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Ligue arabe : Le sommet de la transition

samedi 26 mars 2005, par Hassiba

La diplomatie algérienne peut, sans aucun doute, mettre à son actif la qualité de l’organisation et de la tenue de ce dix-septième sommet des Etats de la Ligue arabe et les messages de remerciement adressés au chef de l’Etat algérien par nombre de responsables arabes ayant pris part à la rencontre d’Alger ne procèdent pas uniquement de l’usage protocolaire qui donnent acte à l’Algérie d’un succès globalement souligné, notamment par les médias arabes.

Pour les autorités algériennes, ce résultat probant peut avoir vertu d’un retour indiscuté sur une scène arabe qui consacre, d’une certaine manière, le parachèvement de la récupération de la plénitude des champs d’action traditionnels de la politique étrangère de l’Algérie.

Il en sera assurément retenu que le sommet d’Alger clôt spectaculairement la tragique séquence du terrorisme islamiste, de son instrumentation stratégique -y compris par des pays arabes- avec en particulier la politique de « containment » et d’isolement subséquent qui fut imposée au pays.Si les résultats du sommet des Etats arabes s’apprécient formellement à l’aune des décisions prises et consignées dans la déclaration finale des progrès intéressants, ils auront alors été enregistrés qui, à bien y regarder, trouvent leur cohérence politique dans la nécessité d’infléchir, aussi peu que ce soit, dans un sens plus démocratique, la gestion de la vénérable institution qu’est la ligue et de s’ouvrir, fut-ce encore dans des proportions limitées et timides, aux mouvements des sociétés arabes.

Le principe de l’institution d’un parlement arabe, fut-il encore en porte-à-faux par rapport aux réalités politiques largement contrastées du Monde arabe, celui de la prise de décision à la majorité qualifiée des voix, les modifications attendues dans son secrétariat général constituent, dussent-elles paraître aux yeux de nombre d’observateurs, surtout modestes, qui traduisent les incontournables pesanteurs des régimes arabes et l’incompressible difficulté à imaginer, de l’intérieur même de la ligue, une logique commune de mutation politique démocratique.

Le poids des non-dits
L’esprit de réforme a ainsi soufflé, autant qu’il le pouvait, sur le sommet de la capitale algérienne et c’est au moins à un premier « minimum démocratique commun » que les Etats membres de la Ligue arabe ont accepté de s’engager.

Ce minimum consenti est-il à la hauteur de défis -opportunément et explicitement rappelés dans le discours d’ouverture du président algérien- et surtout en phase avec une accélération des événements sur laquelle la Ligue arabe, en tant qu’entité, et les Etats arabes, chacun en ce qui le concerne, ont peu ou pas de prise ?

Est-ce enfin à l’importance des « non-dits », au poids des stratégies réelles des uns et des autres que devra aussi s’apprécier ce qui a été enregistré effectivement à Alger et dont, à titre d’exemple, la condamnation « du terrorisme sous toutes ses formes » est tout à fait emblématique. Même si -et cela avait formellement été soutenu par le chef de l’Etat algérien en particulier- la distinction entre la résistance légitime à l’occupation -et il faut bien entendre l’occupation israélienne des territoires palestinien et arabes au Liban et en Syrie- et le terrorisme comme le refus de l’amalgame entre islam et terrorisme a été réaffirmée, c’est bien un message précis, prioritairement adressé aux Etats-Unis, qu’aura émis un sommet arabe largement informé par l’initiative américaine du « Grand Moyen-Orient ».

A la manière du fantôme de l’opéra, ce choix stratégique de l’administration Bush aura hanté la salle de conférences et les allées du palais des Nations et des grands hôtels algérois et, plus que jamais, aura été vérifié l’axiome « y penser toujours et n’en parler jamais » puisque les responsables arabes rassemblés à Alger se sont, selon toute apparence, entendus sur l’idée de ne pas évoquer les sujets qui fâchent et notamment, dans le détail, les différences de posture entre les uns et les autres tant vis-à-vis d’Israël que de l’engament américain sans la région.

Les Arabes à Canossa
« L’initiative jordanienne » -qui n’eut même pas la clarté d’être défendue par un souverain hachémite opportunément appelé par des engagements aux Etats-Unis- à la veille de l’ouverture du sommet ou même la réponse du président égyptien Moubarak -soulignant cruellement la faiblesse des Etats de la confrontation directe avec Israël- à la demande syrienne de participation au comité de suivi nouvellement institué illustrent parfaitement la réalité des arrière-pensées et le souci ultime de donner des gages à des Américains érigés, au mieux, en mal nécessaire. De ce point de vue, ce qu’il a été convenu de designer comme « une réactivation de l’initiative de paix arabe » et qui consacre, comme cela a été explicitement dit, la paix avec Israël comme « choix arabe stratégique », peut-il être perçu comme un « smig » diplomatique au-delà duquel la Ligue arabe se contraindrait à admettre sa fiction et les chefs d’Etat arabes l’échec consommé d’un idéal arabe commun.

Plus qu’à aucun autre moment de l’histoire politique agitée du Monde arabe n’aura prévalu le sentiment que, le plus souvent en ordre dispersé, les responsables, les régimes arabes ont préféré aller à Canossa au choix plus douloureux assurément de l’examen critique des idéaux et des thèses d’un « nationalisme révolutionnaire » sans doute enterré pour longtemps à Alger. Israël ne s’y trompe pas qui a rejeté sans souci de forme l’offre de paix arabe et si ses porte-parole s’ingénient, à raison d’ailleurs, de pointer « le retard sur le réel » des membres de la Ligue arabe sont-ils confortés en cela par les résultats tangibles obtenus et, est-il besoin de le rappeler, obtenus à l’ombre de la toute puissance américaine et de l’impunité assurée qui dispense l’Etat hébreu de la stricte soumission aux règles admises par la communauté internationale.

L’adhésion démocratique des opinions
Le résultat paradoxal est la consécration de l’efficience du terrorisme d’Etat pratiqué y compris contre les résolutions pertinentes des Nations unies par Israël au moment où les Etats arabes, sous la puissance de l’onde de choc du 11 septembre, assument, à corps défendant pour certains d’entre eux, la responsabilité morale du terrorisme islamiste et se résolvent à une condamnation du terrorisme appelée, à terme, à disqualifier une résistance palestinienne ou arabe aux entreprises d’Israël.

En vérité, le sommet des chefs d’Etat de la Ligue arabe, tenu à Alger, aura constitué, sans qu’on en mesure la portée, un sommet de transition qui marque comme jamais auparavant le lien intime entre les options stratégiques des pays arabes et leur ancrage légitime dans leurs sociétés et leurs opinions lien hypothéqué par l’indiscutable validation de la culture et des valeurs démocratiques. En filigrane des travaux du sommet d’Alger, est-ce la question de la compatibilité de l’existence d’Israël avec un Monde arabe démocratisé et de régimes arabes forts de l’adhésion de leurs opinions qui s’impose comme perspective arabe au-delà de rites réactivés des rencontres entre chefs d’Etat.

Par Chaffik Benhacene, latribune-online.com