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La problématique de l’immoblier algérien

mercredi 16 mars 2005, par Stanislas

Le programme électoral du président-candidat comprenait la réalisation, en un quinquennat, d’un million de logements. L’inscription de ce projet répond à une très forte pression sur l’immobilier algérien et devra participer à la résorption du très grave problème du chômage qui frappe une grande partie de la population active du pays.

La réalisation d’un million de logements servira aussi de locomotive pour la relance de la machine économique. Ce qui n’était que promesse électorale est devenue la partie nodale du programme du gouvernement. Economiquement, politiquement et socialement, ce point est fondamental : il répond à un vrai besoin et constitue une réponse idoine à beaucoup de problèmes qui se posent au pays.

D’une part, la crise du logement qui perdure depuis plusieurs décennies constitue un véritable goulet d’étranglement qui empêche toute évolution normale de la société et est à l’origine du développement exponentiel d’un certain nombre de fléaux sociaux ; d’autre part, la prise en charge d’un tel programme de réalisation constitue une manne pour le développement d’une véritable industrie du bâtiment qui trouvera là les moyens matériels et financiers pour une relance économique et la création d’emplois. Ajoutons-y l’effet d’entraînement que, traditionnellement, le bâtiment exerce sur les autres secteurs de l’économie. Le pays a donc tout à gagner dans la réalisation sérieuse d’un tel programme de construction de logements. Mais du désir à la réalité, il y a une longue distance que le gouvernement ne semble pas pressé de franchir. Pour réaliser un tel programme de construction, il y a un certain nombre de conditions qui devront impérativement être remplies : disposer de moyens financiers suffisants (ce qui ne semble pas poser de problèmes particuliers au gouvernement, qu’il utilise ou non le matelas de dollars produit par la hausse continue du prix du pétrole) ; mettre rapidement sur pied une politique d’urbanisme et de la construction capable de répondre aux besoins réels du pays, en prenant en compte toutes les contraintes objectives : sismicité très forte dans toute la région nord du pays, rareté des assiettes foncières, création de nouvelles zones urbaines, adoption de nouvelles technologies de construction, utilisation maximale de matériaux locaux, respect de l’environnement, etc. Et aussi et surtout, disposer d’entreprises capables de prendre en charge, en quantité et en qualité, la réalisation d’un tel programme (en sus du programme normal de logements sociaux et promotionnels déjà lancés, ou à lancer). En termes de politique d’urbanisme et de construction, un retard considérable a été déjà pris et vient contrarier en partie la réalisation du programme présidentiel. Savoir où construire, avec quelles normes et comment construire revêt une importance fondamentale pour un pays qui se veut ouvert sur la modernité et qui prétend s’adapter aux contraintes du milieu. Ce sont donc là des problèmes importants et fondamentaux qui devront être résolus en urgence.

Les leçons de Bab El Oued

Mais le problème le plus ardu est celui constitué par l’absence presque totale de moyens nationaux de réalisation. Le ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme répète à l’envi qu’il existe en Algérie assez d’entreprises pour prendre en charge la réalisation dans les délais du programme du président de la République. Nous avons beau chercher, nous ne voyons pas où se trouvent ces moyens. Les entreprises publiques de construction sont toutes dans un tel état de délabrement (voulu par les pouvoirs publics, qui après en avoir usé et abusé, les ont abandonnées à leur triste sort) qu’elles sont incapables, dans l’état actuel des choses, de prendre en charge des programmes dépassant cent logements chacune. Les entreprises privées d’envergure, qui devaient prendre la relève, sont elles-mêmes inexistantes ; les petites entreprises privées, qui à un certain moment pullulaient, commencent elles aussi à disparaître et de toutes les façons, sont incapables de répondre aux besoins d’un tel programme. La politique des prix administrés pratiqués (et leur faiblesse manifeste au regard de ceux des intrants qui ne cessent de croître), les énormes retards mis dans le règlement des créances des entreprises et le rôle néfaste des banques qui refusent de soutenir les entreprises ont eu le même effet sur la quasi-totalité des entreprises activant dans le secteur de la construction : leur déstructuration financière et la faillite de la majorité d’entre elles, qu’elles soient du secteur public ou privé.

