Accueil > INTERNATIONAL > Ukraine : Les dilemmes de Viktor Iouchtchenko

Ukraine : Les dilemmes de Viktor Iouchtchenko

jeudi 14 avril 2005, par nassim

Après l’effervescence de la « révolution orange », l’Ukraine vit une époque moins exaltante, mais tout aussi délicate : Viktor Iouchtchenko doit rompre avec les pratiques politiques passées afin de construire un système de pouvoir qui ne puisse plus dériver vers l’autoritarisme. Punir les crimes de l’ancien régime est donc essentiel. D’où l’importance de faire toute la lumière sur l’affaire Gongadzé, ce journaliste décapité devenu l’élément qui a cristallisé la révolte du peuple contre l’oligarchie postsoviétique.

Le calme qui règne place de l’Indépendance à Kiev paraît presque insolite

Viktor Iouchtchenko doit reformer l’Ukraine.

après les fureurs joyeuses de la « révolution orange ». Les drapeaux qui flottaient par millions dans l’air enfiévré de l’hiver 2004 ont été rangés dans les placards. Une fois Viktor Iouchtchenko installé à la présidence, le peuple est retourné à son quotidien. Pourtant, il guette un changement de grande ampleur, celui qui verrait la nouvelle équipe honorer ses promesses. Celui qui accouchera d’une révolution du fonctionnement du pouvoir. Le travail à venir est colossal. Il exigera le scalpel d’un « chirurgien » politique de génie.

Car, dans tous les domaines, le président Viktor Iouchtchenko et son équipe sont confrontés à des dilemmes cornéliens. Il leur faut engager le nettoyage de la corruption des hautes sphères, qui caractérisait le règne de Léonid Koutchma, sans pour autant lancer une chasse aux sorcières aux allures de règlement de comptes. Faire comprendre aux oligarques qui tenaient les politiciens dans leurs serres que cette époque est révolue, sans faire fuir les capitaux. Débusquer les relais du KGB moscovite, qui menacent la souveraineté de l’Etat ukrainien, tout en laissant les investisseurs russes participer à l’essor de l’Ukraine. Bref, changer de régime mais sans changer de peuple.

La question des privatisations douteuses de l’ère Koutchma, qui avait vu les amis du pouvoir ukrainien s’arroger sans vergogne les morceaux les plus juteux de la richesse nationale, illustre à merveille ce dilemme. Il faut revoir les privatisations là où il y a eu violation de la loi, mais refuser une remise en cause tous azimuts de la propriété privée, à la manière d’un Poutine. « Force est de reconnaître que la frontière entre ces deux processus n’est pas si claire », note un diplomate occidental. Car sur quelle base revoir les ventes ? A l’initiative du parquet général ? Et, si c’est le cas, celui-ci va-t-il ressortir les centaines de dossiers qui, de l’avis général, dorment dans ses archives ? « Si on tire un fil, on peut dérouler toute la pelote et faire chuter tout le monde ! », note le journaliste Vakhtang Kipriani.

Quinze ans après l’effondrement du communisme, les Ukrainiens comprennent que la désoviétisation ne pourra se faire à l’exemple des pays d’Europe centrale, qui ont tous procédé, avec plus ou moins de bonheur, à l’éviction des anciennes élites communistes, la fameuse « lustration ». « La lustration pouvait s’appliquer pour des régimes idéologiquement identifiables, comme l’URSS ou l’Allemagne nazie, mais ce n’est pas le cas du régime Koutchma, caractérisé par des liens clientélistes informels », résume le directeur de l’Institut des médias, Sergueï Taran.

Malgré des similitudes évidentes, l’Ukraine ne peut non plus appliquer la méthode de la Géorgie post-Chevardnadze, où l’effondrement des institutions a permis un renouvellement impressionnant des élites en un temps record. « Dans un pays qui affichait un taux de croissance de 12% au moment de la révolution orange, on ne peut jeter le bébé avec l’eau du bain, prévient un diplomate occidental. N’oublions pas que la moitié de la population ukrainienne, concentrée à l’Est, a voté contre Iouchtchenko. »

Partageant cet avis, le président ukrainien tend désormais la main à une partie des anciens « koutchmistes », pour combler le fossé qui sépare l’Ukraine de l’Ouest de celle de l’Est. Mais cette stratégie, qui se concrétisera dans un an, lors des législatives, pourrait entrer en collision avec la promesse faite par le chef de l’Etat de faire la lumière sur les crimes de l’époque Koutchma : les alliés dont le président recherche le soutien sont aussi ceux dont le nom se retrouve mêlé à de troubles dossiers.

Par L. M., lefigaro.fr