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Bilan de la tournée du président Bush en Europe

mardi 1er mars 2005, par Hassiba

L’Irak, l’Ukraine et la coopération militaire sont quelques-uns des sujets à propos desquels les Européens affirment qu’ils peuvent être pour les Etats-Unis « un véritable partenaire politique... Le monde dans lequel nous vivons est un. Personne ne peut résoudre seul les problèmes.

L’Europe a besoin des Etats-Unis tout comme les Etats-Unis ont besoin de l’Europe » (dixit le président Jacques Chirac). L’autre proposition de rapprochement et de réconciliation est venue du Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, actuel président de l’Union européenne. Ce dernier relève que l’UE possède « la force, la légitimité et les moyens » d’être le partenaire des Etats-Unis. Que signifie ce partenariat ? Si l’Europe aborde une position tranchée dans certaines questions comme le dialogue avec l’Iran ou la levée de l’embargo sur les armes imposé à la Chine, elle continue de souffrir de profondes divisions qui, souvent, s’achèvent sur un alignement, plus ou moins voulu, sur la position américaine.

La tournée du président américain en Europe devait sceller la réconciliation transatlantique. La promesse semble avoir été tenue avec d’autant plus de succès que l’Irak, source de l’une des plus importantes divisions, constitue aujourd’hui l’objet du rapprochement. Durant leur sommet, les Etats-Unis et l’Union européenne ont proposé d’organiser conjointement une conférence internationale sur la reconstruction de l’Irak. Les ministres des Affaires étrangères de l’Union ont approuvé un plan de formation de 770 officiers de police et juges irakiens sur le territoire de l’UE et dans les pays voisins de l’Irak.

Quant à l’Alliance atlantique, elle sera, elle aussi, de la partie à travers sa participation directe dans la formation de l’armée irakienne. « L’ensemble des 26 alliés travaille pour répondre à la demande du gouvernement irakien d’aider la formation des forces de sécurité irakiennes, en fournissant des équipements et en finançant les actions de l’OTAN », a déclaré le secrétaire général de l’OTAN, Jaap de Hoop Scheffer. L’objectif de cette nouvelle mission de l’OTAN est de former 1 000 stagiaires en Irak même et 500 à l’extérieur dans les écoles et centres de formations de l’OTAN en Europe. Son coût est estimé à 90 millions d’euros pour 2005 et 2006, dont 10 millions d’euros pour la formation hors d’Irak.

Au total, l’OTAN dépêchera environ 160 formateurs. Soixante d’entre eux proviendraient des rangs de l’armée américaine tandis que la France, l’un des pays les plus critiques de l’intervention en Irak, n’a accepté de mettre qu’un de ses officiers à disposition, pour coordonner depuis le quartier général de l’OTAN les aides en équipement pour l’armée irakienne. Paris, Bruxelles et Berlin semblent résolus à ce qu’aucun de leurs militaires ne mette le pied en Irak. Cela dit, « la France veut contribuer à la stabilité et à la poursuite du processus politique fixé par la résolution 1546 », a expliqué Jacques Chirac. Concrètement, Paris contribuera à cette mission à hauteur de 2 millions d’euros en 2005. Elle versera en outre la même contribution que l’Allemagne, soit 500 000 euros, aux fonds fiduciaires qui complètent le financement commun, a précisé le porte-parole de l’Elysée, Jérôme Bonnafont. Paris a aussi proposé au gouvernement irakien de former 1 500 stagiaires dans ses écoles de gendarmerie et au Qatar. Baghdad n’a pas donné suite à cette offre pour l’heure.

Plus de la moitié des instructeurs de l’OTAN formeront des officiers irakiens à l’intérieur de la zone verte à Baghdad. Une expansion de la mission est prévue en septembre prochain sous la forme d’une contribution de l’OTAN à une académie militaire en dehors de la capitale irakienne. La France, l’Allemagne et les autres pays qui se sont opposés à la guerre en Irak n’enverront toutefois aucun instructeur en Irak, limitant leur contribution à un entraînement en dehors du pays ou au financement des opérations. Les rivalités traditionnelles entre européanistes et atlantistes n’ont pas manqué de se faire sentir.

