Accueil > ECONOMIE > Ispat ou l’histoire d’un partenariat réussi

Ispat ou l’histoire d’un partenariat réussi

dimanche 23 janvier 2005, par Hassiba

On disait du complexe d’El-Hadjar qu’il est un géant aux pieds d’argile. Depuis sa reprise par les Indiens, il est devenu un géant aux pieds d’acier”.Cette réflexion du syndicaliste Smaïn Kouadria en dit long sur l’opinion générale des travailleurs d’Ispat Annaba - rebaptisé depuis peu Mittal Steel Annaba - sur la reprise du complexe par les Indiens.

Une opinion partagée par des syndicalistes et travailleurs d’autres unités du complexe d’El-Hadjar. Rencontrés dans le bureau de Smaïl Koudria, chargé des conflits du syndicat d’Ispat, des syndicalistes de différentes unités (Alfatus, Ensid, Hores, Indus Net,...) ainsi que le secrétaire général du syndicat Sider, ne jurent que par le partenariat. “Nos entreprises sont dans le statu quo. Bien qu’on produise, on n’arrive pas à écouler la production. Depuis 2002 jusqu’à ce jour, les salaires sont payés par l’excèdent financier de l’ex-holding Sid Met. Si dans un proche avenir, elles n’entrent pas en partenariat, elles seront toutes fermées”, prévient Abdelhamid Houamri, secrétaire général du syndicat du groupe Sider. Mohamed Salah Dahou, SG du syndicat d’Alfatus abonde dans le même sens. “Pas de solution en perspective. Si la situation reste en l’état, on va directement vers le dépôt de bilan”, soutient-il. Un paradoxe que des syndicalistes revendiquent, bec et ongles, une option de privatisation ? Peut-être. Ceux d’El-Hadjar, eux, se veulent pragmatiques. L’exemple d’Ispat est devant leurs yeux. “Toutes les unités reprises par Ispat sont restructurées. Il y a la pérennité de l’activité, une augmentation de la production, le relèvement des salaires, l’amélioration des conditions de travail... En outre, Ispat ne vend pas seulement pour Sonatrach. Elle exporte aussi”, explique Houamri. “C’est du concret. Nous voyons les avantages dont les travailleurs d’Ispat ont bénéficié. Alors que nous sommes en train d’agoniser. Nous voulons être affiliés à Ispat”, ajoute M. Dahou.

Partenariat : de l’appréhension à “l’enthousiasme” Pourtant, avant octobre 2001, la perspective de la reprise d’une partie du complexe par Ispat LNM a suscité les pires craintes. Les travailleurs comme les cadres, ils ont eu tous peur pour leur poste d’emploi. Pour eux, privatisation ne rimait qu’avec compression d’effectifs. “Il nous a fallu organisé plus de 300 assemblées générales avec les travailleurs pour leur expliquer l’inexorabilité du partenariat”, se rappelle M. Aïssa Menadi, SG du syndicat de l’entreprise. “Au départ, les travailleurs ont des appréhensions quant à une éventuelle compression. Maintenant, il y a une maturité d’esprit. Le travailleur croit réellement à son travail. Le syndicat y est pour beaucoup”, témoigne, pour sa part, M. Bouterfa, chef du personnel de la zone Fonte. “Au début, il y avait beaucoup de crainte. C’est normal, c’était l’inconnu pour les travailleurs comme pour les cadres. On ne voyait que l’aspect négatif. La première année beaucoup ont quitté le complexe. Ce sont des gens qui ont vécu dans le secteur public et qui ont perdu en quelque sorte la notion du travail. Je pense qu’aujourd’hui les craintes se sont dissipées et les gens sont beaucoup plus motivés. Les salaires se sont nettement améliorés comparés aux années précédentes”, explique M. Mohamed Guedha, directeur des ressources humaines. Nombre de raisons expliquent le changement d’opinion des employés d’Ispat à l’égard du partenariat. “Tous les engagements pris par le groupe sont respectés”, explique M. Guedha.

