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Une caravane de la paix entre les deux Cachemire

vendredi 8 avril 2005, par Hassiba

C’est un grand moment d’espoir. Pour la première fois en cinquante-huit ans, des civils cachemiris ont pu traverser hier la ligne de contrôle, frontière non reconnue qui sépare les parties indienne et pakistanaise du Cachemire, et compte à ce titre parmi les zones les plus militarisées au monde.

Un événement historique, inimaginable il y a encore quelques mois, qui constitue le symbole le plus concret, à ce jour, du dégel en cours entre New Delhi et Islamabad. La meilleure nouvelle que cette région meurtrie par quinze années de lutte séparatiste ait connue depuis bien longtemps, puisque la réouverture de la ligne de contrôle vise à réunifier des milliers de familles écartelées depuis la partition du territoire, en 1947. Depuis cette époque, Inde et Pakistan se sont livré trois guerres, dont deux à propos du Cachemire.

Sécurité.
« La caravane de la paix est partie. Rien ne l’arrêtera », a assuré le Premier ministre indien, Manmohan Singh, venu en personne pour donner le départ des deux minibus qui ont quitté Srinagar, la capitale du Cachemire indien, en direction de Muzaffarabad, la capitale du Cachemire pakistanais. Un peu plus tôt, un autre bus avait entamé le trajet inverse. « Une porte a été ouverte », a poursuivi Singh devant une foule de plusieurs milliers de personnes rassemblées pour la cérémonie d’inauguration qui se tenait sous très haute sécurité dans un stade de Srinagar. « C’est le début d’une nouvelle phase dans notre amitié avec le Pakistan. » Derrière lui, un poster affichait son portrait au côté de celui du président pakistanais Musharraf. Du jamais vu. « C’est un grand jour pour nous, nous sommes nombreux à avoir des parents de l’autre côté. Moi-même, j’ai un oncle et des cousins là-bas, mais je ne les ai jamais vus », témoigne un jeune homme dans la foule.

Menaces.
Sous une pluie battante, les deux minibus ornés de guirlandes de fleurs ont pris la route en fin de matinée. A leur bord, 21 passagers émus jusqu’aux larmes à l’idée de pouvoir enfin retrouver leurs proches. Effrayés, aussi, en raison des menaces dont ils faisaient l’objet depuis plus d’une semaine. Plusieurs groupes séparatistes armés menaçaient de tuer les « traîtres » qui monteraient à bord des « cercueils roulants ». Opposés au rapprochement indo-pakistanais, ces groupes islamistes estiment que le « bus de la paix » officialise la mainmise de l’Inde sur une partie du Cachemire, une « occupation » contre laquelle ils luttent depuis 1989.

Afin de protéger les passagers, les autorités les avaient isolés dans un complexe. La veille du départ, deux hommes armés ont néanmoins réussi à l’attaquer et le brûler. Huit passagers ont d’ailleurs préféré renoncer à la dernière minute, et deux autres sont descendus du bus avant la ligne, hier, sans que l’on sache pourquoi.

Les 19 restants, eux, ont frôlé la catastrophe : malgré la mobilisation massive des forces armées, une mine a été désamorcée sur la route peu avant leur passage et plusieurs grenades auraient été jetées contre le bus, manquant heureusement leur cible. Une fois arrivés, les passagers ont traversé la ligne de démarcation à pied avant de remonter dans un bus de l’autre côté, sous les applaudissements de centaines de civils venus des villages alentours.

Pont en blanc.
Peu avant, les 30 passagers en provenance du Pakistan avaient traversé les premiers le « pont de la paix », au-dessus de la rivière Jhellum, qui marque la frontière de facto. Un pont remis sur pied et peint en blanc ­ couleur neutre ­ pour l’occasion, vu que personne n’était passé par là depuis un demi-siècle. Une fois du côté indien, plusieurs d’entre eux se sont agenouillés pour embrasser le sol. Tout au long de la route, des badauds leur ont jeté des fleurs en leur souhaitant la bienvenue.

Jusqu’ici, les Cachemiris qui souhaitaient traverser la frontière devaient affronter de nombreux tracas administratifs, sans compter le détour de plusieurs centaines de kilomètres. L’ouverture de cette route suscite par conséquent une joie sans précédent d’un côté comme de l’autre. « Je vais prendre ce bus dès que possible, affirme Cheikh Iftikhar, un habitant dont la soeur est mariée de l’autre côté de la ligne. Mais c’est difficile d’obtenir une place. » Pour l’instant, la liaison Srinagar-Muzaffarabad ne sera assurée que deux fois par mois, avec 30 passagers maximum. Avec le risque, bien réel, de sauter en route, car il semble improbable que les forces indiennes parviennent à maintenir le niveau de sécurité d’hier à chaque trajet.


Srinagar - Pierre PRAKASH, liberation.fr