Les convergences euro-atlantistes
Ainsi, deux camps s’affrontent sur le forum où doit se tenir le dialogue transatlantique entre alliés réconciliés. Pour Washington et Londres, suivis par de nombreux pays dits de la « nouvelle Europe », l’OTAN est le lieu « central » de ce dialogue. Pour des pays comme l’Allemagne et la France, l’OTAN est une alliance militaire qui ne sied pas aux discussions politiques dont le cadre logique est l’UE. Dans une certaine mesure, cette division ne traduit pas réellement la réalité des rapports des forces. Ainsi une grande complémentarité est-elle palpable entre l’Union européenne et l’OTAN dans les choix stratégiques, en tête desquels figure l’élargissement vers l’Est. A ce propos, le dernier fait en date est relatif à l’Ukraine. L’Alliance atlantique a chaleureusement accueilli à Bruxelles Viktor Iouchtchenko (seul dirigeant dont le pays n’appartient pas à l’Alliance à être invité), lui promettant son « aide » pour accomplir à bien les réformes. « Notre intérêt pour une coopération intensifiée avec l’Ukraine doit être compris comme un signe de notre engagement profond envers ce partenariat et notre volonté d’aider l’Ukraine à occuper la place qui lui revient de plein droit en tant que partie intégrante d’une Europe unie, libre et démocratique », a déclaré le secrétaire général de l’OTAN, Jaap de Hoop Scheffer. Ce dernier avait assisté à l’investiture de Iouchtchenko fin janvier devant des centaines des milliers d’Ukrainiens. Rappelons que l’OTAN a annoncé le lancement d’un programme étalé sur une douzaine d’années visant à aider l’Ukraine à détruire des millions d’armes inutiles héritées de la période soviétique. Pour les Occidentaux, il s’agit d’un effort de démilitarisation unique au monde. Après son indépendance en 1991, Kiev avait déjà renoncé à son arsenal nucléaire. Ce nouveau programme concerne 133 000 tonnes de munitions et 1,5 million d’armes légères. Ces dernières comprennent des missiles aériens portables.

Avec l’Union européenne, l’Ukraine a signé un « plan d’action » lundi dernier afin d’accroître la coopération politique et économique, notamment la mise aux normes européennes. Il s’agit d’un travail qu’ont dû accomplir les anciens pays socialistes d’Europe centrale pour pouvoir adhérer à l’UE. Viktor Iouchtchenko souhaite que l’année 2007 marque le début des pourparlers préparatoires à une future adhésion aux Vingt-Cinq. De son côté, le président ukrainien a réaffirmé le souhait de son pays d’« intégrer l’Union européenne et l’OTAN ». Dans l’optique de son rapprochement avec l’Alliance atlantique, l’Ukraine est « prête à conclure un plan d’action en vue d’adhésion », a-t-il affirmé. Aussi son gouvernement lance-t-il des réformes dans les domaines politique, économique et de défense pour amener le pays au niveau des standards régissant l’OTAN et l’UE, avec pour but ultime l’adhésion. Pour l’instant, aucun calendrier n’a été évoqué pour la signature d’un plan d’action, étape obligatoire en vue d’une éventuelle adhésion de Kiev à l’OTAN. En revanche, la rencontre Bush-Iouchtchenko s’est achevée sur une invitation faite au président américain de visiter l’Ukraine. Les Etats-Unis soutiennent déjà l’adhésion de Kiev à l’OMC. Evidemment, le président Iouchtchenko a assuré que « personne ne devait jamais remettre en question les relations stratégiques entre l’Ukraine et la Russie ». Il a également assuré que la Russie est le « partenaire stratégique » de l’Ukraine dont la « politique envers l’OTAN ne sera en aucune manière dirigée contre la Russie ou tout autre pays ».

La défense dans la Constitution européenne
Le caractère structurel de l’Alliance transatlantique a été démontré dans l’histoire et risque d’être confirmé à l’avenir, à travers la future Constitution européenne. Dans un article intitulé « La défense européenne dans le giron de l’OTAN », Paul Quilès estime que « loin de conférer à l’Europe plus d’indépendance à l’égard des choix stratégiques américains, le projet de Constitution la ramène dans l’orbite des Etats-Unis. Il s’agit là d’une régression grave par rapport aux traités actuellement en vigueur d’Amsterdam et de Nice ».

Sur la base de quels éléments ce jugement se base-t-il ? Relevons que le traité reprend le dispositif d’Amsterdam-Nice, faisant de la défense commune de l’Europe l’objectif ultime de la politique européenne de sécurité et de défense. Il prévoit également la création d’une agence européenne de défense ainsi que l’institution de coopérations structurées entre les Etats-membres remplissant des conditions de capacités militaires. Cependant, il stipule que cette défense européenne devra se construire à l’intérieur de l’OTAN. Le deuxième argument est relatif à la clause de défense mutuelle compris dans l’article I-41, paragraphe 7. Ainsi le projet de Constitution précise-t-il que « les engagements et la coopération » en matière d’assistance militaire mutuelle en cas d’agression « demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l’OTAN, qui reste, pour les Etats qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise en œuvre ». Le maintien de cette dépendance est perçu comme une mise entre parenthèses du projet de construction d’une défense européenne indépendante. L’influence de la Grande-Bretagne n’est pas étrangère à cet état de fait.

