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La guerre de l’information : théorie et pratique

mardi 8 février 2005, par Hassiba

La guerre de l’information est un concept tellement important dans une guerre qu’il fait désormais partie de la plupart des corps de doctrine militaire.

Très vaste, le concept de guerre de l’information (GI) englobe indistinctement toutes les actions humaines, techniques, technologiques (opérations d’information) permettant de détruire, de modifier, de corrompre, de dénaturer ou de pirater (la liste n’est pas exhaustive) l’information, les flux d’informations ou les données d’un tiers (pays, Etat, entité administrative, économique ou militaire). L’objectif est de brouiller, d’altérer chez l’adversaire sa capacité de perception, de réception, de traitement, d’analyse et de stockage de la connaissance. Dans cette perspective, ces opérations ciblent aussi bien les moyens technologiques de commandement et de communication que les individus, avec la propagande, la manipulation et la désinformation.

Définition de la guerre de l’information
Ses composantes sont plus vastes qu’on ne l’imagine et touchent de nombreux domaines (économie, électronique, piratage informatique, cyber-guerre, opérations psychologiques, guerre du renseignement...). A terme, le pays qui maîtrisera tous ces constituants parviendra à une véritable domination de la sphère informationnelle : la domination informationnelle. Cette domination vient du fait que la guerre de l’information a de multiples applications civiles. L’économie, la science, la culture et évidemment la politique au sens étroit et large sont des champs d’application latents ou patents de la guerre de l’information. De plus, la guerre de l’information est devenue inévitable dans la mesure où elle exerce trois fonctions capitales : appropriation (renseignement), interdiction (limitation de l’accès à l’information) et manipulation (intoxication). Ces fonctions se répercutent dans trois domaines. Le premier est l’évolution.

La guerre de l’information est en même temps le résultat de l’évolution de l’homme en matière de connaissances et de savoir, mais elle est également porteuse d’évolutions dans le sens où elle donne à la guerre une dimension, une forme et des moyens nouveaux. Pis, elle transperce de nombreux remparts entre le civil et le militaire, la paix et la guerre, la défense et l’attaque. Le deuxième domaine est l’adaptation. Elle permet une adaptation à l’environnement, à l’adversaire et aux nouvelles technologies avec une forte capacité d’anticipation. Le troisième domaine est la révolution. Elle constitue le pas vers la guerre de quatrième génération à laquelle peu de pays peuvent prendre part. La guerre de l’information a un corollaire, la guerre psychologique. Cette dernière est même considérée comme l’une des formes les plus anciennes et les plus sophistiquées de la guerre de l’information. La raison tient de ses effets sur le succès ou l’échec des opérations de l’adversaire. Issues qui dépendent largement de la détermination et du moral des troupes et de l’opinion publique. Dans certains pays comme la France, elle représente un sujet tabou, notamment après sa large utilisation et les abus dont elle a été l’instrument dans la guerre d’Algérie. Les outils de la guerre psychologique sont nombreux : censure, désinformation, intoxication, déception, interdiction et propagande. Ils sont applicables quelle que soit la nature du conflit (combat classique, opérations spéciales, lutte contre le terrorisme et la subversion, maintien de la paix...), de l’ennemi (Etat, mouvement armé...).

Conceptions de la GI
Comment la guerre de l’information est-elle perçue par les puissances qui ont les capacités de la mener ? Les Britanniques ont une très large approche en considérant que la guerre de l’information peut se substituer à la guerre militaire. Il s’agit donc là du sujet le plus sensible et le plus protégé en Grande-Bretagne. Les Japonais invoquent les limitations consécutives à la Seconde Guerre mondiale pour rester dans les généralités. Ils semblent considérer que le secteur civil (l’industrie) est le mieux placé pour développer un concept. La France souffre d’un manque de culture d’information/renseignement. Pour les spécialistes du site Infoguerre, ce pays doit s’éloigner de l’approche américaine jugée trop analytique et se rapprocher d’une démarche plus active, basée sur trois axes : la guerre pour l’information (la lutte pour le renseignement), la guerre contre l’information (la protection de sa propre information et l’interdiction faite à l’ennemi d’accéder à toute information), la guerre par l’information (l’intoxication). Quant à la doctrine américaine, elle consiste à présenter la guerre de l’information comme un concept défensif aux conséquences purement instrumentales. En vérité, il s’agit d’un véritable système d’armes couvrant toute la palette de l’action stratégique.

