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Villes et réseaux universitaires en Algérie

mercredi 16 mars 2005, par Stanislas

En ce début du troisième millé-naire, l’Algérie possède une soixantaine d’établissements universitaires répartis dans une quarantaine villes.

En dépit des aléas et crises de toutes natures, l’Algérie a mis en place, progressivement, un dispositif universitaire destiné à accompagner son développement économique, démographique, social et culturel. Les phases de cette mise en place sont les suivantes :

1° La métropolisation de la formation supérieure : elle correspond aux années 1960, pendant lesquelles les trois plus grandes villes du pays (Alger, Oran et Constantine) étaient les seules à abriter des établissements chargés d’accueillir les étudiants des grandes régions commandées par ces villes.

2° La régionalisation de la formation supérieure : elle correspond aux années 1970, pendant lesquelles des établissements ont été créés dans des grandes villes régionales, souvent des pôles économiques d’importance (Annaba, Sétif, Batna, Sidi Bel-Abbès, Blida, etc.). Ces créations viennent appuyer les grandes universités existantes, leur servir de relais territoriaux et conforter la fonction de commandement des villes d’accueil.

3° La décentralisation de la formation supérieure : elle correspond aux années 1980 pendant lesquelles la création des établissements se caractérisa par un essaimage plus fort, touchant des villes moyennes et des petites villes, venant appuyer une politique d’aménagement du territoire dans laquelle la fonction universitaire (assimilée au secteur tertiaire supérieur), conforta le développement, le prestige et le commandement des chefs-lieux. D’Est en Ouest et du Nord au Sud, le territoire national est couvert d’implantations universitaires.

4° La localisation de la formation supérieure : elle correspond à la dernière décennie du siècle précédent et aux années 2000, qui voient les établissements universitaires s’installer progressivement dans tous les chefs-lieux de wilayas. C’est la « wilayisation » de l’université.

L’aboutissement de cette logique locale est l’accès à la fonction universitaire des premières villes qui ne sont pas chef-lieu de wilaya : Khemis-Miliana et Azzaba.

Certes, ce déploiement territorial est lié à une demande en hausse régulière, au souci d’éviter la congestion des grands centres et à l’utilité de rapprocher l’étudiant de son lieu de résidence. Cependant, l’enjeu économique est réel. La spécialisation de la formation dans les établissements créés graduellement est souvent liée au développement économique, qui a besoin de cadres. Ainsi, des filières d’électronique, de génie mécanique ou de chimie ont été associées aux industries existantes dans les villes. Le poids des filières de technologie est d’ailleurs particulièrement marqué. La production pédagogique et scientifique de qualité, espérée pour accompagner le développement économique, n’a pas toujours suivi, de même que l’interface organique entre l’université et l’industrie n’a jamais été établie.

Aujourd’hui, l’université est confrontée à l’effritement de l’appareil industriel, à l’absence de liaisons avec les secteurs de la vie économique et sociale, à la faiblesse de la connexion avec les réseaux internationaux ou mondiaux, à une évolution du monde dans laquelle l’adaptation des programmes et des thématiques doit être rapide et souple.

Dans le même temps, elle connaît des changements profonds. Longtemps, elle a été, faute de moyens humains et matériels, cantonnée dans la fonction d’enseignement (transfert de connaissances, formation des cadres). Depuis quelques années, elle développe davantage la fonction de recherche dans le cadre des laboratoires et avec le soutien des enveloppes financières importantes dégagées par le gouvernement. Aujourd’hui, elle introduit le L.M.D (4). Est-elle en mesure de créer dans le pays un environnement scientifique de qualité, susceptible d’aider à améliorer la formation, établir des liens avec des secteurs de l’économie et contribuer à l’accueil de l’investissement étranger ? Autant d’éléments qui indiquent combien il est utile de faire le point sur l’université algérienne.

Pour analyser la répartition de la formation dans les différentes villes universitaires, plus précisément leur sur-représentation ou sous-représentation, nous avons, sur la base du nombre d’étudiants inscrits, utilisé le « quotient de localisation ou de concentration », traditionnellement pratiqué en économie. Au chapitre de ses avantages, il faut compter sa simplicité. Il permet de répondre à quelques questions essentielles :

 Où se localise telle ou telle filière ?

 Telle ou telle ville est-elle dominée par une ou plusieurs filières ?

Ce quotient exprime le rapport entre la proportion de la filière dans la ville universitaire et la proportion de la filière dans le pays (5). Il aborde la distribution d’une filière dans le pays et représente ainsi une mesure d’égalité unigroupe pouvant être discrétisée et cartographiée. Nous avons considéré la sur-représentation dans une filière comme une « spécialisation », retenu treize grandes filières de formation supérieure et trente villes universitaires (6) ; le résultat global peut être récapitulé comme dans le tableau N° 1 ci-dessous.