Le gouvernement a, par la force des choses, fini par comprendre qu’il avait besoin de disposer d’entreprises publiques de bâtiment disposant d’énormes moyens, qui sont capables, non seulement de prendre en charge de grands programmes de construction, mais aussi d’être mobilisables immédiatement en cas de grandes catastrophes naturelles : le chef du gouvernement a en effet rapidement tiré les leçons des inondations de Bab El Oued et du séisme du 21 mai 2003. Il s’est vite aperçu que l’Etat ne disposait plus des moyens d’antan pour, d’une part, répondre aux urgences qui suivent immédiatement les catastrophes et, d’autre part, prendre en charge les travaux de reconstruction. Il s’est très vite rendu compte que les entreprises privées étaient totalement absentes du terrain et que les entreprises publiques ne disposaient plus de moyens importants à mobiliser. C’est ce qui a amené le chef du gouvernement et le CPE qu’il préside à décider de la création de quatre grands groupes industriels spécialisés dans le bâtiment qui regrouperont en leur sein la presque totalité des EPE existantes. C’est une manière de recréer les gigaentreprises du début des années 1980, mais sans leurs gigantesques moyens. Compte tenu de l’absence, depuis au moins 1990, de renouvellement de leurs investissements, les EPE du secteur du bâtiment se trouvent dans un état de sous-équipement total.

L’addition de leurs moyens matériels actuels suffiront à peine à la prise en charge de quelques milliers de logements sur le million du programme du président. Il en est bien sûr de même des moyens financiers dont disposent les entreprises qui constituent les nouveaux groupes créés : ensemble, elles cumulent des dettes financières monumentales et n’ont pratiquement aucune disponibilité. Si les pouvoirs publics veulent rendre ces groupes opérationnels et efficients, ils devront réfléchir sans tarder aux moyens de leur venir en aide pour le renouvellement de leurs investissements. Or, à entendre différents ministres qui se sont exprimés sur ce sujet (y compris le premier d’entre eux), l’Etat n’est pas disposé à mettre un dinar pour recapitaliser et/ou doter en moyens matériels les entreprises constituant les groupes. Tout ce que l’Etat a accepté de faire, c’est d’une part, effacer la dette Trésor des entreprises concernées (il est vrai qu’elle est énorme) et, d’autre part de rééchelonner leur dette fiscale et parafiscale ; c’est peu au regard des immenses besoins qu’ont les entreprises pour pouvoir prendre en charge efficacement de grands programmes de réalisation. Ce qui semble le plus manquer au secteur du bâtiment et de la construction, c’est un ministre qui dispose d’un réel poids politique pour pouvoir imposer à ses collègues des secteurs clés et au chef du gouvernement les décisions que le terrain impose.

Ce n’est malheureusement pas le cas des ministres qui se sont succédé à la tête du secteur de l’habitat et de l’urbanisme : au mieux, ils n’ont jamais été que des technocrates, chargés de la mission spécifique d’appliquer une politique adoptée par d’autres et poursuivant d’autres objectifs, évidents ou cachés. La casse des entreprises publiques activant au sein du secteur a été l’un de ces objectifs ; le seul qui ait été poursuivi avec tant de méthode et d’efficacité, qu’il a été une réussite presque totale : l’outil public de réalisation a été totalement laminé par les pouvoirs publics par toute une série de moyens détournés qui ont pour noms l’imposition de prix de vente administrés très faibles, une politique systématique de retards de payement des situations de travaux et l’ingérence dans la gestion. La politique aberrante des prix pratiqués par les pouvoirs publics a été à l’origine de la destruction de l’outil national de réalisation, tant public que privé. Tous les ministres, qui se sont succédé depuis une dizaine d’années à la tête du secteur de l’habitat portent la lourde responsabilité dans la dégradation de la situation des entreprises nationales de bâtiment.

