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L’Iran et la Corée du Nord font monter les enchères nucléaires

jeudi 12 mai 2005, par Hassiba

Par des déclarations alarmistes, bien que contradictoires, les responsables gouvernementaux iraniens et nord-coréens relancent la perspective d’une brusque accélération de la prolifération nucléaire. L’Iran comme la Corée du Nord, s’apprêteraient à rompre des négociations menées avec la communauté internationale en vue de mettre un terme définitif à leurs programmes nucléaires clandestins.

Sur la base des décisions que nous avons prises, nous allons reprendre une petite partie des activités -nucléaires- suspendues" , a déclaré jeudi 12 mai à Téhéran, Gholam Reza Aghazadeh, le chef de l’organisation iranienne de l’énergie atomique. A Vienne, les agences de presse ont annoncé, dès mercredi, l’arrivée d’un responsable iranien porteur d’une lettre destinée à l’agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et avertissant de la reprise de la conversion de l’uranium.

Ce geste équivaudrait à la rupture des pourparlers avec les Européens, entrés depuis novembre 2003 dans une négociation à Téhéran pour lui faire renoncer à ses activités d’enrichissement de l’uranium. L’Iran n’a cessé de faire monter la pression depuis l’échec des négociations qui se sont tenues le 29 avril, à Londres. Plusieurs de ses responsables ont annoncé une reprise imminente de certaines activités sur le site nucléaire d’Ispahan, lesquelles seraient limitées au "retraitement" et à la "conversion" de l’uranium.

Il s’agit d’étapes préalables à un processus d’enrichissement de l’uranium, lui-même susceptible de permettre la fabrication d’une arme atomique. Mais il signifierait néanmoins une rupture des négociations. Dans une lettre à Hassan Rouhani, le chef du conseil de sécurité national de l’Iran, les ministres des affaires étrangères britanniques, français et allemands ont averti Téhéran que les négociations seront rompues si l’Iran passe à l’action.

L’ampleur de la crise dépendra du détail des intentions iraniennes, estime-t-on à Vienne. Les plus optimistes croient que Téhéran peut se contenter d’un effet d’annonce, à un mois de l’élection présidentielle iranienne du 17 juin. Mercredi, Hachemi Rafsanjani, l’ancien président qui part favori dans la nouvelle compétition présidentielle du 17 juin, faisait encore entendre une tonalité positive, en prônant la "patience" dans les négociations avec les Européens. "Il n’y a pas d’impasse, a-t-il affirmé, la situation est difficile, mais la seule solution est de poursuivre les négociations."

Mais de source iranienne en Europe, on estime que l’on se dirige vers une crise délibérée, s’accompagnant d’une annonce de la reprise immédiate des activités suspendues. Elle conduirait à une réunion de crise du conseil des gouverneurs de l’AIEA. Mais tant que le balai diplomatique ne n’est pas achevé, les responsables occidentaux évitent de se prononcer. "Il faut garder la tête froide et voir ce que font les Iraniens avant de parler" , indiquait, mercredi à New York, un diplomate européen. Si les Européens croient que les négociations reprendront "sereinement" après l’élection iranienne lorsque les luttes entre les modérés et les durs seront apaisées, les Américains sont nettement plus sceptiques. Les "faucons" ne comptent pas sur une amélioration post-électorale. M. "Rafsandjani -chef de file modéré- est juste un type un peu plus malin que les autres. L’élection ne changera rien. Et le régime ne s’ouvre pas, au contraire" , disait un leader néoconservateur la semaine dernière, sous couvert d’anonymat.

L’inquiétude de la communauté internationale a, d’autre part, été nourrie par les déclarations volontairement provocantes des responsables nord-coréens. "Nous avons pris des mesures nécessaires à l’accroissement de notre arsenal nucléaire à des fins défensives, avec l’objectif de développer notre industrie nucléaire civile" , a déclaré mercredi à Pyongyang, un porte-parole du ministère nord-coréen des affaires étrangères. "Nous avons achevé avec succès et dans un bref délai l’extraction des 8 000 barres de combustible de la centrale nucléaire -de Yongbyon- de 5 mégawatts" , a-t-il ajouté.

Ces annonces ont provoqué une vive émotion en Asie, la Corée du Sud, le Japon et la Chine appelant immédiatement la Corée du Nord à revenir à la table des négociations à six (les deux Corées, la Chine, la Russie, les Etats-Unis et le Japon) sur le programme nucléaire nord-coréen, interrompues depuis plus d’un an. La Corée du Sud a appelé la Corée du Nord à reprendre "immédiatement" les négociations. La France a invité Pyongyang à "éviter tout geste qui pourrait contribuer à une dégradation de la situation dans la péninsule coréenne" .

Les Etats-Unis, qui, comme pour l’Iran, incitent leurs partenaires à déférer la Corée du Nord devant le Conseil de sécurité de l’ONU, ont répliqué que Washington dispose d’une "solide capacité de dissuasion" face à la perspective de voir Pyongyang se livrer à un essai nucléaire. Ces dernières semaines, les services de renseignement américains ont distillé des informations accréditant la volonté des Nord-Coréens d’entreprendre un essai nucléaire souterrain. Mercredi 11 mai, l’ambassadeur américain au Japon, Thomas Shieffer, n’a pas calmé les inquiétudes en estimant que les Coréens avaient "pris certaines mesures préparatoires" à un essai nucléaire.

Le 10 février, la Corée du Nord avait déclaré détenir la bombe atomique et laissé entendre que la prochaine étape serait un essai nucléaire. Mais en début de semaine, les organes de presse du régime ont démenti avoir cette intention et ont accusé les Etats-Unis de chercher à faire de leur pays un "criminel nucléaire" . Le porte-parole du ministère des affaires étrangères avait, pour sa part, déclaré dimanche 8 mai que son gouvernement n’avait pas demandé à rencontrer des représentants des Etats-Unis, comme l’avaient laissé supposer des informations de presse. Ces signaux contradictoires incitent le premier ministre japonais, Junichiro Koizumi, à qualifier de "coup de bluff" l’annonce nord-coréenne d’une reprise de l’activité nucléaire sur la centrale de Yongbyon. Il n’est donc pas impossible que, à Pyongyang comme à Téhéran, une diplomatie nucléaire du "bord du gouffre" soit à l’ordre du jour. Avec tous les risques d’une escalade militaire que suppose une telle stratégie.

Si le pire n’est pas forcément sûr, tant Téhéran et Pyongyang semblent vouloir souffler le chaud et le froid, en Europe, en Asie et aux Etats-Unis, les appels se multiplient pour inciter les deux pays à ne pas se mettre au ban de la communauté internationale en reprenant unilatéralement des activités nucléaires prohibées par le Traité de non-prolifération, dont ils sont signataires. Une telle décision obligerait le Conseil de sécurité de l’ONU à ouvrir un débat sur les violations des règles internationales commises par l’Iran et la Corée du Nord, et à envisager des sanctions.

Par Corine Lesnes, Philippe Pons, Joelle Stolz et Laurent Zecchini, lemonde.fr