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Retour des cadres exilés : « Mes illusions et désillusions » (3e partie et fin )

mardi 6 avril 2004, par Hassiba

L’immense richesse dont dispose l’Etat algérien qu’est la jeunesse constitue un fardeau et une contrainte. Le système algérien pousse les jeunes à quitter le navire grâce à un mépris quotidien. Face à une situation complexe et en l’absence d’un avenir prospère, leur laisse-t-on le choix ? Et l’Algérie dans tout ça ? Que propose-t-on à la jeunesse algérienne dans un pays où le taux de chômage ne cesse de d’augmenter d’une manière effrayante ?

Hormis des solutions à court terme, des projets bricolés comme les « Karsan » ou autres qui sèment l’anarchie et le désordre dans la société, quel projet fondateur propose-t-on à la société ? Un projet pragmatique à la hauteur de l’Algérie et à son cheminement historique. Un projet qui réponde à ses besoins les plus urgents. Que propose-t-on aux milliers de diplômés issus de l’université algérienne ? Quel est l’intérêt de former des milliers de personnes et être incapable de leur assurer un avenir dans un pays aussi riche que l’Algérie ?

Quel sort réserve-t-on aux 10 millions d’étudiants prévus pour 2010 ? A en faire des citoyens frustrés, chômeurs toute leur vie ou des rêveurs d’une « hedda ». Ou bien des entrepreneurs. C’est la solution miracle dans un pays où tout le monde devient entrepreneur ou importateur. On veut en faire une société de consommation à l’image occidentale, mais sans rien produire. Importer, consommer et payer la dette. A-t-on besoin d’un Etat ou d’une société de gestion ? A quoi servent les dizaines de ministères ? A ouvrir les portes aux investisseurs étrangers et encore ? Car comment peut-on expliquer la décadence des entreprises comme la SNVI, Sonelgaz ou autres ? Comment expliquer que la SNVI avec tous les revenus qu’elle a générés durant son existence n’ait jamais pu innover et améliorer les véhicules existants ou mieux encore concevoir et produire un modèle algérien (l’objectif initial) ?

Comment peut-on expliquer les prévisions de restriction de la consommation d’électricité dans les foyers algériens ? Chose impensable il y a une dizaine d’années. Comment peut-on comprendre qu’une entreprise comme Sonelgaz n’ait pas pu instaurer un vrai projet de recherche et d’innovation dans les énergies nouvelles avec les revenus perçus depuis l’indépendance ? Je tiens à rappeler tout de même que la population algérienne représente à peine trois fois le nombre d’habitants de la ville de Mexico ou de Pékin. L’Algérie est un pays jeune, nous dira-t-on. Certes, mais il y a d’autres exemples plus frappants encore comme les deux Corées qui sont comparables à notre Algérie. Chez nous tout ce qu’on sait faire, c’est acheter et consommer ou mieux encore se vanter des produits étrangers importés, se les approprier avec fierté et avec des cérémonies grandioses d’inauguration.

Est-ce raisonnable ? Comment expliquer qu’un grand groupe comme Sonatrach ne puisse toujours pas procéder à l’exploration du pétrole ou du gaz sur le sol algérien d’une manière indépendante ? Ce qui est étonnant, c’est que l’entreprise en question dispose depuis plus de 40 ans du nerf de la guerre qui lui aurait permis d’acquérir le savoir-faire. En Algérie, on se vante d’avoir fabriqué un satellite. Je tiens tout d’abord à saluer l’équipe ayant conçu et produit ce premier satellite algérien pour son courage et ses compétences dans les hautes technologies. Mais je tiens aussi à signaler que ces technologies nouvelles existent dans un souci de gain du temps, pour le bien-être et le confort de l’individu avant tout. Alors comment expliquer qu’une simple lettre expédiée d’Alger mette une semaine, voire plus pour arriver à sa destination, à Alger même.

Comment expliquer qu’une simple demande d’une ligne téléphonique fixe puisse prendre jusqu’à deux ans, voire plus pour être satisfaite ? Je tiens aussi à aborder un sujet que je sais épineux : le ministère des Moudjahidine. Est-il vraiment nécessaire d’avoir un ministère pour gérer des pensions d’anciens combattants ? L’indépendance fait partie intégrante de l’histoire algérienne et le peuple algérien en est plus que fier. Mais cela date d’un demi-siècle. Jusqu’à quand va-t-on se figer dans notre passé ? Quand va-t-on se tourner vers l’avenir ? Ce ministère va-t-il disparaître un jour ou sera-t-il éternel ? Et pourquoi les moudjahidine ont-ils combattu ? Pour l’indépendance de l’Algérie ? Pour une société égalitaire et équitable pour tous les citoyens Algériens ? Ou bien pour bénéficier de certains privilèges ?

