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L’Europe face aux contradictions américaines vis-à-vis de Téhéran et Pyongyang

mardi 15 février 2005, par Hassiba

« L’Alliance est unie », a déclaré Condoleezza Rice, la secrétaire d’Etat américaine, en visite à Bruxelles.

Cette union caractérise la position des membres de l’Alliance sur des sujets connus tels que l’Afghanistan, mais marque un tournant sur des sujets loin de faire consensus. C’est le cas de l’Irak, de l’Iran ou encore de la Chine. Paradoxalement, la Corée du Nord ne semble pas constituer un point de divergence, tant la position américaine est modérée

« Nous avons eu une très bonne discussion sur l’Irak, la meilleure que nous avons eue au sein de l’Alliance », a déclaré Condoleezza Rice en exprimant sa « gratitude » aux pays qui ont contribué ou souhaitent prendre part aux missions de l’Organisation en Irak et en Afghanistan. Lui emboîtant le pas, le secrétaire général de l’OTAN, Jaap de Hoop Scheffer, a appelé les 26 alliés à participer d’une manière ou d’une autre à la formation des forces de sécurité irakiennes.

L’épreuve du dossier iranien

Rappelons que la France et l’Allemagne ont refusé de prendre part à ces missions sur le territoire irakien. Faisant preuve d’optimisme, le responsable a dit s’attendre à des avancées concrètes d’ici à la visite du président américain, le 22 février. Il s’agira alors d’un double sommet de l’OTAN et l’Union européenne. Un accord transatlantique sur l’Irak signifie donc que les Etats-Unis ont réussi à imposer leur doctrine stratégique s’articulant autour de deux axes principaux : frappes préventives et coalitions ad hoc. L’Etat menacé par cette doctrine est considéré comme un « poste avancé de la tyrannie ». L’Iran, en l’occurrence, constitue un point de discorde transatlantique important.

Côté américain, on estime que le trio Allemagne-France-Royaume-Uni, qui négocie avec Téhéran l’abandon de toute velléité de se doter de l’arme atomique, n’a pas suffisamment menacé la République islamique de sanctions onusiennes. « La communauté internationale doit être sûre de parler d’une voix très forte aux Iraniens, leur dire que la mise au point d’une arme nucléaire sous le couvert d’énergie atomique civile sera inacceptable », a insisté Condoleezza Rice. Cette dernière faisait sans doute allusion à ce que son administration appelle les « tergiversations » iraniennes. Ainsi après avoir accepté de suspendre, en novembre, « temporairement » l’enrichissement d’uranium sur son sol, Téhéran a-t-il repris ses recherches. Deux centrales nucléaires, en effet, seraient en construction et au moins deux réacteurs expérimentaux fonctionneraient déjà. De plus, usines d’enrichissement ou de fabrication d’armes atomiques seraient en phase d’achèvement. Enfin, Téhéran construirait des centrifugeuses avec l’aide technique des Russes et des Pakistanais, ce que les deux pays démentent.

Aggravant leurs accusations, les Etats-Unis affirment que l’Iran cherche à se doter de l’arme atomique pour équiper les missiles Shahab 3 (dérivés du lanceur nord-coréen « Rodong ») de charges nucléaires. D’une portée de 1 300 km avec 800 kg de charge, ces fusées pourraient atteindre Israël et les bases américaines en Irak et au Moyen-Orient. Prenant en compte la gestion diplomatique défaillante du dossier irakien, le chef de la diplomatie américaine a tenté de calmer les inquiétudes qui se font déjà sentir, en affirmant que son pays n’avait pas « de date limite » pour une issue diplomatique. Les Européens comptent, quant à eux, sur les négociations pour obtenir une supervision du programme nucléaire iranien. En échange, il obtiendrait un transfert de technologies ainsi qu’une promesse d’adhésion à l’Organisation mondiale du commerce. Pour cela, l’accord des Etats-Unis est nécessaire.

La Corée du Nord rassurée

La position des Etats-Unis vis-à-vis de l’Iran continue de trancher radicalement avec celles qu’ils adoptent à l’égard de la Corée du Nord. Cette dernière a refusé de reprendre les négociations à six (Etats-Unis, Russie, Chine, Japon et les deux Corées) sur son programme nucléaire, déclarant vouloir renforcer son arsenal atomique pour se protéger d’une volonté de la deuxième administration Bush de renverser son régime.

