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Béjaïa : Une famille "spoliée" s’interroge

jeudi 10 juin 2004, par Hassiba

S’il y a quelque chose qui fâche ces dernières années au plus haut point l’ensemble des populations de la wilaya de Béjaïa, c’est bien la gestion du patrimoine foncier.

Partis politiques, mouvement associatif et simples citoyens dénoncent sans ménagement « la mafia du foncier ». Ils désignent ouvertement l’administration des domaines publics, les agences dites de gestion et de régulation du périmètre urbain, les promoteurs immobiliers et les assemblées élues d’être, « par connivence d’intérêts », les principaux responsables de l’anarchie qui caractérise aujourd’hui la gérance de cette ressource primordiale à tout développement.

Dans son fameux « Livre noir du foncier », Le FFS a identifié avec précision « ce cercle du clientélisme et de la vénalité ». En plus de la dilapidation manifeste des biens de la collectivité, les terrains privés n’ont pas échappé à la boulimie des prédateurs. En effet, pressions multiples, harcèlements judiciaires, persécutions de toutes sortes, voire des occupations forcées de propriétés privées pour l’érection de logements sous diverses formules sont constamment signalés çà et là par des citoyens qui ne savent à quel saint se vouer devant la lourde bureaucratisation de toutes les voies de recours et la complexité des rapports entre institutions. Le fallacieux argument de l’utilité publique est brandi à chaque fois pour justifier les accaparements les plus révoltants.

Le cas présent, qui oppose de longue date la famille Rahmani de Béjaïa à l’EPLF, l’APC et la direction des domaines, est à ce propos assez éloquent pour illustrer « cet autoritarisme administratif » qui fait force de loi. Une affaire datant de l’époque coloniale Propriétaires d’un bien foncier consistant en une maison d’habitation, un local commercial et un jardin, le tout d’une superficie de 1 673 mètres carrés au beau milieu de la ville de Béjaïa, les Rahmani luttent depuis 1959 pour recouvrer leurs droits sur ce patrimoine familial, acquis par acte authentique notarié et enregistré le 15 septembre 1954 sous le numéro 1112, volume 39. Le problème remonte à une procédure d’expropriation « engagée en signe de représailles » par l’autorité coloniale en date du 23 novembre 1959 pour soi-disant la construction d’une caserne de CRS. Devant le refus des concernés de quitter les lieux, « la décision d’expropriation n’a jamais été exécutée », se rappelle toujours Mohand Hanafi, le porte-parole de la famille. Après l’indépendance, plusieurs demandes ont été introduites pour la restitution légale de cette possession, « conformément à la loi, notamment l’ordonnance 76-48 relative aux règles d’expropriation pour cause d’utilité publique, qui stipule en son article 48 que les biens expropriés sont restitués à leur propriétaire si ces biens n’ont pas été utilisés dans un délai de 5 ans », cite notre interlocuteur en rappelant que les siens ont toujours occupé sans discontinuité la parcelle en litige.En 1982, l’APC procède à la démolition de la bâtisse au cours de la réalisation de la voie urbaine desservant la ZHUN de Sidi Ahmed « en faisant des promesses de compensations qui n’ont jamais été tenues », rappelle toujours Mohand Hanafi.

Saisie sur ce dossier, la chambre administrative près de la cour de Béjaïa rend public un arrêt en date du 19 décembre 2000 ordonnant à l’APC une indemnisation pour la partie utilisée et la restitution des 843 mètres carrés restants. Après délimitation, bornage et prise de possession du terrain, le 14 avril 2001, en présence d’un expert géomètre, d’une représentante de l’APC et d’un huissier de justice, « nous avons appris que la direction des domaines publics a vendu un lot de terrain contigu au nôtre au profit de l’EPLF par acte notarié datant du 30 octobre de la même année. En fait, ce lot inclut par erreur notre terrain. Nous avons alors saisi à nouveau la justice pour fairemodifier l’acte de vente ». Malgré l’affaire toujours pendante devant la justice sur cette assiette, l’APC, en connaissance de cause, accorde un permis de construire au promoteur immobilier qui engage immédiatement les travaux. Une requête au ministre de l’Intérieur pour dénoncer ce dépassement flagrant de l’APC resta lettre morte. L’opposition faite à cette autorisation débouche sur un autre arrêt de la justice datant du 14 janvier 2003 qui stipule « la suspension de l’effet du permis jusqu’à jugement définitif de l’affaire ». L’expertise effectuée en suite à la demande de l’institution judiciaire a confirmé l’« erreur » de l’administration des domaines qui a inclus ce lopin privé dans la vente. Les plaignants engagent alors une énième procédure contre l’EPLF pour « libérer » définitivement leur bien.

L’action est toujours en vigueur. « Faisant fi des décisions de la justice et transgressant l’ordonnance de suspension du permis de construire jusqu’à jugement définitif, l’entreprise pour le logement familial poursuit toujours les travaux sur mon terrain pour me mettre devant le fait accompli. Pis, en introduisant un recours pour amener la partie adverse à respecter la loi en gelant le chantier, le tribunal, ignorant l’arrêt de la chambre administrative, a rendu un jugement en référé en date du 29 octobre 2003 se déclarant incompétent au motif que l’EPLF a un acte officiel de propriété, un permis de construire et que mon bien fait partie du lot qu’elle a acquis », s’étonne notre interlocuteur qui ne comprend rien à ces décisions contradictoires de la justice.

Dans une lettre ouverte au président de la République et au ministre de la Justice, il écrit : « Devant cet état de fait, je me pose la question devant Vos Excellences : Quand je me vois agressé dans mes biens par des personnes détenant l’autorité et que je ne peux rien pour me défendre, que penser d’un tribunal qui ne défend pas le citoyen et d’un juge des référés qui outrepasse ses prérogatives et fait fi de l’esprit des jugements rendus par l’institution judiciaire elle-même ? » Une question qui résume toute la douleur et tout le désespoir des Rahmani, et de ceux, nombreux, qui sont dans une situation similaire.

Par Kamel Amghar,La Tribune