre conception de l’Irak. Les chiites et les Kurdes, qui ont souffert le plus du saddamisme, exigent de juger eux-mêmes Saddam pour “crimes contre l’humanité et extermination de masses”, prouvant ainsi le bien-fondé de leurs velléités respectives à prendre le dessus dans le nouvel Irak.
D’accord sur l’accusation, ces deux principales communautés divergent quant à l’utilisation du procès. Pour les kurdes, il devrait servir à cautionner leur revendication d’un État fédéral dans lequel seront garantis leur spécificité socioculturelle et les champs pétrolifères de leur région.
Pour les américains, Saddam doit, certes, être jugé en Irak, mais selon leurs vœux.

N’ayant pas trouvé les fameuses armes de destruction massive, au nom desquelles il a envahi Bagdad, Bush pense que le procès de Saddam révélera des aveux qui estomperont ce grave mensonge qui plane sur sa tête comme l’épée de Damoclès et que ne manquera pas d’exploiter son rival démocrate durant la campagne électorale qui commence incessamment.

Le président américain a, dans cet esprit, ajouté un autre chef d’accusation contre Saddam : crimes de guerre, pour les déconvenues que ses Gi’s enregistrent quotidiennement sur le terrain.

Le procès de Saddam, tel qu’il est envisagé par les américains, constitue également une pièce maîtresse pour leur retour à la légalité internationale. En qualifiant Saddam de prisonnier de guerre, Washington s’applique - de fait - la convention de Genève, reconnaissant au CICR le droit de s’inquiéter des irakiens emprisonnés par son administration.

Le clan Bush

Les objectifs assignés à l’occupation irakienne sont maintenant suffisamment connus, comme le sont les hommes qui l’ont mis au point. On sait aujourd’hui que Bush décida d’envahir Bagdad dès son entrée en fonction à la Maison-Blanche, avant même les attentats du 11 septembre.
C’est une question de pétrole mais aussi de remodelage de tout le Moyen-Orient, et même plus, avec le tout nouveau projet de Grand-Moyen-Orient, qui court de la Mauritanie au Pakistan. Les hommes qui ont poussé à l’invasion irakienne s’étaient regroupés dans le Pnac (Projet du nouveau siècle américain). Un véritable bureau d’études stratégiques multidisciplinaires. On y trouve les sherpas de Bush : Paul Wolfowitz, Richard Perle, Norman Podhoretz, Francis Fukuy. Ses principaux collaborateurs, Dick Cheney et Donald Rumsfeld. Des généraux à la retraite.
D’anciens patrons de le Cia. Le magna de la presse people, Murdoch. Des pétroliers du Texas, et l’ensemble des milliardaires du complexe militaro-industriel. Une pléiade de décideurs néo-conservateurs, très liés à la droite chrétienne. Ultralibéraux et ultranationalistes. Des hommes qui ne se formalisent même pas dans la défense du nouvel hégémonisme américain qu’ils justifient, sans émoi ni retenues. Le Pnac a pris le relais de la fameuse Trilatérale qui avait réfléchi sur l’Amérique et le monde, à la fin de la décennie 1970 et, à qui, on lui impute la chute du mur de Berlin et la mondialisation.
Cette Trilatérale, coordonnée par Zbigniew Brezezinsky (ancien secrétaire d’État, conseiller de Bush), comptait parmi ses membres la fine fleur de l’intelligentsia américaine ainsi que les politiques les plus en vue, tels Henri Kessinger, Madeleine Albright... Le roman des armes de destruction massives et la campagne électorale pour la présidentielle du 2 novembre prochain ont fait sortir de leurs réserve et silence les anti-Bush. Les hommes du Pnac ont face à eux des “Bush Haters” qui s’expriment violemment. Des intellectuels, des artistes, des célébrités d’Hollywood, de redoutables journalistes, des businessmen et même des “repentis” républicains et anciens alliés de Bush, comme l’ancien secrétaire au Trésor, Paul O’Neil ou encore le journaliste vedette de la télévision Fox, O’Reily qui vient de regretter publiquement d’avoir soutenu la guerre en Irak.
Ils ont pris le parti de faire la promotion du démocrate John F. Kerry, donné vainqueur par divers sondages.

D. B.

Une armée de robes noires pour sa défense
Dès l’annonce de la capture de Saddam, des avocats se sont proposés pour assurer sa défense. Des irakiens, mais ce n’est pas la bousculade.
Cela se comprend. Des Jordaniens, près de six cents ! Apparemment, ce qui attire autant de robes noires dans ce pays, coincé entre Israël et l’Irak, ce n’est pas tant les retentissements attendus du procès que la cause elle-même. Très nombreux sont les jordaniens qui estiment que l’ex-Président est une victime de l’Amérique impériale. Le Président du barreau jordanien soutient que Saddam demeure le président légitime. Dans son esprit, l’occupation américaine est illégale. Les plus importantes manifestations, en pays arabo-musulmans, contre la guerre en Irak ont eu lieu à Amman.
L’union des avocats arabes, qui a toujours été inscrite aux abonnés absents quand il s’est agi d’interpeller les gouvernements arabes sur la démocratie et les droits de l’homme, a promis la constitution d’un comité de défense dès que seront connus le tribunal et les charges retenues contre Saddam. Parmi les avocats vedettes des grands barreaux occidentaux, le français Me Vergès s’est immédiatement déclaré prêt à assumer la défense du président irakien déchu, au nom du droit à la défense. Cet avocat, spécialisé dans les dossiers très médiatiques, dit attendre une invitation de la part des filles de Saddam. La liste est ouverte...

K. Abdelkamel et D. Bouatta , Liberté