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L’état algérien cherche sa crédibilité

Après le gel des entreprises de sous-traitance

dimanche 14 mars 2004, par Hassiba

« Comment peut-on obliger les sociétés étrangères à respecter les lois algériennes quand l’Etat qui les a promulguées ne les respecte pas », nous lancera un haut fonctionnaire de la wilaya de Ouargla en abordant la problématique de la sous-traitance de la main d’œuvre.

Presque une dizaine de jours après la décision prise par le gouvernement Ouyahia de geler les activités de ces sociétés, la rue ouarglie n’arrête pas de semer le doute sur l’efficacité des mesures prises. Pourtant, en cette printanière journée du mardi 9 mars et contrairement à ce qui a été écrit par certains journaux, un calme plat règne en maître absolu dans les rues de la capitale du Sud-Est algérien.

Dans les locaux de la l’Inspection régionale du travail, on est bien loin de l’inertie dont certains parlent. En nous montrant plusieurs dossier sur son bureau, M. Ben Dib, directeur régional de l’Inspection du travail nous dira qu’ils sont à la première phase de l’opération de contrôle des sociétés de sous-traitance de main-d’œuvre : « Nous avons les dossiers de treize sociétés légalement constitués. C’est-à- dire disposant d’un registre de commerce et de déclaration au niveau de la Casnos », explique M. Ben Dib, avant d’ajouter : « Les inspecteurs du travail vont sur les sites mêmes où se trouvent les employés. Nous allons vérifier la conformité des salaires déclarés, les conditions de travail ect. Pour le moment, le seul handicap c’est l’éloignement des sites concernés. Nos inspecteurs, à titre d’exemple, doivent faire parfois jusqu’à mille kilomètres pour atteindre les bases pétrolières ».

Mais s’il y a treize sociétés de sous-traitance ayant une existence légale, combien sont celles qui exercent dans l’illégalité ? Pour notre interlocuteur, c’est la seconde phase qui va apporter des réponses à cette question. « Nous allons débusquer ceux qui ont dévié la réglementation. Et ces derniers, nous allons les chercher chez ceux qui pratiquent d’autres activités comme le catering, le transport, le gardiennage, ect. ». Rien que pour l’activité catering, il a été recensé pas moins de trente-quatre sociétés.

Concernant la mesure de gel des activités de toutes les sociétés de sous-traitance prise par Ouyahia, M. Ben Dib nous dira que ces dernières ont signé des contrats avec leurs clients et qu’il est tout à fait normal que l’engagement doit aller jusqu’à son expiration.

L’Etat au banc des accusés

Nous sommes dans les locaux d’une société de sous-traitance de main-d’œuvre implantée à Hassi-Messaoud. En acceptant de nous recevoir, le patron qui active depuis 1997 nous demande de garder l’anonymat. « Certes, quelques jours après les émeutes qui ont secoué la ville de Ouargla, j’ai reçu la visite des inspecteurs. Ces derniers ont tout vérifié. Ils ont reconnu que je suis en règle vis-à-vis de la réglementation ». Pour appuyer ses dires, notre interlocuteur nous montre une fiche de paie d’un travailleur qu’il a placé dans une entreprise. Sur la fiche nous lisons que sur un salaire brut avoisinant les 60 000 dinars et après déduction des charges sociales et fiscales, il est mentionné que le sous-traitant ne prend que 4 000 dinars sur chaque personne placée. Ce sous-traitant gère actuellement, un effectif dépassant les 250 éléments.
Même son de cloche dans une autre société de sous-traitance légalement constituée. « On a l’impression que le gouvernement est déconnecté de la réalité », nous dira le patron de cette société qui a lui aussi requis l’anonymat. Avant d’ajouter : « S’il y a treize sociétés qui mènent cette activité de sous-traitance légalement, il y a une soixantaine d’autres qui le font sous couvert d’autres activités ».

Et en reconnaissant que l’exploitation de l’homme par l’homme existe ici, cette société de catering créée par des Français pratique l’exploitation et commet des infractions à la législation du travail.
Une femme de ménage travaille dix heures par jour pour un salaire de misère ne dépassant les 10 000 dinars. Mais la palme d’or dans le domaine de l’exploitation des travailleurs algériens par des étrangers revient aux Italiens. Plus grave encore. Des entreprises publiques comme l’entreprise de gestion touristique de l’hôtel Mehri de Ouargla ou celle de Biskra pratiquent la sous-traitance de la main d’œuvre. Mais le comble c’est lorsqu’on vous dit que même l’Organisation qui est censée défendre les intérêts des travailleurs, l’Ugta, pratique la sous-traitance de main d’œuvre en payant un salaire de misère. La Centrale syndicale a créé, il y a plusieurs années de cela, une société dénommée EMS El-Feth. Cette dernière est spécialisée dans le placement de la main-d’œuvre. EMS El-Feth est considérée comme une importante société de sous-traitance en raison du fait qu’elle a des relations privilégiées avec la Sonatrach. Les salaires payés par cette société « syndicale » ne dépassent pas les 12 000 dinars.

