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Paul Wolfowitz : « Les pays riches doivent réduire la pauvreté »

samedi 19 mars 2005, par Hassiba

Paul D. Wolfowitz, 61 ans, secrétaire adjoint à la Défense, a été choisi par George W. Bush pour succéder à James Wolfensohn à la présidence de la Banque mondiale, une institution multilatérale qui distribue 20 milliards de dollars de prêts annuels aux pays en voie de développement.

La promotion de ce néoconservateur, qui a été l’un des architectes de la guerre en Irak, a provoqué un malaise en Europe. Il s’explique pour Le Figaro.

LE FIGARO. - Vous aviez dit que la présidence de la Banque mondiale ne vous intéressait pas. Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?
Paul WOLFOWITZ. - Je n’ai jamais dit ça. J’ai dit que j’aimais beaucoup mes fonctions actuelles et que je souhaitais les conserver. En réalité, je ne pouvais pas commenter l’offre qui m’avait été faite. Mais la Banque mondiale est un poste fantastique. C’est la principale institution mondiale de développement économique, elle a un bilan impressionnant, sa mission est absolument essentielle. J’espère l’amener à un niveau encore supérieur d’efficacité.

Comment réagissez-vous aux commentaires très négatifs qui ont accompagné votre nomination ?
Beaucoup de gens parlent sans me connaître, ou ne me connaissent qu’à partir de caricatures, parfois très inexactes. Rien d’étonnant que certains soient inquiets : ils ne comprennent pas à quel point je m’intéresse à cette mission, quelle importance j’attache à la lutte contre la pauvreté. Je l’ai montré chaque fois que j’ai eu l’occasion de m’impliquer dans ces questions. (...).

Allez-vous provoquer un « changement de régime » à la Banque mondiale ?
Absolument pas. Beaucoup redoutent que je bouleverse totalement l’organisation, mais ce n’est pas du tout mon genre. Je considère qu’elle a réalisé un excellent travail grâce à un personnel remarquable. James Wolfensohn a introduit des changements que j’approuve sans réserve : l’accent mis sur l’éducation, la transparence, la responsabilité. Ce sont des orientations très bienvenues que j’entends poursuivre.

Vous avez la réputation de secouer les institutions : prétendez-vous qu’il n’y a rien à changer à la Banque mondiale ?
Je suis sûr qu’il y a des choses à améliorer, comme dans toute grande entreprise. C’était aussi vrai au département de la Défense : personne ne peut dire que les changements introduits ici ont nui à l’institution, affecté son moral ou diminué la fierté du personnel dans son travail, ce qui est très important. Mais croyez-moi, je n’arrive pas avec un programme politique ou une critique toute prête de la Banque. Je pense que sa mission est par nature multilatérale : dans quasiment tous les cas, l’aide internationale procède de multiples pays et agences et il faut les coordonner. Je pense aussi qu’elle doit convaincre les pays donateurs d’être plus généreux, et l’un des moyens d’y parvenir est d’assurer les contribuables de ces pays que leur assistance est distribuée efficacement.

Pensez-vous que la Banque devrait augmenter ses prêts ou plutôt mettre l’accent sur les dons aux pays les plus pauvres ?
Je sais que cela fait débat et j’ai l’intention d’écouter toute la gamme des opinions sur ce sujet. Je suis conscient que le président de la Banque ne travaille plus pour son pays, mais pour une institution internationale. Il y a une tendance depuis trente ans en faveur de l’augmentation des dons et de l’effacement des dettes -(NDLR : les Etats-Unis privilégient les dons sur les prêts). Mais je n’aborde pas la question avec une position dogmatique.

La Banque mondiale est censée être politiquement neutre : elle octroie des prêts à l’Iran et à d’autres pays non démocratiques. Etes-vous à l’aise avec ce principe ?
Je crois sincèrement que le développement économique est un phénomène globalement positif, qui a tendance à s’accompagner de nombreux changements favorables. Il constitue la mission de la Banque et je considère qu’elle doit rester concentrée sur cette mission. Mais une façon de faire est aussi de soutenir les institutions indispensables au développement. (...) L’accent mis sur la transparence et la lutte contre la corruption est donc très important.

De nombreuses critiques ont été adressées à la Banque mondiale par le Congrès américain ou des rapports d’instituts conservateurs : étaient-elles exagérées ?
Je suis sûr qu’il y a eu des critiques valables et des critiques exagérées. J’arrive avec un esprit ouvert et avec la conviction que je dois écouter tout le monde. (...) Il est dans l’intérêt des pays riches de réduire la pauvreté. Le défi est de les convaincre qu’il y a des moyens efficaces d’y arriver. Je pense que j’ai l’expérience pour y parvenir.

Pourquoi le président Bush choisirait-il quelqu’un avec un profil aussi politique que le vôtre si ce n’était pas pour promouvoir un programme politique ?
Vous caricaturez. J’accomplis une tâche très importante à mon poste actuel au Pentagone. Le fait que le président m’ait nommé à la Banque mondiale illustre l’importance qu’il attache à la réduction de la pauvreté et au développement. Il l’a prouvé avec les énormes sommes d’argent allouées aux victimes du tsunami, à l’aide au développement, à la lutte contre le sida.

L’Afrique est un continent très important pour la France. Que comptez-vous y faire ?
Mon expérience de l’Afrique est limitée, à l’exception du rôle assez grand que j’ai joué dans la décision d’intervenir militairement en Somalie fin 1992 - et je reste convaincu que c’était la chose à faire. Mais je reconnais pleinement l’importance de la Banque mondiale en Afrique. Si je suis élu, j’anticipe de m’y rendre en priorité. L’épidémie du sida dans ce continent est ahurissante. C’est un sujet que j’ai abordé depuis longtemps avec M. Bush.

Vous attendez-vous à ce que d’autres pays présentent des candidatures concurrentes de la vôtre ?
Aucune idée. C’est à eux de voir. Je ne sais pas s’il y a des précédents.

Demain marque le deuxième anniversaire de la guerre en Irak. Vous laissez une tâche inachevée : comment voyez-vous l’avenir ?
Les choses évoluent positivement, à certains égards très positivement. Malheureusement, la guerre ne s’est jamais vraiment arrêtée. Le même régime qui a torturé et maltraité les Irakiens pendant des années, continue d’oeuvrer contre l’émergence d’un Irak libre. Mais, le 30 janvier, nous avons assisté à une énorme démonstration de courage de la part des 8 millions d’Irakiens qui sont allés voter. (...) Ces choses prennent du temps. La reconstruction de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale a duré très longtemps. Je pense qu’on est sur la bonne voie.

Propos recueillis à Washington par Pierre-Yves Dugua et Philippe Gélie, lefigaro.fr