Après que Pyongyang eut officiellement annoncé qu’il détenait la bombe nucléaire, Washington n’a pas haussé le ton, n’a pas proféré de menaces, n’a pas lancé de mises en garde précises. Après avoir reconnu soupçonner le pays d’être en mesure de disposer de quelques armes nucléaires depuis les années 1990, la chef de la diplomatie américaine a simplement déclaré : « Nous sommes confiants [...] qu’avec notre capacité de dissuasion dans la péninsule coréenne, les Etats-Unis et leurs alliés peuvent faire face à n’importe quelle menace potentielle de la Corée du Nord. » A aucun moment, Condoleezza Rice n’a évoqué l’hypothèse d’une action militaire, d’autant que l’annonce nord-coréenne a été qualifiée de « développement malheureux ». Malheureux, ce développement le sera certainement pour les 16 millions de citadins dont les rations alimentaires viennent de passer de 300 à 250 grammes de céréales par personne et par jour, soit la moitié de la quantité recommandée pour un adulte.

Maintenant un ton plus que mesuré, la diplomate s’est évertuée à renouveler les assurances données par le président Bush que les Etats-Unis n’avaient aucune intention d’attaquer Pyongyang. Mieux, Washington est disposé à offrir des garanties de sécurité aux Nord-Coréens « si ceux-ci sont prêts à agir pour démanteler définitivement leurs programmes nucléaires et à le faire de manière qui soit vérifiable », a-t-elle assuré. La réponse nord-coréenne est aussi tranchée que la réaction américaine est modérée. Ainsi Pyongyang exige-t-il l’organisation de pourparlers directs avec les Etats-Unis afin de désamorcer la tension provoquée par son annonce selon laquelle elle possède l’arme atomique, déclare le représentant de Pyongyang à l’ONU. Rappelons que Pyongyang considère toujours les Etats-Unis comme la puissance occupante d’une partie de la péninsule coréenne (37 000 GI stationnent en Corée du Sud) et donc comme le seul interlocuteur valable. Un raisonnement qui s’appuie sur le fait que seul un armistice est venu conclure la guerre de Corée (1950-1953) et non un véritable traité de paix.Pour l’histoire, rappelons que le programme nucléaire nord-coréen est né dans les années 1960, avec l’acquisition auprès de l’Union soviétique d’un petit réacteur de recherche. A partir de cette base, la Corée du Nord a développé un programme national au sein du complexe de Yongbyon. Ce dernier comprend un réacteur nucléaire expérimental en fonctionnement de 5 mégawatts et une usine de retraitement du plutonium partiellement achevé.

Le programme nucléaire nord-coréen a été découvert par les services de renseignements américains en 1984. Un an plus tard, la Corée du Nord adhérait au TNP sans conclure l’accord de garantie. Il le sera au printemps 1992, période durant laquelle l’AIEA a pu commencer à mener des inspections et des visites destinées à vérifier l’inventaire initial des installations et matériaux nucléaires. Durant cette même année, des écarts flagrants sont apparus entre cet inventaire et les résultats des inspections de l’AIEA concernant la production de plutonium. En 1994, la crise atteint son paroxysme avec le refus opposé par Pyongyang de laisser les inspecteurs prélever des échantillons radioactifs de l’usine d’extraction du plutonium de Yongbyon. Le 13 juin, la Corée du Nord annonçait son retrait de l’AIEA. La voie de la négociation a toujours prévalu, d’où la signature, le 21 octobre 1994, d’un accord-cadre entre la Corée du Nord et les Etats-Unis. Aux termes de cet accord, la Corée du Nord s’engagea à geler les opérations en cours dans ses installations nucléaires, à stopper la production de matières fissiles de qualité militaire et à démanteler, à terme, ses réacteurs graphite-gaz et son usine de retraitement du combustible.

En échange, un consortium multinational était constitué pour construire deux réacteurs à eau légère de 1 000 mégawatts et livrer 500 000 tonnes de pétrole par an jusqu’à l’achèvement du premier de ces réacteurs. Plus connu sous le nom de KEDO (Korean Peninsula Energy Development Organization), ce consortium fut mis en place le 9 mars 1995. Cet accord a conduit au gel, voire au démantèlement d’installations nucléaires qui auraient donné à la Corée du Nord la capacité de produire et éventuellement d’exporter une douzaine d’armes nucléaires par an. Dans la mesure où la Corée du Nord a développé des moyens exclusivement indigènes et que les inspecteurs n’avaient plus droit de cité, l’annonce de Pyongyang ne constitue pas une surprise.Concernant la Chine, impliquée dans la problématique coréenne, la tendance est au rapprochement.

Pour la première fois, Condi Rice a semblé se résigner à l’idée d’une prochaine levée de l’embargo européen sur les ventes d’armes à la Chine. Mesure contestée par Washington. « Nous sommes toujours en discussion ouverte avec nos alliés sur la façon d’aborder la perspective de la levée de l’embargo [...] Je dois vraiment souligner que les Européens essaient de prendre en compte nos inquiétudes », a-t-elle ajouté.

Par Louisa Aït Hamadouche, latribune-online.com