« Pour quelles raisons l’Inspection du travail ne fait pas des descentes régulières pour contrôler ces sociétés. Nous n’avons à aucun moment refusé ce genre d’inspections », réplique le gérant d’une société de sous-traitance. Ce dernier nous fera voir le journal de paie. Les salaires versés aux travailleurs se situent dans une fourchette allant de 25 000 à 160 000 dinars par mois.
A titre d’exemple, un chef de chantier de forage est payé à 140 000 dinars chez une société étrangère contre 80 000 à l’Entp. « Nous travaillons avec plusieurs entreprises étrangères comme Anadarko, Halliburton, Bhp ect. Chaque mois nous devons prendre le journal de paie, les déclarations fiscale et parafiscale à ces entreprises. Si nous ne transmettons pas ces documents à nos clients, on n’est pas payés », explique notre interlocuteur. Cette société gère actuellement près de mille travailleurs.
En réalité, ces sociétés ne négocient pas les salaires des travailleurs qu’elles placent. Les salaires sont déterminés et proposés par l’entreprise demandatrice de main d’œuvre. La société de sous-traitance ne soumissionne que pour ses marges. Jouant la carte de la transparence, notre interlocuteur nous déclare que sa marge n’est en moyenne que de 6 000 dinars sur le travailleur placé.
Ce sont d’anciens cadres dans une société parapétrolière qui ont lancé cette société de sous-traitance : « Avant de donner un registre de commerce, l’Etat doit au préalable exiger un certificat de qualification. Comment pensez-vous qu’une société de sous-traitance de main d’œuvre puisse être gérée dans le respect de la réglementation si ceux qui sont à sa tête ne connaissent rien des ressources humaines ».

La corruption gangrène l’Etat

« Des inspecteurs du travail débarquaient régulièrement dans mes locaux sou prétexte de me contrôler. Mais un jour, j’en avais marre et je leur ai dit de ne plus remettre les pieds chez moi et qu’il est préférable pour eux d’aller chez ceux qui défient l’Etat au vu et au su de tout le monde », raconte le patron d’une société. Avant de continuer : « En réaction, les inspecteurs me demandèrent alors de leur donner des noms. Je leur répondis il y a « flen », il a le marché du ramassage des ordures ménagères de Hassi- Messaoud, il fait le catering pour des sociétés étrangères et sous-traite en même temps la main d’œuvre ». Ceux qui travaillent pour cette personne ne sont pas payés régulièrement. Les femmes de ménage sont surexploitées et sous-payées. La misère qui asservit l’être humain a fait en sorte que ces femmes ne peuvent aspirer au travail si elles ne passent pas par le lit du patron. Cette race d’esclavagistes n’est nullement inquiétée par les autorités.

Mais ici, on reconnaît que le marché de l’emploi s’est rétréci, ces dernières années : « En 1997, il y avait une demande telle des sociétés pétrolières que je recrutais jusqu’à une dizaine de personnes par jour. Aujourd’hui, on ne fait plus dans le recrutement direct », explique le gérant d’une entreprise de sous-traitance. Après plusieurs années d’existence, ces sociétés ont une connaissance parfaite des besoins en main d’œuvre des sociétés pétrolières, surtout étrangères. Ces sociétés disposent de ce qu’on peut appeler un fichier du personnel et des qualifications. Dès qu’une entreprise lance une soumission, tout et prêt pour répondre à la demande. Et la compétition entre ces sociétés de sous-traitance se déroule sur la meilleure offre concernant la marge. « Si je fais baisser ma marge à moins de 6 000, je pourrai par exemple, prendre le marché à mon concurrent. Et à aucun moment le salaire du travailleur n’est touché vu qu’il est fixé par la société à la recherche de la main d’œuvre », précise notre interlocuteur. Et d’enchaîner : « ces derniers temps, nous ne faisons que remplacer certains ingénieurs ou techniciens qui partent travailler à l’étranger. Et vous n’allez pas me croire si je vous dis que même quand une société a besoin d’un chauffeur, elle nous envoie la demande suivie du dossier de celui qu’elle a choisie ».

