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L’Algérie et les ambiguïtés des rapports Europe-OTAN

jeudi 2 décembre 2004, par Hassiba

La visite du secrétaire général de l’OTAN, la semaine dernière, en Algérie coïncide avec le 10ème anniversaire du lancement du cadre de concertation entre l’Alliance atlantique et les pays du sud et de l’est de la Méditerranée, dit Dialogue méditerranéen (DM).

Elle intervient à quelques jours d’une réunion des ministres des Affaires étrangères des pays de l’Alliance et du Dialogue méditerranéen prévue, à Bruxelles, le 8 décembre prochain. Concernant la dynamique, les objectifs et les étapes du dialogue entre l’Algérie et l’OTAN, ainsi que sa restitution dans son cadre méditerranéen du DM, il est fort utile de revenir au très synthétique et édifiant article de l’ambassadeur d’Algérie à Bruxelles M. Halim Benattallah, paru dans « Le Quotidien d’Oran » édition du 25/11/2004.

Mon propos est autre. Il a trait à une tentative de cerner l’articulation qu’il y aurait entre les différents projets et initiatives de sécurité qui concernent les régions méditerranéenne et du Grand Moyen-Orient, dans la mesure où l’Algérie y est partie prenante, principalement au titre de son appartenance à ces deux ensembles géopolitiques qui se chevauchent. C’est bien d’une tentative dont il s’agit et il est bien pertinent, et non seulement prudent, de mettre le conditionnel lorsqu’il est question d’une « articulation » entre les différentes initiatives pour la région (OTAN, Union européenne, Etats-Unis à titre unilatéral) à telle enseigne que les meilleurs spécialistes n’arrivent pas à démêler la part de l’antagonisme de celle de la complémentarité entre toutes ces ébauches de grands desseins pour ce vaste ensemble riverain de l’Europe du Sud.

OTAN-Europe de la défense : double emploi, complémentarité ou les deux en même temps ?
La question se pose d’autant plus que le partenariat euro-méditerranéen entre l’Union européenne et les pays du sud et de l’est du bassin méditerranéen est doté d’un volet politique ayant trait à la sécurité et à la stabilité dans la région. Elle se pose avec autant d’insistance quand on sait que les Etats-Unis mènent en aparté des initiatives bilatérales et multilatérales avec les pays de la région du « Grand Moyen-Orient » et que le tout a pour arrière-fond des tiraillements, certes bien contenus et gérés, entre les Etats-Unis et l’Union européenne et, d’un autre côté, entre l’OTAN et le projet européen de sécurité et de défense (PESD).

Pour rappel, l’Union européenne a, depuis plusieurs années, initié une politique commune de sécurité et de défense (PESD) vue d’un oeil méfiant par les Etats-Unis. Elle s’est concrétisée par la mise en place de certains programmes militaires et de sécurité communs tels que l’Agence européenne de défense (AED) et le projet de gendarmerie européenne. Les avancées de cette Europe de la défense sont le résultat de compromis trouvés, au fil du rasoir, entre des pays (France, Allemagne) qui veulent aller de l’avant dans la concrétisation d’une défense européenne commune et ceux qui comme le Royaume-Uni font tout pour que la PESD ne soit un rival de l’OTAN, ni ne remet en question les liens stratégiques privilégiés avec les Etats-Unis.

L’ambiguïté dans les rapports entre l’OTAN et l’Europe de la défense, souvent confirmée par les faits, est récemment confortée par deux événements survenant dans la même période que la visite du secrétaire général de l’OTAN, M. Scheffer, en Algérie.

L’Union européenne a, en effet, annoncé la création de 13 groupements tactiques d’intervention appelés à accomplir des missions humanitaires et de maintien de la paix, en cas de crises survenant dans un rayon de 5.000 km. D’un autre côté, l’annonce qu’une force de l’Union européenne composée de 7.000 soldats succédera, en Bosnie, à la force de stabilisation de l’OTAN (SFOR), à partir de ce jeudi 2 décembre. Dès lors, se pose la question des chevauchements de compétence entre les deux organismes et celle de la double casquette, surtout que la quasi-totalité des pays de l’Union européenne sont membres de l’OTAN.

