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Yasmina Khadra : “Écrire en Algérie, c’est l’enfer...”

mercredi 28 juillet 2004, par Hassiba

Avec sa faconde vive et spontanée, Yasmina Khadra s’est quelque peu épanché sur une partie de son parcours littéraire lors d’une rencontre, lundi soir, avec le public oranais au siège des éditions Dar El Gharb, où l’auteur de danse avec les loups était l’invité de marque.

Venu à Oran pour présenter (vente-dédicace) son dernier romain La part du mort, édité chez Julliard, l’écrivain algérien Mohamed Moulesshoul, alias Yasmina Khadra, a également évoqué quelques-uns de ses ouvrages publiés ces dernières années à l’étranger comme La cousine K, Les hirondelles de Kaboul et l’Imposture des mots. L’auteur prolifique a parlé de son expérience dans le domaine tortueux de l’écriture en dissociant de prime abord sa carrière militaire de celle de l’écrivain, aujourd’hui célèbre. “J’ai commencé à écrire à l’âge de 9 ans. J’ai un peu plagié mais innocemment. À l’école des cadets où j’étais sous le régime de l’internat, l’écriture était pour moi une échappatoire. C’est à partir de là que j’ai aimé l’écriture pour surmonter mes appréhensions. Plus tard, quand je suis devenu adulte, j’ai appris à mes dépens qu’écrire en Algérie, c’est l’enfer. C’est un peu mourir deux fois”, avoue sans ambages le créateur des premiers polars algériens et du commissaire Lobb.

Actuellement installé à Aix-En-Provence, Yasmina Khadra ne manquera pas de signaler à ses nombreux admirateurs “les causes” de son voyage au Mexique que d’aucuns voudraient entourer d’un halo de mystère. “Je n’ai pas été au Mexique en qualité d’attaché militaire de mon pays [...], je ne pouvais m’installer en France avant la publication de mon livre. C’était une sorte de contrat personnel et moral.” Auteur de six romans (méconnus du grand public) parus en Algérie alors qu’il était officier dans l’ANP, Mohamed Moulesshoul s’est ingénié à décrire “l’isolement intellectuel” dans lequel il était confiné en Algérie. “Pour des raisons que je ne saurais expliquer, l’institution militaire s’est toujours méfiée de mes polars que je destinais pourtant à un public hétérogène.”

Offusqué, Mohamed Moulesshoul ? Pas le moins du monde et encore moins quand il s’agissait de donner libre cours à sa passion, celle d’écrire. Devant un auditoire ravi, l’enfant prodige de Kenadsa dira : “Lorsque j’ai commencé à écrire mes premiers romans en Algérie, je suivais l’intuition de ma femme Yasmina Khadra qui me conseillait, car elle était la première lectrice de mes romans. Elle me disait toujours que je suis un bon écrivain, c’est tout. Je lui obéissais comme à un colonel”, lâchera l’ancien commandant de l’ANP sur le ton de la boutade. Répondant à des admirateurs qui l’interpellaient sur le succès de ses livres, Yasmina Khadra dira en substance : “Je ne suis pas obligé d’inventer un personnage. Il suffit que je me restitue à moi-même. Car le talent à lui seul ne suffit pas.”
C’est justement dans le texte et le contexte “poétique” que Moulesshoul Mohamed puise ses personnages de roman, sa relation avec la poésie étant intimement liée avec son existence en tant qu’écrivain d’abord. “J’ai été enfermé 36 ans durant dans une caserne. Quand je fus déçu par l’adversité, c’est le poète qui me parlait. Je suis resté égal à moi-même”, ajoutera simplement l’auteur de La part du mort.

Ce dernier roman, carrément ignoré par la critique française, est un retour aux premières amours de Yasmina Khadra avec le polar. On parle encore d’isolement intellectuel, cette fois-ci “hexagonal” et auquel l’écrivain parviendra à échapper grâce à ce roman venu rompre l’exil “provincial” de l’auteur. Sans trop s’attarder sur les embûches qui ont parsemé son parcours et son “statut” d’écrivain algérien installé en France.
Yasmina Khadra mettra à rude épreuve une certaine critique “parisianiste” qui lui fera perdre 55 000 lecteurs potentiels. Yasmina Khadra, qui se targue de n’avoir jamais vendu moins de 6 000 exemplaires dans un pays, a expliqué cette situation en procédant par tableaux comparatifs. “Même si je demeure reconnaissant à la critique “parisienne” qui m’a fait connaître à 40%, il n’en reste pas moins que c’est surtout grâce à mon travail que je me suis fait une place parmi les écrivains algériens, comme Assia Djebbar qui n’est plus à présenter.”
En guise d’épilogue à cette rencontre tenue en marge de la vente-dédicace de son nouveau roman, nous avons demandé à Yasmina Khadra de nous dire ce qu’il pense de l’Algérie, de ses promesses et de ses limites. “J’essaie d’être optimiste. L’Algérie c’est le pays des paradoxes...”

Par B. Ghrissi,Liberté