Les ravages du travail au noir

Le 21 décembre 2003, le défunt wali, décédé suite à une crise cardiaque, a tenu une réunion avec les entreprises publiques et privées intervenant dans la plate pétrolière de Hassi-Messaoud. A l’ordre du jour, la très complexe problématique de l’emploi. Le défunt wali a alors communiqué à l’assistance quelques chiffres. En 2002, la wilaya de Ouargla avait enregistré 18 000 demandeurs d’emploi. La même année, l’offre d’emplois temporaires était de 23 225 postes. En parallèle, les offres reçues par l’Anem (Agence nationale de l’emploi) n’ont fait que régresser. Ces offres étaient de 3 541 en 2001, de 1 557 en 2002 et 1 698 en 2003. Ces chiffres ont permis au premier responsable de la wilaya de dire que seulement 8% des postes offerts passaient par l’Anem : « En attendant que les pouvoirs publics se positionnent vis-à-vis de ces entreprises, je demande à ce qu’on respecte les lois », dira le défunt wali en concluant : « Si ces entreprises ne respectent pas les lois, nous n’écartons pas des dérapages pouvant troubler l’ordre public ».

Deux mois plus tard, ce wali succombera à une crise cardiaque et le président de la République effectuera une visite à Ouargla sur fond de contestation sociale. Mais la contestation des jeunes de Ouargla a encore une fois étalé au grand jour la problématique du travail au noir. Récemment, la Cnas de Ouargla a mené une enquête sur le terrain qui a révélé la gravité et l’étendue du travail au noir. Ainsi, sur un total de 3 777 travailleurs inspectés, 1 510 n’étaient pas déclarés. En parallèle, selon toujours les résultats de cette enquête, 1 765 travailleurs sur les 3 777 résidaient hors de la wilaya de Ouargla. 77 autres salariés étaient des étrangers. La proportion du travail au noir est de 18%. Ce qui est énorme.

Par ailleurs, l’inspection de la société syrienne qui porte le nom de Tmca a permis de déceler que sur une masse salariale de 46 millions de dinars, la sécurité sociale devrait récupérer des cotisations s’élevant à 16 millions de dinars. Plus grave encore, comment expliquer qu’une région soumise au laisser-passer puisse trouver pas moins de 600 étrangers travaillant clandestinement. Avec quel sérieux délivre-t-on à Hassi-Messaoud la carte de séjour et le permis de travail ?

En Algérie, la réglementation du travail est claire : tout travailleur, qu’il soit algérien ou étranger, doit être déclaré à la sécurité sociale. Interrogé sur l’ensemble de ces questions, le directeur régional de la Cnas de Ouargla, Nacer Mohamed Lazhar nous répondra : « Il est temps de dégager un comité de réflexion sur l’emploi au niveau de la wilaya de Ouargla. Le gouvernement ne peut prendre des mesures efficaces sans l’aide et les propositions de ceux qui sont au contact de la réalité ».

Une économie de marché sans marché

L’industrie pétrolière algérienne, avec l’avènement des compagnies étrangères, emploie des centaines si ce n’est quelques milliers d’étrangers. Nos tentatives d’avoir des statistiques sur la main d’œuvre étrangère travaillant dans les zones pétrolières et gazières du Sud ont été vaines. Ce qui est certain c’est qu’un travailleur étranger touche un salaire qui est cinquante fois plus élevé que celui d’un Algérien. « Je vais vous raconter une histoire », nous dira le patron d’une société de sous-traitance de main-d’œuvre : « J’avais un ingénieur algérien en géo-physique travaillant pour le compte d’une compagnie étrangère. Ce dernier avait une paie de 70 000 dinars par mois. Un étranger ayant la même qualification que notre Algérien coûte mensuellement rien qu’en transport de et vers l’étranger la bagatelle de 120 000 millions de centimes hors salaires payés évidemment en devises. L’expatrié se faisait même rembourser ses tickets de consommation de café, de cigarettes et autres dans les aéroports à l’étranger. Mieux encore, le technicien étranger travaillait rarement. Evidemment, c’est l’Algérien qui fait tout. Un jour, notre ingénieur en a eu marre et m’a demandé de formuler auprès de son employeur une augmentation de salaire. Cette dernière lui sera refusée. Notre ingénieur démissionne.
« Il a été remplacé par un autre étranger ». « Je n’arrive pas à comprendre comment certains ont posé le problème des Algériens qui ne sont pas originaires de la région et qui viennent travailler ici alors qu’un seul étranger dont la qualification existe chez nous équivaut à 50 salaires d’Algériens dans l’activité pétrolière ». La réduction des coûts de production pétrolière passe inévitablement par une réduction des multiples charges.

N’est-il pas préférable pour les entreprises intervenant dans ce domaine de recruter des Algériens à moindre coût que des étrangers. Mais à première vue et tant que certaines charges ne sont pas imposables par le fisc, les portes restent grandes ouvertes au gaspillage. Et ce, en attendant le tarissement de la manne pétrolière.

M. Chermat, La Nouvelle-République