Ainsi que le démontre le cas typique de l’Irak, les Etats-Unis sont, en matière de guerre de l’information, à la pointe du progrès et le hasard n’y est pour rien. En 1989, des militaires américains réunis autour du stratège W.S. Lind ont lancé le concept de « guerre de quatrième génération » (Fourth Generation Warfare, abrégé en 4GW). La première génération de guerre reposait sur la masse humaine disposée en lignes et encolonnes, sur le champ de bataille (de l’ère du mousquet à la Première Guerre mondiale). Répondant aux affrontements des fronts dans les tranchées, la seconde génération a intégré la puissance de feu du début de l’industrialisation (la mitrailleuse,l’avion...). Quant à la troisième génération, elle a incorporé le principe de capacité de manœuvre, tel le blitzkrieg de la Seconde Guerre mondiale (principes de dispersion et de contournement des troupes ennemies, grâce à la technologie et à la vitesse). Vient, enfin, la 4GW, correspondant à la révolution de l’information, à la mobilisation des populations entières dans tous les domaines politique, économique, social, culturel, avec pour objectif la défaite du système mental et organisationnel de l’adversaire. Il s’agit donc bel et bien d’un combat asymétrique, opposant des puissances de haute technologie (information en temps réel, armes intelligentes, commandement à distance par les réseaux numériques...) à des acteurs transnationaux ou infra-nationaux (groupes religieux, ethniques ou d’intérêt usant de moyens exploitant les points de vulnérabilité des grandes puissances). Le 11 septembre n’a fait que confirmer cette conception. L’Irak est, là encore, un brillant champ d’application de cette guerre où l’information joue un rôle central et planifié.

Les structures américaines de la GI
Cette planification est tellement importante que le Pentagone a, en novembre 2001, créé le « Bureau d’influence stratégique » (OSI : Office of Stategic Influence). En tant que subdivision du « Bureau des opérations d’information » dépendant de l’état-major interarmées, la mission principale de l’OSI est la conduite de campagnes de désinformation auprès des presses étrangères dans le cadre de la guerre contre le terrorisme international. Les experts relèvent cependant que cette initiative n’est pas totalement étrangère aux traditionnelles luttes intestines entre les services et les départements de l’administration américaine. Car officiellement, les opérations de désinformation et d’intoxication sont du ressort des services de la CIA. Quoi qu’il en soit, le chef du bureau, Simon Worden, général de l’US Air Force, considère que sa mission va des campagnes « noires » (désinformation, actions secrètes, diffusion de tracts, d’e-mails camouflés et formatés par le Pentagone...) aux relations publiques « blanches » (communiqués véridiques).

Compte tenu des risques de contamination des médias américains et du caractère anticonstitutionnel de cette éventualité, l’OSI a été dissous. Le « Bureau des communications internationales » (OGC : Office of Global Communications) a pris sa place. Installés à Washington, Londres et Islamabad, les bureaux de l’OGC ont un seul objectif officiel : communiquer de manière cohérente pour promouvoir une image positive des Etats-Unis et légitimer ainsi sa politique internationale. Pour éviter la déconvenue de l’OSI, le décret a précisé que les messages destinés aux citoyens et aux leaders d’opinion américains, aux membres permanents de l’ONU, au monde musulman et aux alliés européens devront être véridiques. Cette démarche est donc basée sur la gestion de la perception plus que sur la désinformation. « Beaucoup plus difficile à déceler, l’influence par la "gestion des perceptions" est beaucoup plus insidieuse puisqu’elle vise le cœur de réflexion des individus pour modifier leur vision sur tel ou tel sujet ».Ce bureau s’inscrit dans le cadre global des « Affaires publiques » du Pentagone. Décrivant le rôle, les missions, les capacités et l’organisation de ces Public Affairs, le manuel FM 46-1 doit être appréhendé en liaison avec le FM 100-6 (Information Operations) et le FM 41-10 (Civil Affairs). Ainsi les Public Affairs accomplissent-elles des missions de communication à destination du peuple américain et de leurs propres forces armées afin d’établir les conditions favorables à la confiance de ces différentes opinions dans les capacités de l’armée américaine à mener des opérations aussi bien en temps de paix qu’en temps de guerre.

L’Irak en est la démonstration éclatante. L’équipe des Publics Affairs a fait partie des agences gouvernementales qui ont préparé l’intervention militaire, commencée le 21 mars 2003. Son rôle principal a été de fournir des informations complètes, pertinentes et constamment actualisées sur les activités des forces armées américaines. Elle a coopéré avec d’autres acteurs, dont l’US Information Agency. L’USIA est une agence indépendante du gouvernement US qui contribue à remplir les objectifs de la politique extérieure des Etats-Unis en influençant les attitudes du public dans les zones étrangères. Elle conseille le Président ainsi que les autres agences américaines sur les impacts possibles de la politique étrangère, des programmes et des déclarations officielles sur l’opinion étrangère. Les ONG sont, elles aussi, de la partie. Compte tenu de l’influence des ONG et de leur connaissance du terrain, le manuel du FM 46-1 recommande aux employés des Public Affairs de connaître l’ensemble des organisations en activité dans la zone avant de se déployer (fondations privées, associations de professionnels, groupes religieux). Aussi le manuel précise-t-il que les responsables de ces groupes doivent être considérés comme des interlocuteurs privilégiés sur les situations en cours.

