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La presse étrangère indésirable en Algérie

mardi 13 juillet 2004, par Hassiba

Les correspondants des médias étrangers en Algérie sont désormais fixés. Le ministère de la communication chargé de renouveler leur accréditation chaque année leur a clairement fait savoir que le document leur permettant de travailler dans le pays ne leur sera pas remis cette fois-ci.

Aucune explication n’a cependant été fournie aux concernés qui se disent stupéfaits par cette mesure. Une certitude : la décision a été prise peu de temps avant l’ouverture de la campagne présidentielle.
Christian Lecompte est le premier de la série à faire les frais de cette mesure. Correspondant du Temps Suisse et de la Radio Suisse romande, il se fait convoquer au mois de février par le ministère de la communication qui l’informe alors qu’« on ne souhaite pas lui renouveler l’accréditation pour l’année 2004 ». Sans plus. « En fait, déclare-t-il, j’ai été reçu par le chef de cabinet du ministère, c’est lui qui m’a appris cette nouvelle surprenante. Je pensais sincèrement avoir été convoqué pour la remise de ma carte. » Christian Lecompte se dit avoir été d’autant plus surpris qu’aucune explication ne lui a été fournie par son interlocuteur qui lui promet seulement de lui transmettre un courrier qui n’arrivera jamais en fait. « Les médias pour lesquels je travaille ont réagi en envoyant des lettres de protestation aux autorités concernées. » Dans sa lettre, la radio Suisse romande fait part de son étonnement et « constate que cette décision intervient à quelques jours de l’élection présidentielle ». Le média interprète ce fait comme « une censure à l’égard de la radio et de leur collègue qui a couvert l’actualité algérienne avec objectivité ».
Le journal Le Temps proteste, lui aussi, auprès du ministère de la communication qui ne réagit pas. L’histoire ne s’arrête pas là. L’ambassadeur de Suisse s’informe à son tour auprès des concernés. Le discours qui lui est tenu est tout autre. Le journaliste raconte : « Je me trouvais en Suisse lorsque l’ambassadeur m’a appris que ma situation était réglée et que je pouvais rentrer en Algérie pour y travailler de nouveau. » En mai, il rentre rassuré et téléphone au ministère de la communication pour récupérer sa carte. Réponse négative. Les autorités campent sur leurs positions. Mais les doutes de Christian Lecompte portent sur le contenu d’un certain nombre de papiers qui auraient, à son avis, déplu aux autorités. « L’un des articles paru dans Le Temps rapportait des propos tenus durant une réunion du FLN de Benflis. Dans la salle, les militants scandaient "Bouteflika dictateur", c’est sur cette phrase que le journal a titré mon papier. Mais à côté de cela, on m’a fait également comprendre que j’allais souvent en Kabylie. Je n’ai fait que mon travail. »

Le correspondant suisse n’est pas le seul à avoir vu son dossier traîner avant que le refus de renouvellement de l’accréditation ne lui soit clairement signifié. Au cours de cette semaine, le reporter-photographe de l’AFP (Agence France-presse), auteur de la célèbre Madonne, a eu, lui aussi, droit à un non catégorique. Hocine Zaourar explique : « le ministère de la communication m’a longtemps fait croire que le renouvellement de ma carte tardait parce que j’avais remis mon dossier en retard. A chaque fois que je téléphonais, on me promettait une réponse dans la semaine. Mais les semaines se sont accumulées sans qu’aucune réponse ne me soit donnée. Jeudi dernier, j’ai été convoqué au ministère de la communication où l’on m’a clairement dit que je n’aurais pas ma carte cette année. » Là aussi, la tutelle ne fournit aucune explication. « Le directeur de l’information avec lequel je me suis entretenu n’a rien voulu me dire. Il m’a seulement informé que je n’étais pas le seul à être dans cette situation et qu’il s’attelle à transmettre les dossiers des concernés au ministre de la communication qui les étudiera dans la quinzaine. » Hocine Zaourar se dit d’autant plus étonné par une telle décision que « les autres membres du bureau de l’AFP d’Alger ont reçu pour leur part la carte pour cette année ». Il déclare : « je m’étonne aussi du fait qu’on me refuse la carte et qu’on l’octroie au chef du bureau précédent. Je ne comprends pas, il était sur le départ et on lui a renouvelé son accréditation. »

« A mon avis, il l’ont fait avec moi parce que je suis le plus exposé, mon travail se déroule dehors, sur le terrain. Et le terrain fait peur, c’est mal vu. Pour eux, le journaliste modèle est celui qui reste au bureau dans l’attente des communiqués officiels. Mais la photo, c’est tout autre chose. » Le ministère de la communication, faut-il le rappeler, ne s’est pas contenté de ne pas renouveler les cartes des correspondants des médias étrangers en Algérie. Trois bureaux de télévision arabes se sont vu purement et simplement retirer leur agrément au cours des semaines précédentes. La célèbre télévision quatarie Al Jazira, MBC et El Arabia n’émettent plus à partir d’Alger pour des raisons inconnues. Du moins officiellement. Le correspondant d’El Arabia, Ahmed Megaache, l’explique : « Dans mon cas, je pense avoir gêné en couvrant la réalité de ce pays. J’ai travaillé sur la crise que traverse la presse indépendante, la conjonctivite, la grève des enseignants, Benflis, la Kabylie, et tout cela a apparemment déplu. Je le paye, mais je tiens à dire que j’ai travaillé honnêtement et objectivement. Mon micro était ouvert à tout le monde. »

Parmi la liste des correspondants concernés par cette situation, celui du Figaro. Arezki Aït-Larbi affirme, lui, se battre depuis de longues années pour l’obtention de sa carte. Cette année encore, elle lui a été refusée. Son discours est sans nuance :
« tous les correspondants de presse savent pertinemment que les accréditations ne sont pas fournies sans l’avis favorable de la sécurité militaire. »

Par Abla Chérif, Le Matin