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Kingdom of Heaven

mardi 3 mai 2005, par nassim

Le dernier film du réalisateur britannique Ridley Scott, Kingdom of Heaven, est un concours de tolérance entre un chevalier bâtard et un sultan pragmatique.

"Dieu le veut !" , aurait dit le

Kingdom of Heaven de R. Scott.

pape Urbain II en 1095 pour lancer l’Europe chrétienne à la reconquête de la Ville sainte de Jérusalem. Il s’ensuivit huit croisades, étalées sur plusieurs siècles. Celle dont s’inspire ici Ridley Scott est la troisième. Le guerrier kurde Saladin est devenu vizir d’Egypte, puis sultan, a investi Damas, la capitale de la Syrie. Ce personnage charismatique est poussé par les musulmans les plus revanchards à bouter les chrétiens hors de Palestine. Mais entre Saladin et Baudouin IV, le roi chrétien de Jérusalem, règne une entente sacrée. L’un et l’autre veillent à préserver l’harmonie entre habitants de confession chrétienne, musulmane et juive. Baudouin, cependant, est rongé par la lèpre, et son autorité fragilisée par des va-t-en-guerre impatients de massacrer les sarrasins.

C’est dans ce contexte, à l’heure où les pacifistes ont de plus en plus de mal à contenir les extrémistes, que Ridley Scott parachute son héros : Balian, jeune forgeron français, excommunié pour avoir trucidé un prêtre intégriste, adoubé chevalier par le sieur Godefroy d’Ibelin dont il était le fils illégitime. Envers et contre tout, le bâtard va se révéler digne des valeurs que lui a transmises son père : protéger les faibles, sauvegarder la paix, oeuvrer au respect entre religions. Désigné comme dauphin par Baudouin, il repoussera toutes tentations indignes et fera preuve d’une intégrité sans faille pour sauver Jérusalem de la destruction. "L’homme n’est homme que s’il améliore le monde."

Ce chevalier sans peur et sans reproche, s’interdisant "toute vaine jactance" comme aurait dit Georges Duby, est de la trempe des irréductibles idéalisés par Ridley Scott : Harrison Ford résistant à l’emprise des robots dans un Los Angeles transformé en cloaque (Blade Runner), Sigourney Weaver terrassant le monstre surgi de l’intersidéral (Alien), Russell Crowe resurgissant de l’anonymat des arènes pour affronter l’empereur démoniaque (Gladiator).

A Jérusalem, le séduisant Balian (Orlando Bloom) conquiert sa rédemption d’un passé funeste en se montrant héroïque, tant comme maître de guerre que comme soupirant de la belle Sibylle (Eva Green), la soeur du roi Baudouin, mariée à un épouvantable sire.

Soin apporté aux décors et costumes, à l’homérique scène aux cours de laquelle les troupes de Saladin assiègent Jérusalem. Composition des images, plans d’ensemble impressionnants, visages à l’expressivité douloureuse (même Baudouin, affublé d’un masque d’argent, fait l’objet d’une réflexion sur les ravages insidieux exercés par le temps et la souffrance à l’encontre des corps). La mise en scène confirme la maîtrise de l’un des plus habiles cinéastes en matière de grand spectacle. Kingdom of Heaven est un magnifique divertissement qui ne s’offre aucune concession : ni surenchère dans les violentes scènes de combats ni racolage dans la peinture de l’idylle entre Balian et sa sculpturale ensorceleuse.

Seule faute de goût : la composition un rien guignolesque de Brendan Gleeson, qui incarne le sieur Renaud de Châtillon. On sait cet excellent acteur porté sur le cabotinage, mais il se trouve qu’il est investi ici d’un rôle-clé : celui du chef de guerre, cupide et sanguinaire, qui rompt le pacte de tolérance entre chrétiens et musulmans et provoque la fameuse bataille de Hattin.

Il se trouve que, comme son complice, l’ignoble Gui de Lusignan (époux de Sibylle), Châtillon est un templier. Au mépris de la vérité historique (Guillaume le Maréchal ne s’illustra-t-il pas quelque temps plus tard comme un représentant de cet ordre, capable de prouesses et largesse ?), les templiers sont dépeints ici comme des fanatiques. Hier accusé d’avoir fait l’apologie des faucons et de préparer l’opinion publique aux inéluctables opérations sanglantes de l’armée américaine au sein des cités du tiers-monde (La Chute du faucon noir), Ridley Scott se dédouane dans Kingdom of Heaven de toute suspicion d’être un porte-parole de la Maison Blanche et du Pentagone.

Tous les "grands" dirigeants arabes, de Nasser à Kadhafi, se sont nourris du souvenir des croisades, et Saddam Hussein se posait en nouveau Saladin. De leur côté, héritiers des colons puritains débarqués en Nouvelle-Angleterre au début du XVIIe siècle qui voyaient en l’Amérique la "Nouvelle Jérusalem" , Bush père et fils ont invoqué Dieu pour justifier la guerre du Golfe et la guerre d’Irak. Diabolisant Saddam Hussein, ce Darth Vador du Moyen-Orient, les faucons américains s’apparentent aux templiers du film (la cupidité de Châtillon renvoyant à celle des affamés de pétrole). Il arrive qu’Hollywood se pose vis-à-vis de l’Etat en contre-pouvoir.

Par Jean-Luc Douin, lemonde.fr

"Kingdom of Heaven" : Film américain de Ridley Scott avec Orlando Bloom, Eva Green, Jeremy Irons, Liam Neeson, David Thewlis, Brendan Gleesson. (2 h 25.)