Les choses demeurent gérées par des équilibres très pointus et des solutions « sui generis ». Ainsi, il est prévu qu’un contingent des forces de l’OTAN restera en Bosnie et que ce dernier continuera à avoir mandat pour traquer les criminels de guerre recherchés par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. En même temps les forces de l’Union européenne pourront traquer à leur tour les mêmes criminels. Ils useront, aussi, des moyens opérationnels et de planification de l’OTAN, à Sarajevo, en vertu des arrangements dits de « Berlin plus » qui posent le cadre de coopération entre l’OTAN et la PESD.

Pour le moment, il semble que les Britanniques veillent à ce jeu d’équilibrisme, à travers certains choix. Le chef de la force européenne en Bosnie est britannique ; de même le commandant opérationnel de cette force, qui de plus est numéro deux du quartier général des forces de l’OTAN basé en Belgique. Dans la même logique, le chef de l’Agence européenne de défense (AED), qui s’occupe de mettre en place des projets industriels, militaires complémentaires et intégrés entre les pays de l’Union européenne dans le cadre de la PESD, est aussi un Britannique. Est-ce une garantie demandée par les Etats-Unis ?

Concernant les rapports de concertation avec les pays méditerranéens, dont l’Algérie, on n’en est pas encore véritablement dans une logique de télescopage entre les deux stratégies, de l’OTAN et de l’Union européenne. Le volet politico-sécuritaire du partenariat euro-méditerranéen reste à un niveau relativement moins avancé.

Les cercles concentriques de la sécurité régionale et internationale
L’Algérie est donc, simultanément, membre de plusieurs mécanismes et forums de concertation avec les organisations et les pays occidentaux ; le Dialogue méditerranéen avec l’OTAN dit des « 26+7 », le partenariat euro-méditerranéen, le cadre de concertation des « 5+5 » regroupant les pays du bassin occidental de la Méditerranée, l’initiative américaine du Grand Moyen-Orient. Tous ces mécanismes étant dotés essentiellement ou pour une part importante d’un volet de coopération sécuritaire, il est d’une grande importance d’interpeller la cohérence de cette multiple appartenance.

La première remarque qui se dégage de l’examen de ces différents mécanismes est qu’ils esquissent une configuration de cercles concentriques, tant d’un point de vue géographique que d’un point de vue fonctionnel. C’est comme s’il y avait un principe de « subsidiarité » implicite qui fait que chaque forum ou mécanisme s’occupe des questions de proximité qui lui sont directement dévolues, qui sont en même temps à la mesure des objectifs qu’il s’est fixés et des moyens qu’il a mis à contribution. Le tout étant intégré dans la logique plus globale du cercle, immédiatement, plus large.

Cette articulation est clairement apparente, par exemple, dans le traitement de la question de l’immigration clandestine, qui est un problème sécuritaire, et des autres dossiers à l’ordre du jour, dans le cadre des « 5+5 ». Les pays européens immédiatement concernés débattent avec les cinq pays de la rive sud. L’Union européenne s’en saisit, en aval et en amont, pour intégrer les résultats des pourparlers à sa politique générale.

Evidemment, cette schématisation de l’agencement entre les différentes stratégies sécuritaires institutionnelles ou intergouvernementales connaît des contre-exemples dans la pratique, surtout à l’occasion de discordances comme celle qu’a eu pour théâtre la dernière guerre d’Irak ; mais elle a le mérite de rendre compte d’un certain partage des tâches plus ou moins clair entre ces différents mécanismes tant sur le plan strictement régional que celui plus global. Cette logique de partage des tâches est particulièrement vraie au regard de l’un des plus importants objectifs, aussi bien de l’OTAN que de l’Europe de la défense. Il s’agit de la gestion des crises.

Ainsi dans l’exemple, pas si lointain géographiquement, du relais qui sera passé par l’OTAN à l’Union européenne, en Bosnie, il est bien question de la fin d’une étape dans le processus de construction de la paix, où l’imposante présence de l’OTAN était nécessaire, et le début d’une autre où les Européens sont mieux à même de contrôler seuls la situation dans l’une de leurs sous-régions immédiatement voisine.

