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L’Europe demande à la Turquie de rejuger Öcalan

vendredi 13 mai 2005, par nassim

Le leader de la rébellion kurde, Abdullah Öcalan, avait été jugé et condamné à mort par un tribunal en Turquie. L’Europe par le biais de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), demande à la justice turque de le rejuger.

L’Europe invite la Turquie à rejuger Abdullah Öcalan.

Condamné à mort au terme de son procès, en juin 1999, le chef kurde avait vu sa condamnation à mort commuée en réclusion à perpétuité, en 2002, après l’abolition de la peine capitale en Turquie, l’une des mesures adoptées par ce pays pour se mettre en conformité avec les principes de l’Union européenne. Attendu, l’arrêt de la Cour ne constitue pas une surprise pour les autorités turques, qui ont aussitôt déclaré qu’elles s’y plieraient. "La République de Turquie est un Etat de droit ouvert et s’engagera à faire le nécessaire exigé par les lois" , a déclaré Dengir Mir Mehmet Firat, vice-président du Parti de la justice et du développement (AKP, islamiste, au pouvoir), laissant entendre toutefois que, même s’il était rejugé, le "chef terroriste" écoperait de la même sentence. Abdullah Gül, le ministre turc des affaires étrangères, a enfoncé le clou : "Nous pouvons bien le juger cent fois, il recevra le même châtiment" , a-t-il déclaré.

Faisant suite à une requête de l’intéressé, la grande chambre de la Cour a estimé que l’ancien chef du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) n’a pas bénéficié d’un "procès équitable" dans la mesure où il n’a pas été jugé par un tribunal indépendant et impartial, mais par une des cours de sûreté de l’Etat, ces juridictions d’exception comportant un juge militaire et qui ont été abolies depuis. Le fait que ce juge ait été remplacé par un civil, quelques jours avant la fin des audiences, le 23 juin 1999, ne "constituait pas une mesure de nature à dissiper les doutes raisonnables du requérant quant à l’indépendance et à l’impartialité du tribunal" , ajoute la Cour, en précisant aussi que les droits de la défense n’ont pas été respectés. Abdullah Öcalan n’a pas été assisté de ses avocats lors de son interrogatoire, il n’a pas pu communiquer avec eux seul à seul et a été dans l’impossibilité d’accéder au dossier jusqu’à un stade très avancé de la procédure. En revanche, les griefs qu’il a présentés quant aux conditions de sa détention ­ il est le seul détenu de l’îlot-prison d’Imrali, en mer de Marmara ­ n’ont pas été retenus.

NOMS HONNIS

L’arrêt intervient à quelques mois de l’ouverture ­ le 3 octobre 2005 ­ des négociations d’adhésion que la Turquie entend engager avec l’Union européenne. Le sort de la minorité kurde (de 15 à 18 millions de personnes) de Turquie pèsera dans ces négociations puisqu’il constitue l’un des "critères de Copenhague" (instauration d’un Etat de droit avec respect des droits des minorités) dont la mise en place est exigée des futurs Etats membres. La Turquie a déjà lâché du lest en réduisant la pression dans les régions kurdes, où l’état d’urgence a été aboli tandis que quelques libertés ont été concédées, notamment l’enseignement de la langue kurde. Mais les noms d’Öcalan et de sa formation, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, séparatiste), en guerre contre l’armée régulière d’Ankara (1984-1999) au prix de 35 000 morts (dont près de 20 000 pour le PKK, selon les statistiques officielles), restent honnis de l’opinion publique turque et de l’élite au pouvoir. A peine l’arrêt de la Cour a-t-il été rendu public, jeudi, que les télévisions turques ont diffusé en boucle les images de son exfiltration du Kenya, un sac sur la tête, les yeux bandés, la bouche barrée par un adhésif.

Soucieux de prévenir tout débordement, le ministre de la justice, Cemil Cicek, a appelé au calme : "Ce n’est pas la fin du monde. L’opinion publique doit se faire à cette idée (d’un nouveau procès) : il faut faire confiance aux institutions de l’Etat, à la justice" , a-t-il déclaré. Quelques représentants de l’armée ont qualifié le jugement de "politique" et de "partial" . "On ne peut demander à une institution qui a perdu des milliers de martyrs -les soldats morts lors de la guerre avec le PKK- de rester de marbre" , a expliqué le chef d’état-major adjoint, le général Ilker Basbug.

Par Marie Jégo et Rafaële Rivais, lemonde.fr