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Caméras de surveillance dans les rues d’Alger

dimanche 20 février 2005, par Hassiba

Depuis le 22 juillet dernier, la capitale est dotée d’un système de télésurveillance opérationnel. Sur les écrans de la salle des opérations, les policiers traquent sans relâche les délits commis sur la voie publique. Pour le plus grand bien des Algérois. Enquête.

La scène se déroule sur la rambarde surplombant l’hôtel Es-Safir (ex-Aletti). Trois jeunes désœuvrés sont adossés à la balustrade. L’un des trois tient dans sa main un joint qu’il finit de rouler. Ce petit rituel achevé, il s’empresse d’enfouir le reste du kif qu’il détenait dans l’autre main, au fond d’une poche. Habile et discrète, sa façon de faire n’attire guère l’attention des passants. Des yeux pourtant le regardent. Ils l’observent à travers une caméra rotative, qui non loin de là, perchée au sommet d’un immeuble, scrute le mouvement de la foule. Au même moment, de l’autre côté de la ville, dans l’antre du commissariat central, sis au boulevard Amirouche, un poste radio grésille. Il donne l’alerte. Aussitôt, des policiers surgissent devant le fumeur de kif. Surpris par cette incursion soudaine, ce dernier crache son joint par-dessus la balustrade. Il fait mine d’ignorer l’objet de l’interpellation. Les agents le fouillent mais ne trouvent rien en sa possession. La prise semble infructueuse et le contrevenant pense qu’il est sorti d’affaire. Un petit détail cependant, va le perdre. La caméra a nettement intercepté l’endroit où il a dissimulé sa réserve de drogue. “Fouillez dans ses poches intérieures”, ordonne une voix dans la radio. L’un des policiers s’exécute. Dans la minute qui suit, il exhibe un paquet minuscule. Le fumeur et ses acolytes sont embarqués.

Au siège de la sûreté d’Alger, des cadreurs d’un genre particulier, en uniforme bleu, exultent. Ils viennent de réussir un bon coup. Tous sont officiers de la direction générale de la sûreté nationale. Leur retraite, dite la salle des opérations, fait office d’une véritable régie, opérationnelle 24 heures sur 24. Assis à une table, des boîtiers à la main, les scrutateurs très méticuleux, manipulent des milliers d’images à la seconde. Les instantanés sont retransmis par 16 écrans de télévision de marque Philips. Chaque téléviseur porte un numéro. C’est aussi le matricule de la caméra à laquelle il est relié. Dans les petites lucarnes alignées en deux rangées superposées, apparaît une foule en mouvement.

La rue envahit les écrans. Ses passants, ses automobilistes, ses ménagères, ses hittistes, ses mendiants, ses colporteurs, ses oisifs y convergent, sans savoir que Big Brother a posé ses yeux sur eux depuis bientôt sept mois. Dans cette marée hétéroclite, les ombres qui se faufilent entre les badauds en quête de petits larcins, les dealers retranchés dans le petites ruelles pour fructifier leur commerce et les chauffards prompts à commettre des infractions dangereuses sont les principales cibles des cadreurs de la police. Tous sont susceptibles de devenir les vedettes d’un show qui leur coûtera cher. Surprise sur prise !

Une dissuasion efficace
C’est en octobre dernier que la direction de la sûreté d’Alger a annoncé la mise en place d’un système de télésurveillance dans la capitale. Le dispositif déjà opérationnel depuis le 22 juillet 2004 constitue une première étape de la couverture télévisuelle de la capitale. Il comporte donc 16 moniteurs implantés sur un parcours névralgique. Cet itinéraire s’étale de l’entrée est d’Alger, à la limite de la Moutonnière jusqu’à la Place des Martyrs et Bab El-Oued. La Place du 1er-Mai et ses confluents, dont une projection sur le port, Mauretania, la rue Hassiba-Ben-Bouali, le boulevard Amirouche, le carrefour de la Grande-Poste, le boulevard, Zighout-Youcef, l’avenue du 1er-Novembre... sont les axes culminants de la télésurveillance. “La découverte par les gens de l’emplacement de ces caméras ne va-t-elle pas nuire à vos missions ?” Cette question arrache un sourire au commissaire principal Bouchemal Youcef. De son avis, l’information des citoyens sur l’existence de ce genre d’équipement est bénéfique au contraire. “Se savoir surveillés, dissuadera beaucoup de personnes de commettre des délits ou des infractions au code de la route”, explique-t-il.

Cet officier bardé de diplômes (en droit et en hautes études administratives) est à la tête du centre opérationnel et de commandement. Son rôle : superviser la collecte des informations et leur exploitation à titre préventif ou leur livraison à d’autres services comme la police judiciaire dans le cadre d’une enquête. Trois ruches où s’activent des dizaines de policiers sont mises en place pour les besoins de cette mission. Il s’agit dans l’ordre de la salle des opérations, dénommée naguère salle de trafic, la salle de liaison et la dernière chargée de l’exploitation des données et du suivi.

Par le passé, les occupants de la salle des opérations se contentaient d’obtenir les informations sur tel ou tel événement par liaison radio. À titre d’illustration, la régulation de la circulation en cas de congestion importante dépendait de cet unique moyen. “Auparavant, nous travaillions dans le noir. Nous étions aveugles. Notre connaissance du terrain, nous guidait. Maintenant, nous avons des yeux”, soutient l’officier El Hachemi, chef de la salle des opérations. Sa métaphore est loin d’être une simple coquetterie poétique. Le handicap était sérieux, tant la petite et moyenne criminalité proliférait dans les venelles devenues malfamées, et ce en dépit du renforcement de la présence policière.