Tous étaient convaincus que les prix imposés étaient trop faibles pour pouvoir être supportés par les entreprises sans conséquences désastreuses pour elles. Tous savaient (tous les rapports rédigés aussi bien par les managers desdites entreprises ou par leur tutelle directe : Holding RMC, puis SGP « Injab ») ont insisté sur ce point. Rien n’y a fait : les ministres sont restés sur leur position qui consiste à affirmer, contre toute vraisemblance, que 12 000 DA le mètre carré construit (ou 14 000 ou 16 000) étaient des prix justes et rémunérateurs. Cela défie toute logique et fait la démonstration que soit le ministre ne dispose pas de sa propre expertise qui puisse lui rapporter la vérité du terrain, soit il répercute candidement les mensonges de ses subordonnés, lesquels lui cachent la réalité pour ne pas le contrarier. Il semble plus vraisemblable que le ministre, n’ayant pas de véritable poids politique, n’ait pas le courage de s’opposer à ses pairs plus puissants et exiger de l’Etat des décisions qui ne font pas l’unanimité des décideurs. Si au moins cette politique de destruction des EPE du secteur du BTP avaient donné naissance à de puissantes entreprises privées capables de prendre efficacement le relais. Cela n’a bien sûr pas été le cas : les milliers de petites entreprises qui ont été créées pour se substituer aux EPE ont, dans leur immense majorité, été rapidement mises en faillite par la politique des prix administrés pratiqués, ainsi que par la lenteur mis dans le paiement des situations de travaux (sans parler des dessous-de-table que beaucoup d’entre elles ont été obligées de payer pour bénéficier d’un petit plan de charges).

Ajoutons que ces petites entreprises, souvent de simples artisans, n’avaient aucun moyen pour réaliser des travaux dans le respect des normes exigées par les lois et règlements. Aucune grande entreprise privée n’a vu le jour : celles qui ont été créées ou se sont développées ont investi des secteurs plus lucratifs et mieux pris en main par des ministères qui ont développé de réelles compétences techniques et managériales (travaux publics, hydraulique) ; elles fuient comme la peste le secteur du bâtiment et de la construction. C’est dire la « réussite » des ministres qui se sont succédé à la tête de ce secteur. Et si le but ultime de toute cette politique n’était que « démontrer l’incapacité de l’outil national de réalisation, public ou privé, de faire face aux immenses besoins du secteur » ? D’où le besoin de faire appel aux entreprises étrangères « qui respectent les délais imposés et réalisent en fonction de normes qualitatives ». Ce qui explique l’engouement du ministre pour les entreprises chinoises, leurs travailleurs et leurs méthodes de travail (le fameux mythe des 3 x 8). Ce qui explique aussi le fait que, contre toute logique, les maîtres d’ouvrage concèdent aux entreprises étrangères de meilleurs prix qu’aux entreprises nationales (22 à 28 000 DA/m2 pour les uns contre 16 000 DA/m2 pour les autres, pour évidemment les mêmes prestations). Ajoutons que pour ce qui concerne les entreprises chinoises, les pouvoirs publics ont même consenti à accepter qu’elles ne travaillent qu’avec une main-d’œuvre elle-même chinoise ; ce qui pour un pays ayant un taux de chômage aussi élevé que l’Algérie est une véritable ineptie.

Mais même cela n’a pas réglé le problème, tant en nombre de logements livrés (le programme AADL de 2001 n’est toujours pas livré dans sa totalité) qu’en termes de permanence de l’outil de réalisation : les entreprises étrangères, y compris chinoises, se retirent petit à petit des chantiers qu’elles ont pris en charge sans les avoir livrés. Le recours aux entreprises étrangères n’est valable qu’en tant que moyens complémentaires à un outil national ; il ne doit en aucun cas se substituer à lui. Il ne doit intervenir qu’une fois les moyens nationaux saturés ou pour des projets nécessitant une technologie que l’Algérie ne maîtrise pas encore. Le recours aux entreprises étrangères doit viser l’acquisition d’un savoir-faire nouveau, d’un produit nouveau et de nouvelles technologies de construction. Il y a un vrai danger de dépendance à confier l’ensemble des programmes de construction à des entreprises étrangères, surtout quand celles-ci n’acceptent de travailler qu’avec une main-d’œuvre importée : dans ce cas, il n’y a pas de transfert de technologie, il y a seulement transfert de produit ; l’Algérie n’a rien à gagner à cela : elle restera toujours dépendante de l’étranger pour un produit qu’elle est capable de réaliser par ses propres moyens. Pour revenir à notre problème initial de réalisation du programme d’un million de logements en un quinquennat, on voit que l’optimisme affiché par le ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme n’est qu’un optimisme de façade qui cache en réalité un vrai problème : l’Algérie ne dispose pas d’entreprises capables de prendre en charge ce programme.