Illustrations concrètes de la GI
La cyberwar est l’une des obsessions de la sécurité américaine. En 1997, l’armée américaine a organisé un exercice de simulation comportant la situation suivante : une crise internationale en préparation et une puissance étrangère engageant 35 pirates informatiques pour neutraliser la capacité de réaction des Etats-Unis. Les pirates étaient en fait des fonctionnaires américains n’ayant reçu aucun renseignement préalable. Avec un matériel basique, les pirates ont démontré qu’ils pouvaient facilement accéder aux systèmes de commande des réseaux d’électricité de toutes les grandes villes américaines (Los Angeles, Chicago, Washington, New York) dont dépendait la capacité de déploiement des forces des Etats-Unis. Pis, ils ont réussi à pénétrer dans le système téléphonique de police secours et auraient facilement pu le saboter. Ils se sont ensuite attaqués au dispositif de commande et de contrôle du Pentagone, ont interrogé environ 40 000 réseaux et obtenu l’accès de base à 36 d’entre eux. Ils sont parvenus à pénétrer profondément dans la structure de commande et de contrôle et auraient pu en perturber le fonctionnement. Ainsi, cet exercice a démontré que 36 personnes possédant des informations accessibles et des moyens techniques disponibles auraient non seulement pu empêcher les Etats-Unis de réagir à la crise, mais créer un contexte dangereux en éteignant toutes les lumières d’une grande ville, en faussant les marchés boursiers ou en interrompant les flux d’information. Ces actions auraient permis de lancer des « opérations psychologiques très efficaces et faire autant de victimes qu’une intense campagne de bombardement », écrit James Adams, dans « Périls et potentialités de la guerre de l’information ». Le président-directeur général d’Infrastructure Defense, Inc. compare cette nouvelle arme aux autres systèmes d’armement.

Dans le cas de ces derniers, il faut environ 20 ans pour qu’un pays obtienne la capacité de produire une arme qu’il n’a pas créée. Dans la guerre de l’information, l’ordinateur est l’arme. En résumé, écrit James Adams, « j’ai le pouvoir, les moyens, assis chez moi, muni de mon ordinateur et de mon modem, du moment que je sais comment m’y prendre, de faire la guerre ». La guerre de l’information peut aussi passer par des moyens moins spectaculaires mais hautement efficaces. Les plaintes contre les maisons d’édition assorties de très fortes sanctions financières sont une arme dissuasive contre les éditeurs refusant de caresser dans le sens du poil. A titre d’exemple, Vanessa Stojilkovic cite l’affaire Hasbro (un des deux géants mondiaux dominant l’industrie du jouet) contre EPO (éditeur du livre de Monopoly, l’OTAN à la conquête du monde de Michel Collon).

Officiellement, la plainte vient de l’utilisation de Monopoly, considérée comme une contrefaçon exigeant 150 000 euros pour atteinte à la marque, 100 000 euros pour parasitisme et 15 000 euros pour frais, soit 265 000 euros et la mort de la maison. Officieusement, l’enjeu politique est omniprésent car Paul Wolfowitz, n°2 du Pentagone, a été administrateur d’Hasbro qui compte des administrateurs connus pour leur position proche d’Israël. Dans l’autre camp, EPO s’est illustrée en publiant plusieurs livres critiques à l’égard des Etats-Unis : 11 septembre de Franssen, Palestine de Lucas Catherine ainsi que les ouvrages de Calvo Ospina sur les liens CIA-maffia cubaine ou celui de Hassan & Pestieau sur l’occupation de l’Irak. L’ouvrage incriminé défend l’idée selon laquelle la guerre contre la Yougoslavie n’était pas humanitaire, mais annonçait d’autres guerres (contre l’Irak et l’Afghanistan), en montrant que Washington cherchait le contrôle des routes du pétrole (projets de pipeline à travers les Balkans) accroissant la vulnérabilité énergétique de l’Europe. Quant à Michel Collon, il s’est illustré en révélant le rapport Wolfowitz de 1992, dans lequel il était demandé au Pentagone de tout faire pour empêcher l’apparition d’une armée européenne. Militant du mouvement Stop USA, il a aidé les familles de 17 victimes irakiennes à déposer une plainte, à Bruxelles en 2003, contre le général Franks, commandant en chef de l’armée US pour crimes de guerre. L’information est partout, elle suscite donc des guerres d’autant plus dures qu’elles sont parfois invisibles

Par Louisa Aït Hamadouche, La Tribune