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La galère des marchands de galettes à Boumerdès

mercredi 30 mars 2005, par Stanislas

Ce ne sont pas des auto-stoppeurs ni même des mendiants que les automobilistes croisent, chaque jour, tout au long de la journée, sur la route qui relie la ville de Tidjelabine à Theniet El-Had, dans la wilaya de Boumerdès.

Plantés comme des piquets derrière leurs corbeilles soigneusement calées par quelques pierres, ces filles et garçons, âgés entre 13 et 19 ans et dont plusieurs fréquentent l’école, travaillent, depuis quelques années, comme vendeurs de galettes. Les 16 ans tout juste, Amine Semmar, un jeune adolescent chétif et aux traits fins, dit avoir consacré quelque deux années à exercer ce « métier ». A l’instar de la quasi-totalité des habitants de cette bourgade située à la sortie de la ville de Thénia, il est issu d’une famille pauvre et nombreuse. Le père travaille comme chauffeur dans une entreprise économique, la mère est, de toute évidence, au foyer, Amine, quant à lui, se plaît tant d’avoir quitté l’école - alors qu’il entamait sa huitième année scolaire - pour aider son père à subvenir aux besoins de sa « nombreuse » famille composée de 10 personnes.

L’idée de vendre de la galette lui avait a été soufflée par ses copains. Son père n’y voyait aucun inconvénient du moment que ce sont quelques sous de plus qui iront alimenter la maigre caisse de la famille. Dès 9 heures du matin, Amine, portant sur les épaules sa corbeille dans laquelle se trouve une trentaine de « kessra » bien gardées au chaud, entame sa journée. A quelques mètres, d’autres jeunes vendeurs - une vingtaine - y installent aussi leurs états-majors. La journée commence pour lui. Il faut écouler, au minimum, une quinzaine de galettes pour éviter, le soir, les remontrances, voire la colère de son géniteur.

« Habituellement, je vends entre 18 et 30 galettes » dit-il. Ce qui lui fait un bénéfice quotidien de 650 à 900 DA. « Assez suffisant pour acheter la semoule, la levure et autres produits nécessaires à la confection du pain » dit-il tout fier. Amine, quand il parle de son boulot, prend soudainement un ton particulièrement important d’autant que parmi les autres jeunes marchands, il fait autorité et s’offre par conséquent une clientèle particulièrement recherchée. Son petit secret : « Je propose des produits assez variés : khobz khmir, galette épaisse, galettes fines... ». « Il y a aussi le facteur goût qui varie d’un vendeur à un autre » note-t-il, comme pour louer en filigrane, la « griffe » de sa mère grâce à qui, ajoute-t-il, le succès est aussi éclatant et les galettes journellement écoulées. Son compagnon Hichem, 14 ans, n’en pense pas moins et l’engouement que suscite ce commerce dans cette localité, ne se fait pas pour autant en toute quiétude.

Du « matlouaâ » sur la planche
« Souvent, des voleurs armés de couteaux s’en prennent notamment aux filles et s’emparent de la marchandise avant de prendre la fuite » se plaint Hichem, qui avait fait lui-même l’objet de plusieurs agressions de ce genre. L’insécurité dans cette région, qui fut, des années durant, soumise au joug des terroristes et la prolifération des fléaux sociaux, ceux de la drogue notamment, ont fait que ces vingtaines de jeunes vendeurs évitent, désormais, de travailler en début de soirée comme ils le faisaient auparavant.

Il est vrai que les lieux sont loin d’être un havre de paix. Le tronçon routier est, à vrai dire, situé dans une cuvette entre deux plaines boisées fréquentées, surtout le soir, par de jeunes délinquants. Ajouter à cela l’absence de l’éclairage public. « Il y a 15 jours, trois hommes ont agressé un ami à nous pour le voler, ils lui ont asséné plusieurs coups sur le visage », témoigne Hichem. Amine, lui, regrette l’acharnement de certains agents des forces de l’ordre à la recherche des délinquants qui foisonnent dans le coin. « Ils s’en prennent à nous sous prétexte que nous sommes les complices de ces voyous » renchérit-il. Jeunes et sans défense, comme des grands, interpellent les autorités locales afin de sécuriser les lieux et venir à bout des gangs de malfaiteurs. Faute de quoi, ce sont d’autres filles et garçons qui payeront de leur vie, dans certains cas.

El « kessra » pour el « Harba »
Il nous est très difficile de résumer en quelques mots, même en quelques pages, les vicissitudes du quotidien de ces vingtaines d’enfants à l’égard desquels la vie n’a pas été tendre. Tous, sans exception, portent en eux les stigmates de la pauvreté, de la misère mais aussi de l’exclusion sociale. Les pouvoirs publics, par le biais des autorités locales, donnent l’impression de n’être ni de près ni de loin concernés par le sort de ces mioches dont la place devrait être en priorité dans les établissements scolaires. Cela intervient au moment même où, plus haut, on chante la réconciliation nationale et on loue, à l’excès, les vertus d’une politique qui n’a de sociale que le nom.
Nombreux ont été ces « rejetés » qui ont dû, souvent contre leur gré, abandonner les bancs de l’école pour aller braver les dangers de la rue et l’indifférence ô combien, lancinante des autorités, avec l’espoir de glaner quelques sous qu’on donne fièrement à un père ou à une mère rongés par les affres de la vie.

Amine, Hichem ainsi que toute la bande de Thénia, que certaines mauvaises langues qualifient à dessein de voyous notoires et d’enfants voués à la malédiction, donnent l’air, au contraire, de jeunes pleins de vie et d’espoir. C’est là justement que se résume, entre autres, l’échec d’une politique et d’un projet de société dont le gouvernement s’empresse, à tort, de s’enorgueillir.
Quant à Amine : « Je vends el kessra pour assurer el harba. Avec l’argent que je gagne, j’irai en France pour suivre une formation en plomberie et travailler ensuite dans l’atelier de mon oncle » résume-t-il.

Par Amine GOUTALI, lexpressiondz.com