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La rigueur chez les cabinets de conseil

samedi 16 avril 2005, par nassim

Après le tsunami provoqué par l’affaire Arthur Andersen et pour cause de mauvaise conjoncture, les cabinets de conseil se fixent de nouvelles règles de rigueur.

C’est une lente convalescence... Après quatre années consécutives

Arthur Andersen renaît sous Accenture

de crise, le petit monde des consultants se remet doucement du séisme provoqué à la fois par la disparition d’Arthur Andersen et l’éclatement de la bulle Internet. La chute a été brutale : le chiffre d’affaires global du secteur a baissé de 25 % entre 2001 et 2004. Ce qui s’est traduit par une diminution drastique des effectifs. « Nous sommes passés de 35 000 à 27 000 salariés sur la période », reconnaît Jean-Luc Placet, président du Syntec, le syndicat professionnel qui rassemble 65 des 350 cabinets de conseil recensés en France. Les salaires ont suivi la même évolution : « Dans un contexte où une part non négligeable de la rémunération provient de primes calculées en fonction des résultats de l’entreprise, les revenus des consultants ont diminué parfois d’un quart », analyse Isabelle Hoffmann, sociologue au Lise (Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique, rattaché au CNRS et au CNAM).

Face à cette situation, beaucoup ont préféré jeter l’éponge. « Peu de mes anciens collègues sont restés dans le conseil », s’amuse Ivan Jeleff-Daroux, ex-consultant chez Arthur Andersen Management, disparu au lendemain du scandale Enron, cette société américaine dont la faillite a ébranlé le capitalisme américain. « La grande majorité d’entre eux a choisi la sécurité en se faisant recruter par leurs anciens clients, mais beaucoup en ont aussi profité pour lancer leur propre entreprise », déclare ce jeune trentenaire qui a lui-même ouvert une boutique de design dans le Marais, à Paris.

Si peu de cabinets de conseil ont été épargnés par cette crise, certains ont plus souffert que d’autres. En premier lieu, les poids lourds du secteur aux effectifs pléthoriques : Accenture, Unilog ou Capgemini. « Ces majors généralistes misaient beaucoup sur les nouvelles technologies. Or c’est précisément dans ce secteur que la crise a été la plus forte », analyse Pierre d’Huy, associé chez Experts Consultants, spécialisé dans le coaching et l’innovation.

Le retour de la croissance dans l’informatique et les télécoms suffira-t-il à faire sortir ces cabinets de l’ornière ? Pas sûr. Car même si Jean-Luc Placet se montre optimiste (« nous tablons sur un cycle de quatre années à + 3 ou + 4 % », prédit-il), nombre d’acteurs confient, sous couvert d’anonymat, une certaine inquiétude pour l’avenir. « Depuis qu’ont été mises en place des directions des achats dans la plupart des grands groupes, il nous est de plus en plus difficile de facturer un consultant au-delà de 1 500 euros par jour », s’alarme ainsi un consultant senior d’un grand cabinet parisien, pour qui l’âge d’or du conseil semble bel et bien derrière lui. « Ces directeurs des achats, souvent formés dans l’industrie et dont l’objectif premier est de traquer les dépenses inutiles, ne comprennent pas toujours les prix que nous pratiquons. S’il leur est facile d’estimer le prix d’un pneu, ils peinent davantage à évaluer une prestation immatérielle. Nous nous devons juste de leur expliquer », relativise Pierre d’Huy.

Oscillant entre 600 euros pour un consultant junior spécialisé dans les systèmes d’information et plus de 6 000 euros la journée pour les experts en stratégie les plus cotés, les tarifs facturés n’ont, de fait, rien à voir avec ceux pratiqués en entreprise. « Mais il faut savoir ce que l’on veut, s’insurge Jean-Luc Placet, par ailleurs propriétaire du cabinet IDRH, spécialisé dans l’« optimisation » des ressources humaines. Si l’on veut pouvoir continuer de bénéficier de l’expertise des meilleurs professionnels, cela a un prix. »

Excellente carte de visite. « La défense de la qualité du conseil passe par le maintien de rémunérations suffisamment attractives », confirme Patrice Zygband, président d’AT Kearney, qui reconnaît qu’en contrepartie de ces beaux salaires (43 000 euros annuels pour un jeune diplômé, de 75 000 à 100 000 euros par an pour un manager) « les consultants s’impliquent sans compter auprès de leurs clients ». Comprenez : les 35 heures n’existent pas pour eux.

Une pression que nombre de jeunes diplômés de grandes écoles rechignent aujourd’hui à accepter. Tel Vincent Petitet, qui s’apprête à publier (en septembre chez Jean-Claude Lattès) un roman où il décrit sur le mode de la comédie ce qu’il a vécu en tant que conseiller du président d’Arthur Andersen. Cette expérience, dont il avait déjà tiré matière pour une thèse de doctorat (consacrée à l’analyse foucaldienne des modes de fonctionnement d’un cabinet d’audit), soutenue en 2004 à l’Ecole normale supérieure de Lyon, lui a laissé un souvenir mitigé. « Au départ, tout contribue à faire rêver : les fortes rémunérations, l’impression d’être au sommet de la pyramide, tout proche du vrai pouvoir. Et puis l’on déchante en découvrant la violence du système liée à l’omniprésence du stress et à la férocité des rapports de forces au sein de la structure. »

Comment dès lors réhabiliter la profession ? « En expliquant aux candidats les avantages d’un passage en cabinet de conseil », répond Jean-Luc Placet. De fortes rémunérations, certes, mais aussi et surtout une accélération formidable de carrière. Un passage en cabinet de conseil est, de fait, perçu par nombre de recruteurs comme une excellente carte de visite, car il témoigne d’une forte capacité de travail et d’un certain esprit de rigueur.

Des arguments de poids mais qui ne peuvent jouer que si « le conseil ne devient pas du super-intérim : c’est-à-dire de la mise à disposition de personnels pointus pour mettre en place des applications nouvelles en entreprise », expose Pierre Nanterne, membre du comité exécutif d’Accenture, qui reconnaît que, de ce point de vue, « il y a eu une dérive ces dernières années et que nombre de cabinets ont eu tendance à aller vers la facilité en fournissant davantage des ressources humaines de haut niveau que des études fouillées ».

Une tendance qui semble pourtant inéluctable pour Isabelle Hoffmann. Aux yeux de la chercheuse, ce phénomène d’industrialisation du conseil est, en effet, consubstantiel du mouvement de concentration qu’a connu le monde du consulting dans les années récentes. « La crise de l’expertise que traverse actuellement le conseil résulte du fait que la culture informatique a pénétré dans tous les domaines », explique-t-elle. Ainsi qu’en témoigne la mutation d’IBM, passée en quelques années de l’industrie au conseil... Ce phénomène s’est traduit par une rationalisation toujours plus poussée du mode de fonctionnement des cabinets, qui en conduit de plus en plus à recycler des études « standardisées », ou à sous-traiter une partie du travail à des cabinets indiens (« moins chers et tout aussi performants, notamment dans le domaine de l’analyse des coûts et du benchmark », relève un expert), ce qui fait bondir Jean-Luc Placet. « Ce n’est plus du conseil tel que nous l’entendons : c’est-à-dire une réponse ad hoc à un problème spécifique », proteste-t-il. La frontière est parfois bien mince entre la prestation de services et le conseil ! « Après tout, on appelle bien consultant le moindre joueur de foot qui commente un match », soupire le président du Syntec...

Par Baudouin Eschapasse, lepoint.fr