Dans ce cas-là, à quoi sert de chasser des colons privilégiés pour les remplacer par d’autres ? Pourquoi malmène-t-on les personnes qui ont eu le courage d’aborder le sujet et de prouver qu’il y a à peine 20% de véritables moudjahidine ? Car il faut le dire, toute la population algérienne a participé d’une manière ou d’une autre à la guerre de libération. Et les vrais moudjahidine où sont-ils ? Combien sont-ils réellement ? Qu’ils prennent la parole. Qu’ils nous disent la vérité. Sont-ils d’accord d’être des privilégiés de la société ? Comment peuvent-ils expliquer qu’un ancien moudjahid gagne jusqu’à deux fois plus qu’un enseignant universitaire ? Qu’ont-ils à proposer aux enfants de l’Algérie, pour qui ils étaient prêts à payer de leur sang, il y a 50 ans ?

Sont-ils prêts à renoncer à une partie de leurs privilèges au profit de projets fondateurs pour la nation et la jeunesse algérienne ? Et l’affaire Khalifa ? Comment ose-t-on parler de « l’arnaque du siècle » après avoir autorisé un placement bancaire avec un revenu garanti de 14%. Sans être encore une fois spécialiste de la finance, il est facile de vérifier que ce taux est impraticable en tant qu’obligations, mais peut être prévisible dans le cadre d’un placement en actions. Ce qui est (à ma connaissance) le cas partout dans les pays du monde, en tout cas dans les pays développés. Personnellement, je pense que les économistes ainsi que les responsables financiers algériens sont les premiers à endosser l’échec du groupe Khalifa.

En Algérie, pratiquement rien ne fonctionne normalement. Il y a un an environ, j’ai envoyé en « urgence » une somme d’argent à mes parents via une transaction bancaire. Vu que leur pouvoir d’achat a chuté d’une manière exponentielle ces dernières années. Ils l’ont reçue trois mois après. Ce n’est pas la première fois que cela arrive. Ce genre de transaction est théoriquement instantané Au pire des cas, cela nécessite cinq jours, nous a-t-on dit à la Banque France. Pourquoi lorsqu’un Marocain, un Tunisien ou un autre envoie de l’argent tout se fait dans l’état de l’art et dans les délais. L’Algérien est-il plus lent, est-il moins compétent que les autres ? L’Algérien est-il plus malin, plus rusé que les autres et utilise cet argent pour son propre compte afin de spéculer, faire des affaires et s’enrichir avec l’argent d’autrui ? En tant que citoyen algérien, j’aimerais bien avoir une réponse à ce point précis.

Durant l’été 2002, j’ai invité des amis pour visiter l’Algérie. Quelle a été leur grande surprise quand ils ont réalisé que leur carte bancaire n’était pas utilisable en Algérie. Une carte qui fonctionne partout dans le monde. Mais pas en Algérie. Pourquoi ? On parle d’attirer les capitaux étrangers Comment peut-on arriver à ce stade avec un système bancaire inerte et aussi complexe. Je pourrai vous citer des centaines de cas et d’exemples comme ceux-là, mais ce n’est pas le but de mon courrier, les médias font assez bien leur travail jusqu’à présent.

Comment va être l’Algérie de demain ? Nommer des technocrates, compétents certes, pour gérer les différents portefeuilles de l’Etat est la chose à faire, mais est-ce suffisant ? Puisque les comportements qui ont nourri les germes du terrorisme, de la haine et du désespoir de l’Algérien sont omniprésents.

Je ne doute aucunement de votre bonne foi, de vos compétences et de... votre grande lucidité Monsieur le Président. Mais avant de se lancer dans des domaines tels que « le management de la qualité et les hautes technologies », qui reviennent sur la bouche de tout le monde en ce moment, il faut d’abord asseoir d’une manière irréversible les fondements de la République et de l’Etat de droit. Afin que tout Algérien soit considéré, respecté et puisse retrouver sa dignité. Il faut ensuite instaurer un minimum de transparence sur l’utilisation de l’argent public et notamment le montant de la dette, les modalités de son remboursement sans oublier la recette annuelle des hydrocarbures. Ce n’est qu’à partir de là qu’on pourra retrouver une paix durable et se développer avec ou sans investisseurs étrangers. Je tiens à vous rappeler que l’objet de mon courrier n’est pas de faire le procès de l’Algérie, loin de là, mais de poser quelques problèmes auxquels j’ai été confrontés ainsi que des questions qui sont restées sans réponses comme c’est le cas d’autres Algériens certainement et qui veulent avoir des réponses concrètes. En tout cas, le peuple algérien vous a fait confiance, et je pense qu’il est apte à faire le bon choix pour l’élection présidentielle d’avril 2004. Vous avez certes pu relever la tête d’une nation humiliée, mais le plus grand reste à faire.

Je ne doute pas un instant de votre capacité de résoudre les problématiques que vit l’Algérien en Algérie ou à l’étranger d’une manière équitable et pertinente comme vous avez l’habitude de le faire. Mais quel que soit le résultat de la présidentielle 2004, il sera primordial d’éradiquer ce système du mépris, de la hogra, de l’intimidation, des interventions et de l’indifférence et proposer un avenir prospère aux Algériens, avant que cela ne soit trop tard. Car après, la tâche sera encore plus compliquée, la gangrène aura fait son chemin et sera certainement venu à bout de tous les Algériens possédant une conscience et jaloux de leur pays.

Mohamed Nacim Maâtallah
Universitaire. Courbevoie

Source : El Watan