Conquérir une place naturelle dans l’architecture de la sécurité régionale
Au regard de leur projet sécuritaire, les grandes attentes de l’OTAN (mais également de l’Union européenne et des Etats-Unis à titre unilatéral) à l’endroit de l’Algérie concernent des domaines très variés où la position géographique et géopolitique du pays, son expérience passée et ses positions politiques sont de grands atouts qui en font un partenaire central. Ainsi sur ce dernier aspect des positions, l’Algérie qui a renoncé officiellement, au début des années 90, à toute intention d’usage de l’énergie nucléaire à des fins autres que civiles, offre des garanties qui en font un partenaire sûr dans l’objectif de lutte contre la prolifération des armes de destruction massive.

Le savoir-faire algérien dans la lutte contre le terrorisme et de la coopération en matière de renseignement n’étant plus à démontrer, une dimension importante reste, cependant, peu mise en lumière, bien que prise en considération par les partenaires occidentaux. L’Algérie avait, en effet, joué un grand rôle dans la résolution et la gestion de crises du type de celles qui ont une importance stratégique pour les objectifs sécuritaires euro-atlantiques. Concernant les crises ayant touché la région africaine, à titre d’exemple, l’Algérie a apporté la contribution qu’on connaît dans la résolution du conflit entre l’Ethiopie et l’Erythrée. Moins voyant mais bien utile a été, aussi dans un passé moins récent, son apport dans la fin des hostilités entre la Libye et le Tchad concernant « la bande d’Aouzou » et la décision de porter le différend devant la Cour internationale de justice.

Dans une optique de rôle régional majeur dans la résolution et la gestion des crises, la contribution algérienne qui constitue, sans conteste, un modèle au regard du type de conflits prévisibles dans le futur selon l’Union européenne et l’OTAN, est bien celle de la part très active qu’a prise notre pays dans la pacification du conflit entre le Mali voisin et le Mouvement unifié des Touaregs maliens de « l’Azawad ». Ce rôle moteur oublié de l’Algérie, est certainement pris comme exemple au sein des cellules de prévision et de gestion de crises de la PESD et de l’OTAN.

C’est l’exemple du type même de conflit non classique, évoluant de la basse intensité à la moyenne intensité car appelé à avoir des répercussions régionales et internationales, que les stratèges de ces deux institutions visent à contenir, en modélisant et en optimisant sa gestion.

Dans le cas du conflit entre l’Etat malien et les rebelles de « l’Azawad », l’Algérie, en tant que médiatrice, devait pour réussir faire montre de connaissance profonde du terrain et des acteurs, de confiance et d’impartialité reconnus par les belligérants, de sens des négociations pour le cessez-le-feu, puis pour trouver une issue politique durable, puis du passage du volet de maintien de la paix à celui de sa construction, et du passage du militaire au civil, notamment en reconnaissant des droits politiques, en finançant des projets de développement pour les régions nord du Mali touchées par le conflit et en octroyant des bourses à des jeunes issus des régions de Touaregs maliens. Bref, toute la panoplie et les étapes de la gestion moderne de la fin d’un conflit et de la construction d’une paix durable.

Sur un grand nombre de ces objectifs, concernant le rôle de l’Algérie, les intérêts de l’OTAN et de l’Union européenne convergent, au moins, et ne se télescopent pas. L’Union européenne prend le relais dans le partenariat dans les aires où l’influence de l’OTAN est limitée. Il s’agit du Sahel et du reste de l’Afrique. Quant aux Etats-Unis, hormis les questions liées au terrorisme dans la région du Sahara, les termes implicites d’une sous-traitance stratégique avec les grands pays de la région et avec l’Union européenne - au cas où des crises graves éclatent - semblent toujours en vigueur. Ainsi peut s’interpréter le rôle de pacification que joue le Nigeria dans la région de l’Afrique de l’Ouest et celui que joue l’Afrique du Sud dans l’Afrique centrale et australe. L’Algérie sera-t-elle appelée à remplir un rôle similaire dans la sous-région du Sahara.

Par Farid Dahmane, Le Quotidien d’Oran