Le syndicaliste Aïssa Menadi pense la même chose. Il dit n’avoir totalement adhéré au processus qu’une fois vu le partenaire concrétiser ses promesses en matière de préservation de l’emploi, d’investissement,... Mais les avantages matériels, c’est-à-dire l’augmentation des salaires, est l’élément le plus déterminant dans la dissipation des craintes. Elle est de l’ordre de 60%. Le salaire moyen est de 25 000 DA. “Ce partenariat est bénéfique dans la mesure où la fermeture du complexe était presque irréversible. Aujourd’hui, il tourne et l’appréhension s’est dissipée. Maintenant, il y a l’espoir. Ceux qui comprennent quelque chose à l’économie vous diront que c’est salutaire. Les travailleurs d’Ispat sont jalousés. ça devient alléchant en matière de retraite, de salaire...”, indique M. Bouterfa. M. Merniche, directeur des laminoirs, se souvient qu’avec l’entrée en production du nouveau laminoir, certains ont touché une prime de démarrage de 70 000 DA. Rencontré dans le 2e haut-fourneau, Mahmoud, ancien pontier, 29 ans de travail, témoigne : “Aujourd’hui, c’est tout le monde qui travaille. Nous percevons un bon salaire”. Un jeune collègue à lui pavoise : “J’ai à peine 3 ans ici et je touche un salaire de 25 000 DA”. Amar, électricien, 32 ans de travail, ajoute : “Auparavant, il y avait du matériel. Aujourd’hui, c’est rationalisé. Toute sortie d’une quelconque pièce doit être justifiée. Question salaire, ils sont nettement meilleurs que ceux que nous percevions du temps de Sider”. Ceci dit, certains travailleurs du premier haut- fourneau, ceux du plancher surtout où les conditions de travail sont très pénibles, à l’image de cet ancien syndicaliste, ne partagent pas cet optimisme ambiant.

Minimisant les acquis, il estime que rien n’a changé, en matière de conditions de travail essentiellement. Sur cette question, d’autres soutiennent le contraire. Pour beaucoup, les “Indiens” sont très regardant sur la sécurité des travailleurs. “Les Indiens ne badinent pas avec la sécurité. Personne ne peut descendre dans le plancher sans se munir des effets de sécurité et la présence d’agents”, témoigne le secrétaire général du syndicat des hauts- fourneaux. Attestant ses propos, Abbas, mécanicien dans le 2e haut-fourneau, dira : “Auparavant, l’agent de sécurité restait dans le bureau. Aujourd’hui, il est dans l’obligation d’accompagner les travailleurs qui s’apprêtent à accomplir une tâche difficile, dans le plancher où, là, il y a risque de fuite de gaz, pour superviser l’opération”. Ils ont aussi instauré l’obligation de la visite médicale. Pour l’année 2005, quelque 10 milliards de centimes seront déboursés pour... améliorer les conditions de travail dans les ateliers (sanitaires, douches, réfectoire...). Mais les avantages de ce partenariat ne se résument pas aux seuls acquis pécuniaires. “Il y a du bon dans le partenariat. L’avantage est qu’on est lié avec un groupe mondial dont l’expérience nous est très bénéfique. En matière d’investissement dans l’homme, quelque 3 000 personnes ont bénéficié de formation et 70 autres ont été envoyés à l’étranger dans les usines d’Ispat. En matière de procédure de gestion, il y a échange d’un certain savoir-faire”, explique M. Guedha. Chaque année, dans un pays étranger donné, des rencontres techniques sont organisées pour les spécialistes de chaque domaine. “Il y a un échange d’informations techniques grâce à Iroum, un système d’informations interne du groupe. Cela facilite la communication et la résolution de problèmes techniques. ça a son pesant d’or”, ajoute M. Brahim Merad, directeur des opérations. Pour ce dernier, la venue d’Ispat a un impact positif sur l’environnement (les banques, douanes,...). Et ce, sans parler d’un réseau de sous-traitants qui s’est créé autour du complexe. Des microentreprises créées, dans leur grande majorité, par... d’anciens cadres du complexe.