Dans son livre blanc sur le traité constitutionnel (septembre 2004), le gouvernement britannique se félicitait que, pour la première fois, un texte de l’Union énonce clairement que la défense européenne ne saurait exister en dehors de l’OTAN. Le troisième argument concerne la nouvelle définition des missions militaires de gestion de crise donnée par le traité constitutionnel. La liste des missions de maintien de la paix, dites « missions de Petersberg », comprend désormais « les opérations de stabilisation à la fin des conflits » mais également « le soutien apporté à des Etats tiers pour combattre le terrorisme sur leur territoire ». Ces priorités ne sont pas tout à fait celles préconisées dans le cadre de la « stratégie européenne de sécurité » (Conseil européen de Bruxelles en décembre 2003). Le document atteste qu’« aucune des nouvelles menaces n’est purement militaire et ne peut être contrée par des moyens purement militaires ». Il réaffirme la priorité du règlement du conflit israélo-arabe et préconise le renforcement de l’ONU.

Rapport de force stratégique
Cependant, force est de constater que la volonté politique n’est pas seule en cause dans le maintien de l’Europe dans le giron sécuritaire des Etats-Unis. Les moyens des uns et des autres sont très différents et placent les Européens loin derrière. Simple rappel, de 1990 à 1998 aux Etats-Unis, une série de fusions et de reprises a abouti à la mise en place de quatre producteurs géants dans le secteur aérospatial : Lockheed Martin, Northrop Grumman, Raytheon et Boeing. En 1990, par exemple, on comptait 13 fournisseurs de missiles tactiques. En 2000, ils avaient fusionné en trois grosses sociétés. De 1998 à 2002, le taux de concentration parmi les grosses compagnies s’est ralenti, mais le processus s’est poursuivi au niveau des sous-traitants. La concentration a réduit dramatiquement le nombre d’« entreprises de tête » (les producteurs terminaux des plus importants systèmes d’armement) au cours des années 1990.

De l’autre côté de l’Atlantique, les fusions n’étaient pas de dimension nationale et s’inscrivent parfois dans un effort d’harmonisation. Depuis la fin des années 1990, l’Europe a connu des fusions, des reprises et des joint-ventures. D’où l’apparition de trois gros producteurs d’armes de l’Europe occidentale : BAe Systems, EADS et Thales. Dans une optique de renforcement de l’Europe militaire, des organes ont été instaurés : le COARM : groupe des « exportations d’armes conventionnelles », dépendant directement du Conseil européen. Son objectif est de coordonner les exportations vers les pays du tiers-monde. le POLARM est créé en 1995, en complément du groupe consacré à la « politique européenne de l’armement », également lié au Conseil européen. La tâche de ses experts consiste à développer une stratégie commune. l’Organisation commune de coopération dans le domaine de l’armement (OCCAR) est constituée en 1996, sur l’initiative de la France, de l’Allemagne, du Royaume-Uni et de l’Italie. Son objectif est de coordonner leurs politiques sur le plan de l’industrie militaire.l’European Aerospace and Defence Company (EADC) est créé en 1999 après le rachat de McDonnell Douglas par Boeing. EADC contrôle 80% d’Airbus (qui représente 50% de son chiffre de ventes), 100% d’Eurocopter, 62,5% d’Eurofighter, 25,9% d’Arianespace, 75% d’Astrium, 46% de Dassault, etc. Le groupe français Lagardère et le groupe allemand Daimler (c’est-à-dire la Deutsche Bank) dominent EADC.

Sur le plan de la coopération militaire, les deux grands alliés ont mis fin à un important point de discorde. Il s’agit de l’accord visant à rendre compatible le projet européen de système de navigation par satellite, Galileo, avec le GPS américain. Cet accord a ainsi mis un terme à une dispute transatlantique, dans laquelle le Pentagone s’était opposé à la proposition d’un système européen indépendant.

Le ministère américain de la Défense craignait que la structure de la fréquence demandée par Bruxelles n’empêche les commandants américains de rendre inaccessible les données de navigation, lors d’une guerre. Ce qui était le cas jusqu’à ce projet européen. Mais le changement en paramètres techniques permettra à chacun de brouiller efficacement le signal de l’autre dans un périmètre restreint, tel un champ de bataille, sans fermer le système tout entier. Résultat, le système Galileo sera poursuivi, avec le soutien de la Chine. Cependant, ainsi que le démontrent les changements intervenus au niveau de la doctrine militaire de l’OTAN depuis la fin de la guerre froide, l’Europe s’inscrit dans le cadre de l’élargissement de l’Alliance militaire tant au niveau de son espace d’intervention que dans le contenu de ses actions. Résolution des conflits (Afghanistan), interventions humanitaires (Kosovo) et absence de frontières déterminées (Irak) sont autant d’aspects limitant le rôle de l’Europe à celui d’exécutant.

Par Louisa Aït Hamadouche, la tribune-online.com