Aujourd’hui, que les policiers ont l’œil sur tout ce qui se passe entre le 1er-Mai et la place des Martyrs, les forfaits de différente nature sont en chute libre. “Ils ont baissé d’environ 70%”, se félécite l’officier El-Hachemi. Ayant débuté comme simple agent dans la police, il a gravi les échelons grâce à sa pugnacité et sa soif de connaissance. C’est tout naturellement qu’il a intégré un stage de formation sur la télésurveillance en compagnie de quelque-uns de ses collaborateurs, il y a quelques mois. La formation s’est déroulée chez le fournisseur de caméras, Sadimet. Cette entreprise privée nationale est spécialisée dans l’importation des équipements de surveillance, dont les supports audiovisuels. Les moniteurs dont elle a pourvu la sûreté d’Alger recèlent de nombreux avantages. Tout d’abord, ils sont très discrets, presque insoupçonnables. La caméra nichée à l’angle du siège de la Banque extérieure d’Algérie, sur le boulevard Amirouche, tout juste en face du commissariat central, ressemble plutôt à une grosse lampe électrique. Enfouie sous une carapace blanche, elle laisse entrevoir un objectif de couleur sombre. Elle a l’air statique alors que ses prises de vue couvrent un rayon de 1 000 mètres. La seconde caractéristique de ces moniteurs tient justement dans leur capacité à se promener sur de grandes surfaces, en accédant à l’infime détail. La visualisation de l’immatriculation d’un véhicule ayant commis une infraction (quelquefois un accident mortel), ou suspecté d’avoir fait l’objet d’un vol, est ainsi facilitée à l’aide d’un zoom très puissant (12 x soit 300 mètres). Les rôdeurs sont également identifiés. “Si on aperçoit quelqu’un dans un endroit deux fois de suite, en train d’errer sans but précis. Nous avertissons la patrouille la plus proche et procédons à son interpellation pour nous enquérir de ses intentions”, souligne l’officier El-Hachemi.

Des hommes mobilisés 24h/24
Ses hommes travaillent sans répit. Des brigades se relayent de jour comme de nuit dans la salle de trafic. À chaque relève, deux policiers prennent les commandes des fameux boîtiers. Ils sont orientés dans leurs manœuvres par leurs supérieurs hiérarchiques. Tout le monde est aux aguets. Le choix porté sur l’itinéraire allant de la place du 1er-Mai à la place des Martyrs est justifié par le grouillement de ses artères et de ses ruelles. Compte tenu de leur fourmillement, elles attirent les délinquants en tout genre qui opèrent dans divers points noirs dûment répertoriés par la police. La passerelle qui traverse l’avenue de l’ALN et débouche sur l’ex-Champ-de-Manœuvre est connue pour être un coupe-gorge. “Auparavant, il y avait au moins deux vols par jour à cet endroit”, confie l’officier El-Hachemi.

Depuis la mise en place des caméras et l’arrestation de quelques-uns, les pickpockets ont plié bagage. Les arrêts de bus de la place des Martyrs, les alentours de la gare centrale d’Alger, les marchés comme Clauzel bénéficient pêle-mêle d’une attention tout aussi accrue compte tenu de leur vulnérabilité. Les jardins, comme celui qui fait face à la Grande-Poste soulève une autre préoccupation, d’ordre moral. “Nous veillons à ce que les couples qui les fréquentent ne se rendent pas responsables d’outrage à la pudeur. Mais rassurez-vous. Nous ne sommes pas des gardiens de mœurs. Ce n’est là qu’une facette du travail que nous accomplissons”, tempère le chef de la salle des opérations. La sécurité des biens et des personnes prime. Dans le cadre d’une manifestation sportive ou artistique, l’œil des policiers est plus aiguisé.

“En été, l’esplanade de la Grande-Poste, n’échappe jamais à l’objectif de la caméra. Le déplacement de délégations officielles étrangères dans des sites touristiques, comme le Bastion 23 ou le Musée des arts traditionnels (K’sar Khdaoudj El- Amya) met la salle de trafic en état d’alerte. Il y va de l’image de la capitale. Nos hôtes doivent savoir que désormais, Alger est une ville sûre. Pour ce faire, la prochaine étape d’extension du dispositif de télésurveillance, prévoit la mise en place de caméras sur des mâts, aux alentours des représentations diplomatiques, dont la plus sensible, l’ambassade des États-Unis. Il est également décidé de l’installation de moniteurs sur la rocade sud et l’entrée ouest d’Alger. Le but primordial étant de veiller à la fluidité de la circulation automobile à ces endroits précis et lutter contre les infractions du code de la route.

Selon le commissaire principal Bouchemal, une quinzaine de contraventions sont faites quotidiennement, suite au signalement des caméras de surveillance. “Cela est un motif de satisfaction. Mais nous ne nous en réjouissons pas outre mesure. Car comme pour les vols ou les autres délits, notre espoir consiste à les réduire à néant”, note l’officier El- Hachemi. Depuis juillet dernier, 72 interpellations pour différents motifs (vol de portable, d’argent, de bijoux, agression, détention ou vente de stupéfiants...) ont été effectuées grâce au système de télésurveillance. “Nous avons également aidé au secours de personnes en détresse, des SDF, des accidentés, des femmes sur le point d’accoucher...”, renchérit le cadreur en chef de la police. Une manière à lui d’humaniser ses moniteurs chasseurs d’images. L’aspect humain est par ailleurs mis en avant quant il s’agit du respect de la vie privée et de l’intimité des gens. Au-delà des balcons et des fenêtres, les objectifs des caméras ne s’aventurent jamais. Foi de policier.

Par Samia Lokmane, Liberté