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L’AIE prône des mesures drastiques pour économiser le pétrole

samedi 2 avril 2005, par Hassiba

Le titre donne, à lui seul, le ton et l’enjeu : "Saving Oil in a Hurry" ("Dépêchons-nous d’économiser le pétrole"). Dans une étude révélée, vendredi 1er avril, par les journaux espagnol Expansion et britannique Financial Times, l’Agence internationale de l’énergie (AIE), qui rassemble 26 pays de l’OCDE, recommande aux pays consommateurs de se préparer à restreindre leur consommation de pétrole.

Le marché est aujourd’hui très tendu, comme en témoigne l’envolée des cours, et la moindre crise ­ un conflit, une grève, ou encore un attentat ­ pourrait se traduire par une baisse immédiate de l’offre, de 1 à 2 millions de barils par jour, qui le déséquilibrerait encore plus.

L’ouvrage sera rendu public le 28 avril, à la veille de la réunion, à Paris, les 2 et 3 mai, des ministres de l’énergie des pays membres de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE). Réalisé sous la direction de Lew Fulton, l’expert du secteur des transports à l’AIE, il invite les gouvernements à préparer une série de mesures ­ parfois drastiques ­ qui pourraient alors être mises en oeuvre : réduction de la vitesse à 90 km/h sur les autoroutes et création de voies spéciales pour le covoiturage ; baisse des tarifs ou gratuité des transports publics ; circulation alternée durant certaines périodes ; raccourcissement de la semaine de travail ; incitation au télétravail pour limiter les déplacements professionnels.

Le travail de l’AIE passe en revue ces mesures, déjà appliquées dans certains pays, et évalue leur rapport coût/efficacité, sans se cacher que certaines seront difficiles à appliquer. Elles permettraient d’économiser jusqu’à 1 million de barils par jour. Et prendraient donc tout leur sens "durant les périodes prolongées où les prix du pétrole sont élevés". Aussi surprenant que puisse paraître ce programme, digne d’un parti écologiste, l’Agence est dans son rôle : elle a toujours préconisé des économies d’énergie. Mais elle estime, aujourd’hui, qu’il faut passer à la vitesse supérieure. " Nous mettons une série de recettes à la disposition des pays consommateurs. Il faut redevenir très ambitieux sur les économies d’énergie", oubliées depuis le choc pétrolier de 1979, explique son directeur exécutif, Claude Mandil. Le pétrole n’est pas seul en cause : l’AIE publiera, dans les prochains mois, un ouvrage sur l’électricité (Saving Electricity in a Hurry, "Dépêchons-nous d’économiser l’électricité").

"L’ESPRIT DES ANNÉES 1970"
Créée à l’instigation du secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger en 1974, au lendemain du premier choc pétrolier (la France n’y entrera qu’en 1991), l’AIE a notamment pour mission de veiller à la sécurité de l’approvisionnement en produits pétroliers des pays de l’OCDE. Et d’assurer une gestion coordonnée de leurs stocks stratégiques ­ qui doivent représenter 90 jours d’importations ­ dans lesquels les pays puisent en cas de forte baisse des fournitures.

Sans être alarmiste, le ton de l’AIE a pourtant changé ces derniers mois, à mesure que se confirmait la montée inexorable des cours du brut. Le marché pétrolier est ­ et restera ­ tendu encore longtemps. Principale raison : la poursuite d’une forte progression de la demande aux Etats-Unis et en Asie, en dépit de prix élevés, même si celle de la Chine, deuxième consommateur d’or noir de la planète, a fléchi ces dernières semaines. L’AIE prévoit d’ailleurs qu’en 2005, la demande de pétrole progressera encore de 2 %, pour atteindre 84,3 millions de barils par jour.

Dans ce contexte, un recul de l’offre de 2 millions de barils par jour ne manquerait pas de créer de nouvelles tensions. Cela équivaudrait à l’effet de l’intervention américaine en Irak en 2003. Celle-ci avait fait chuter la production mondiale de 3 %, une mini-crise surmontée grâce à un accroissement équivalent de la production de l’Arabie saoudite.

"Les marchés disent que les prix peuvent encore augmenter, puisque la demande ne baisse pas", déplore M. Mandil. Ce que l’étude dit autrement : "une réponse rapide" des pays importateurs en matière d’économies d’énergie donnerait "un signal fort au marché", indique son auteur. Il ajoute qu’"une baisse de quelques pour cent seulement de la demande de carburant dans les transports pourrait refroidir la flambée des cours mondiaux du pétrole". Ce sont en effet les transports qui absorberont une part croissante de la production pétrolière : 55 % prévus en 2030 (contre 35 % en 1971), selon l’AIE.

Le gouvernement français reste fort timide dans ce domaine. En octobre 2004, lorsqu’il était ministre des finances, Nicolas Sarkozy avait appelé les Français à "retrouver l’esprit des années 1970", celle de la fameuse "chasse au gaspi". Mais le projet de loi d’orientation sur l’énergie, voté en deuxième lecture le 30 mars par les députés, n’en porte pas trace : il ne cible que les fournisseurs d’électricité. Quant à la loi de finances 2005, elle prévoit seulement un crédit d’impôt, représentant 40 % du coût de l’installation, pour les équipements domestiques fonctionnant avec des sources d’énergie renouvelables comme le solaire et les chaudières à bois.

Au pays de l’automobiliste-roi, le gouvernement n’ose pas prendre de mesures drastiques visant les transports, le secteur le plus polluant mais aussi où il n’existe pas de réels substituts aux hydrocarbures. Dans son plan climat, présenté en juillet 2004, il avait renoncé à introduire un bonus-malus écologique destiné à pénaliser les grosses cylindrées, consommant beaucoup d’essence ou de gazole et émettant de fortes quantités de CO2. Il n’avait pas davantage retenu l’idée de ramener la vitesse maximale sur les autoroutes de 130 km/h à 120 km/h. Il semble donc peu probable que les recommandations de l’AIE reçoivent un écho favorable en France, au-delà de l’accueil diplomatique d’usage.

Par Jean-Michel Bezat, lemonde.fr


Nouveau record du brut à New York

Les cours du baril de pétrole brut ont atteint un nouveau record ­ 57,70 dollars ­ vendredi 1er avril, sur le marché de New York. Une panne électrique venait de paralyser momentanément une raffinerie vénézuélienne. L’approvisionnement n’a finalement pas été affecté, mais le marché s’est une nouvelle fois montré hypersensible. Jeudi, les cours du brut avaient déjà bondi à la suite de la publication d’une analyse de Goldman Sachs. La banque d’affaires y indique que "les prix du pétrole se trouvent au début d’une période de fortes poussées de fièvre". Elle se dit "surprise" que la hausse du baril n’ait entamé ni la vigueur de la croissance économique, notamment en Chine et aux Etats-Unis, ni la demande de pétrole. Surtout, elle estime que le baril pourrait, à terme, atteindre 105 dollars, alors que son précédent plafond était à 80 dollars. Elle n’envisage pas que le cours du baril puisse redescende sous les 50 dollars. Entre la persistance d’une forte demande et des coûts structurels d’exploitation en hausse, Goldman Sachs ne relève que des pressions à la hausse.