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Les raiders chinois gobent les PME allemandes

jeudi 24 mars 2005, par Hassiba

Zhou Jiang est en train de devenir le Chinois le plus connu d’Allemagne. « Les journalistes passent leur temps à m’appeler, j’en ai mal à la tête », soupire cet entrepreneur de 29 ans qui est devenu un symbole ambigu, celui de la conquête d’une partie du marché allemand par les investisseurs chinois.

En rachetant en 2003 pour le compte de la société Huapeng la société Welz - un producteur allemand de bouteilles à air comprimé au bord du dépôt de bilan -, l’homme d’affaires avait défrayé la chronique. L’Allemagne prenait brutalement conscience d’un phénomène nouveau : les Chinois ne se contentent plus d’ouvrir des bureaux d’import-export à Hambourg. Ils rachètent bel et bien des entreprises allemandes.

« Depuis trois ans, le nombre de transactions est en très forte augmentation », explique Michael Keller, associé chez Klein & Coll, un cabinet de conseil qui représente la Banque commerciale et industrielle de Chine et, à ce titre, conseille les entreprises chinoises souhaitant investir outre-Rhin.

C’est une vraie déferlante. Les Chinois sont devenus, après les Américains, les plus importants acheteurs en Allemagne en 2004, en acquérant 168 entreprises. L’année précédente, 112 entreprises avaient été vendues à des groupes chinois.

Cet engouement pour l’Allemagne s’explique en partie par l’ancienneté des relations économiques entre les deux pays. « L’Allemagne a été le premier pays européen à signer un contrat de commerce en 1976 avec la Chine », souligne Detlef Böhle, expert auprès de la chambre de commerce et d’industrie allemande.

Surtout, « le « made in Germany » reste très reconnu en Chine », affirme Michael Keller. Il est synonyme de savoir-faire et d’accès à de nouveaux marchés. Vu de Pékin, le rachat d’une entreprise allemande est le chemin le plus direct pour y parvenir.

La convoitise chinoise s’étend à tous les secteurs : de l’industrie aéronautique en passant par l’électronique, le textile ou les jouets pour enfants, les hommes d’affaires chinois sont là. Pour l’instant, ils visent surtout les petites et moyennes entreprises. La morosité de la conjoncture allemande fait des PME des proies idéales pour ces investisseurs. Les Chinois profitent d’une vulnérabilité chronique des PME allemandes. Beaucoup de patrons de ces sociétés familiales peinent à trouver un successeur crédible. Alors, on ferme ou on vend. Une aubaine pour les raiders, qui peuvent acquérir à faible prix.

Detlef Böhle poursuit : « Les Chinois fouillent beaucoup en Allemagne de l’Est, si possible dans la branche high tech. » Mais attention, l’objectif n’est pas de produire en Allemagne. « Seules trois choses les intéressent : le réseau de vente, la marque et le savoir-faire », précise Michael Keller.

Prenons l’exemple de Schiess, un fabricant de machines-outils de haute technologie, racheté en novembre 2004 par le groupe Shenyang. Lors de l’acquisition, le président chinois, Geng Hongchen, n’a nullement caché ses intentions : « Nous cherchons de nouvelles possibilités de développement et nous voudrions utiliser les canaux de distribution de Schiess pour l’exportation de nos produits en Europe. »

Pour le personnel de ces entreprises, l’achat par les Chinois signifie donc souvent le licenciement à plutôt brève échéance. Après un an, « 90% des acquéreurs chinois licencient le personnel et délocalisent la production », poursuit Michael Keller. Dans le pays aux 5,2 millions de chômeurs, l’inquiétude n’est pas feinte.

Le cas de Huapeng, qui a conservé le site de production de Welz, représente une exception rare. Pas étonnant que les hommes d’affaires chinois aient mauvaise réputation ici. On leur reprochait déjà de piller la technologie allemande. Maintenant, l’arrivée de ces nouveaux investisseurs fait craindre la grande braderie du « made in Germany ».

Cette ruée vers l’Allemagne ne fait que commencer. Dans les années à venir, « nous devrions assister en Allemagne à un boom des transactions », prédit Michael Keller. A partir du 1er mai prochain, les entreprises chinoises ne devront plus demander une autorisation au ministère chinois du Commerce pour s’implanter à l’étranger. Ce qui devrait démultiplier l’appétit des sociétés chinoises.

Au total, quelque 900 firmes chinoises seraient implantées en Allemagne, notamment dans les villes de Francfort, Berlin, Düsseldorf et Hambourg. Cette dernière est particulièrement appréciée des Chinois. Près de 360 entreprises chinoises y ont leur siège, à l’image de Zhou Jiang, qui a ouvert dans la cité portuaire une filiale de Huapeng en 2001. « Il y a une multitude d’avantages à Hambourg », souligne l’entrepreneur.

Outre des procédures administratives simplifiées, la ville-Etat octroie des primes pour le loyer des entreprises. La cité, partenaire de la ville de Shanghaï, a bien saisi l’enjeu que représentait son port pour les investisseurs chinois. « Hambourg est perçu par les entreprises chinoises comme une porte d’entrée pour les mar chés européens », souligne Dietmar Düdden, président de la société hambour geoise chargée de la pro motion écono mique.

Et pour en attirer encore plus, la ville veut entamer cette année une tournée marketing dans des vil les moyennes chinoises (entre 5 et 10 millions d’habitants).

Cette stratégie se montre payante puisque la cité portuaire attire le plus grand nombre d’entrepreneurs chinois de toute l’Europe. « Nous n’avons fait que de bonnes expériences », confirme Zhou Jiang.

Seul point noir pour les hommes d’affaires chinois, l’absence de liaison aérienne directe entre Hambourg et la Chine. Un récent sondage réalisé auprès de 81 entreprises Montre que 25% d’entre elles souhaitent l’ouverture d’une ligne entre la cité portuaire et l’une des grandes villes chinoises. La ville a promis de faire son possible pour répondre à cette demande.


Berlin-Cécile Calla, www.lefigaro.fr