Le tronc commun SETI ainsi que les formations de technologie et des sciences exactes apparaissent comme les grandes filières les plus largement déployées sur le territoire national (présentes dans 23 à 29 villes sur 30 avec un niveau de sur-représentation élevé). Cette situation résulte à la fois des « choix scientifiques et technologiques » du pays opérés dans les années 1970, celles de l’école fondamentale et du développement industriel, mais également d’une forte demande liée au baccalauréat. Largement déployé également, le droit est présent dans 29 villes et sur-représenté dans 18. Cependant, dans les plus anciennes villes universitaires (Alger, Oran et Constantine), qui l’abritent pourtant depuis leur création, cette discipline n’est pas sur-représentée. Inversement, malgré la pression continue de la demande et des choix sociaux du pays incarnés par la médecine gratuite, les sciences médicales restent une formation très concentrée et sélective, implantée uniquement dans les plus grandes villes du pays : Alger, Oran, Constantine, Annaba, Batna, Tlemcen, Sidi Bel-Abbès, Blida (et à un degré moindre, Sétif). Tizi-Ouzou est la seule ville moyenne qui fait exception.

Certaines grandes filières se caractérisent également par une forte concentration ; il s’agit de l’architecture, des sciences vétérinaires et des sciences appliquées. Cependant, même si elle est dominante, l’implantation n’est pas spécifique aux plus grandes villes. Par ailleurs, le caractère sélectif est moins pesant. En architecture, il est utile de noter la présence de deux villes sahariennes (Biskra et Béchar), où la filière est sur-représentée.

Les autres disciplines, les sciences humaines en particulier, sont en situation intermédiaire. En plus du fait que l’offre de formation soit fortement orientée, l’essaimage territorial poussé n’induit-il pas un trop grand nombre d’étudiants par rapport aux besoins du pays, notamment en technologie ou en droit ? Les villes produisent alors des diplômes en nombre supérieur aux capacités d’absorption du marché local de l’emploi. L’introduction du L.M.D. oblige d’ailleurs à poser une question « existentielle » : l’université, doit-elle former pour être en adéquation avec l’économie et le marché de l’emploi, ou bien pour contribuer à la diffusion de la connaissance et à l’élévation du niveau culturel de la population ?

L’analyse de l’encadrement est faite à partir de deux paramètres : le taux de couverture en enseignants de rang magistral (professeurs et maîtres de conférences), qui ont la responsabilité des cours et des encadrements de post-graduation, le taux d’encadrement évalué en nombre d’étudiants de graduation par enseignant, comparé à une norme courante de 25 étudiants par enseignant.

La référence à cette norme peut paraître contestable (8) (Voir tableau N° 2). Le taux d’encadrement d’un enseignant pour 25 étudiants correspond à la couverture par les enseignants permanents de l’ensemble du volume horaire nécessaire au fonctionnement des cours et travaux pratiques ou dirigés. Par ailleurs, nous avons retenu ce taux alors que celui qui est fréquemment cité dans notre pays est d’un étudiant pour 15 enseignants. Celui-ci nous semble exagéré et donne une situation de déficit aggravé qui ne correspond pas à réalité de l’encadrement. La forte chute de la natalité en Algérie, pays bien avancé dans sa transition démographique, va faire arriver bientôt des promotions ténues d’étudiants (même si le nombre reste également lié au taux de réussite au bac). L’alignement sur la norme de 15 risque de produire, à terme, un excédent élevé d’enseignants. La première remarque générale qui s’impose est que, pour l’ensemble du pays, il se dégage un léger déficit en enseignants (il manque un enseignant sur huit). Mais cette situation globale cache des disparités entre disciplines. En effet, certaines spécialités sont très largement déficitaires, cependant que d’autres sont excédentaires. La même constatation peut être faite pour les villes. La conséquence de ce déséquilibre est le recours massif à la vacation dans un cas, et la sous-utilisation des enseignants dans l’autre.

NOTES

1- Cet article est basé sur des travaux personnels de l’auteur et sur les travaux de deux étudiantes de post-graduation encadrées par lui : S. Acherard, dont la thèse de magister sur la métropolisation de Constantine a été soutenue en octobre 2004 ; W. Benkara-Mostefa, dont la thèse de magister sur le réseau universitaire algérien est en cours (soutenance prévue courant 2005). Il s’appuie sur les statistiques de 2002, qui peuvent paraître dépassées. Malgré d’éventuels ajustements opérés ces trois dernières années, les analyses contenues dans l’article me semblent indiquer des tendances lourdes.

2- En 2002

3- Il s’agit de l’université d’Alger, créée en 1877 et réorganisée en 1909 (source : Rabah Torki, dans un article sur le développement de l’enseignement supérieur en Algérie et sa relation avec la politique de l’équilibre régional, publié en langue arabe dans la revue de l’ALESCO, N°2, décembre 1984)

4- L : licence (03 ans), M : Master (02 ans), D : Doctorat (03 ans). Parcours complet LMD : 08 ans

5- pour toute information sur le quotient, prendre contact avec l’auteur

6- Les villes de création récente ne sont pas retenues, leurs données étant assimilées

à celles des villes-mères (Khenchela, B.B.Arréridj, Tarf, Souk Ahras, El-Oued, Khémis-Miliana).

7- L’étude porte sur 36 villes universitaires en 2002

8- Pour faire une évaluation précise des besoins en encadrement, calculer les excédents ou déficits, la meilleure démarche est de recourir au volume horaire exigé par les enseignements, rapporté au volume horaire légal de chaque enseignants en fonction de son grade. La méthode est précise mais difficile à mettre en oeuvre. A défaut, le recours à une norme, comparée au taux réel, se justifie.

Par Hosni BOUKERZAZA Professeur - Université Mentouri De Constantine. quotidien-oran.com