Par ailleurs, même si elle le désire, elle ne pratique pas des prix assez attractifs pour attirer un grand nombre d’entreprises étrangères. Il ne reste aux pouvoirs publics qu’à reconnaître le plus rapidement possible la réalité du terrain et à prendre les dispositions que cette réalité impose : mettre en place les conditions matérielles et réglementaires pour la relance de l’outil national de réalisation, public et privé. Concernant l’outil public de réalisation, le CPE a déjà pris un certain nombre de mesures tendant à mettre sur pied quatre grands groupes d’entreprises capables de répondre aux besoins du secteur de la construction. Cela ne suffit pas : il faut absolument que les pouvoirs publics trouvent la formule adéquate pour permettre à ces entreprises, qui ne sont ni riches ni bancables, de renouveler leurs investissements, sans que le Trésor ait à avancer lui-même l’argent nécessaire. Sans ce renouvellement des investissements, il serait vain de croire que les groupes créés puissent survivre et croître en fonction des besoins du pays. Les entreprises publiques et privées souffrent toutes d’une crise aiguë de trésorerie ; elles sont aussi, du moins pour celles du secteur public, privées du soutien des banques. Elles ne peuvent donc soumissionner à d’importants projets, faute de produire les cautions réglementaires, instituées par le nouveau code de commerce. Or, les cautions peuvent très bien, comme c’était le cas avant la nouvelle mouture du code de commerce, être remplacées par des retenues de garantie : elles ont exactement le même effet. Pourquoi ne pas revenir, même à titre temporaire, à cette formule qui garantit les intérêts des deux parties, le maître d’ouvrage et l’entreprise. Il suffit d’un amendement rapide à la loi.

Électoralisme

Il y a enfin urgence à revenir à une véritable loi du marché en ce qui concerne les prix de vente du mètre carré construit. Il convient d’abandonner immédiatement la pratique du prix administré et mettre réellement en concurrence les entreprises pour la prise en charge des programmes de construction. C’est le cas dans les deux autres secteurs des travaux publics et hydrauliques (BTPH), au sein desquels les entreprises négocient librement les prix de leurs prestations. Sans cette liberté des prix, les groupements d’entreprises nouvellement créés ne survivront pas longtemps : les prix pratiqués sont tellement faibles qu’ils se traduisent immédiatement par des déficits importants. Et cela est inacceptable pour n’importe quel manager. Donc, soit l’entreprise quitte son secteur d’activité et cherche à intégrer un secteur plus rentable, soit elle meurt de sa belle mort en subissant le diktat des pouvoirs publics qui poursuivent d’autres objectifs que celui de réaliser le programme présidentiel. Mais il ne faudra pas pour autant désespérer, car en fin de parcours (environ un an avant la nouvelle élection présidentielle) les stratèges du ministère publieront toute une série de statistiques qui persuaderont la population que les objectifs fixés auront été en grande partie atteints. Quitte à prendre, comme cela a été souvent le cas, quelques libertés avec la vérité et comptabiliser toutes les réalisations des années antérieures, tous statuts confondus (autoconstruction où les permis de construire sont souvent comptabilisés plusieurs fois, à concurrence de trois logements pour un permis, les logements sociaux plusieurs fois recensés, les promotions immobilières publiques et privées, les logements ruraux, et peut-être même les chalets construits dans le cadre du séisme du 21 mai 2003, etc.). Cela mènera peut-être au chiffre convenu d’un million de logements.

Grim Rachid, www.elwatan.com