Modernisation des équipements pour augmenter la production Depuis la reprise du complexe, Ispat NLM a investi une centaine de millions de dollars. En 2005, il y aurait un investissement de 20 millions de dollars, nous révéla Brahim Merad. “Pour les trois ans à venir, la stratégie du groupe consiste en la modernisation des installations pour l’amélioration de la production. C’est-à-dire la mise à niveau technique et technologique de toutes les unités de production et l’automatisation de tout le système. Chaque année quatre unités - le complexe compte une dizaine - sont ciblées. L’objectif ? Augmenter les capacités de production. En 2007, le complexe aura son 3e laminoir d’une capacité de 600 000 tonnes. Les responsables du complexe tablent sur une production de 44 000 tonnes/jour pour atteindre les objectifs tracés en matière de production”. Virée, en compagnie de M. Merniche, dans le nouveau laminoir à chaud, un véritable joyau technologique. Ispat a investi quelque 11 millions de dollars pour la finalisation des travaux de ce projet lancé en 1997 par Sider et Vost Alpine. “C’est une technologie récente, 7e génération. Toute la chaîne est automatisée. Pas d’effort physique de l’enfournement jusqu’à l’expédition du produit fini. Le processus est suivi avec du matériel informatique. Les installations sont sécurisées de manière automatique. Toute anomalie est vite détectée. Pour son fonctionnement, au moins 34 travailleurs, toutes catégories confondues, sont formés en Italie”. “S’ils veulent construire un autre laminoir c’est qu’ils comptent gagner au moins 80% des parts du marché national du rond à béton. Avec l’entrée en production de l’ancien laminoir, on a presque doublé la production. De 190 000 tonnes l’année dernière on atteint cette année 300 000 tonnes. Pour le moment, on détient 40% des parts du marché. Présentement l’exportation n’est pas notre priorité. Car le rond à béton coûte plus cher ici qu’à l’étranger. Parce qu’il y a une forte demande du fait de l’essor du bâtiment”, ajoute-t-il.

Rigueur, discipline et nouvelles méthodes de gestion À peine s’apprête-t-on à s’introduire dans le gigantesque complexe qu’on est déjà mis au parfum de son organisation. Pour y accéder, deux sésames sont nécessaires : une fiche de réception et un badge. “Finis les temps du laisser-aller. Maintenant, c’est strictement organisé”, remarque, avec une pointe de fierté, notre “éclaireur”, le syndicaliste Smaïn Koudria. Tout le monde s’accorde à dire que les Indiens sont très à cheval sur la discipline et la rigueur. “Ils sont très pragmatiques. Si vous décidez, par exemple, d’augmenter la production, il faut clairement spécifier comment et où l’écouler. De chaque responsable, il est exigé obligation de résultat”, se confie un responsable du marketing. À ce propos, un cadre nous a révélé qu’une vingtaine d’Indiens sont renvoyés chez eux pour absence de résultats. Certains ne sont restés à El-Hadjar... qu’un mois. “Auparavant, c’était la pagaille totale. Ce n’est plus le cas maintenant. Il y a plus de rigueur et de discipline. L’absentéisme est sévèrement sanctionné”, soutient ce chef de bureau du département gestion du personnel. Son responsable hiérarchique, M. Bouterfa a observé, quant à lui, “un comportement plus discipliné” chez les travailleurs. “Du temps du secteur public, c’était par pointage qu’on notait la présence des travailleurs. C’était très facile de couvrir les absences. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Chaque travailleur est doté d’une carte magnétique qu’il présente avant et après le travail”, estime Kouadria. La touche des Indiens s’est exprimée aussi au niveau du management... “Aujourd’hui, la concrétisation d’un projet nécessite à peine 18 mois. Par le passé, une telle période est consacrée à la seule maturation du projet”, explique M. Brahim Merad. “Autrefois, vous pouvez avoir une fonction mais sans une délégation de pouvoir à la mesure de vos responsabilités. Ce qui n’est plus le cas. Vous êtes à un niveau de responsabilité donné, vous avez le pouvoir y afférent”, poursuit-il. Pour sa part, M. Merniche, directeur des laminoirs, estime que l’avantage avec les Indiens est qu’un responsable a toute la latitude d’augmenter un travailleur s’il juge son rendement positif. Mais ce dernier refuse de dénier les qualités de gestionnaires aux Algériens. À ses yeux, c’est le système économique lui-même qui est en cause. Un système ruineux pour un pays aux potentialités matérielles et immatérielles indéniables.

En chiffres... Le complexe sidérurgique d’El-Hadjar, sis à la zone industrielle de Sidi Amar à une dizaine de kilomètres de Annaba, d’une superficie de 800 ha, compte 22 filiales. En octobre 2001, Ispat a repris, à hauteur de 70%, une dizaine, dont Alfasid le cœur du complexe. Mais il ne désespère pas de prendre sous sa coupe ce géant de la sidérurgie nationale, le plus grand en Afrique et dans le monde arabe. De 10 400 travailleurs, l’effectif d’Ispat-Annaba ou Mittal Steel est redescendu à 9 000 après de nombreux départs à la retraite anticipée ou non. Encore qu’il a procédé à un recrutement de 900 employés.

Par Arab Chih, Liberté