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Changement et continuité de la politique des Etats-Unis au Maghreb

mardi 5 avril 2005, par Stanislas

Bien que les Etats-Unis aient généralement accordé assez peu d’attention au Maghreb, il y a toujours eu des périodes au cours desquelles l’intérêt politique et économique s’est accru ou a connu un nouveau souffle.

Les dirigeants américains considéraient souvent que le Maghreb faisait partie de la zone d’influence de l’Europe, et notamment de la France. Il y a eu au moins trois périodes au cours desquelles les USA ont accordé une attention particulière au Maghreb la Seconde guerre mondiale, la période de décolonisation dans les années cinquante et soixante et le conflit du Sahara occidental jusqu’aux années quatre-vingts.

Au cours de la période qui a suivi la guerre froide, l’intérêt américain pour le Maghreb s’est accru en raison de l’inévitable globalisation. Depuis le 11 septembre 2001, les USA accordent encore plus d’attention à la région, en partie parce que certains membres du réseau terroriste AI Qaïda, les dénommés « arabes-afghans », sont d’origine nord-africaine. A la fin des années quatre-vingt-dix, les politiciens américains étaient très intéressés par l’apparition d’une entité régionale maghrébine centrée sur le marché.

Cependant, la non-résolution et la continuation du conflit du Sahara occidental continue d’être une source de tensions dans la région et reste le principal point de discorde entre l’Algérie et le Maroc, qui forment la colonne vertébrale du processus de régionalisation. Depuis ses débuts en 1975, le conflit du Sahara Occidental a exacerbé les relations algéro-marocaines, rendant ainsi difficile l’intégration économique maghrébine si la dispute entre le Maroc et les nationalistes sahraouis n’est pas résolue auparavant.

Objectifs de la politique américaine au Maghreb
Les USA favorisent actuellement au Maghreb un type de développement privilégiant la croissance économique durable. Le principal intérêt américain est économique ; l’indicateur le plus clair étant l’initiative Eizenstat ou Alliance Economique crime les USA et l’Afrique du Nord, lancée en 1999 - ultérieurement renommée Programme économique américain pour l’Afrique du Nord - dont l’objectif était de « resserrer les liens entre les USA et les trois pays de l’Afrique du Nord en matière de commerce et d’investissement, afin de favoriser davantage le commerce entre nos pays, d’inciter un plus grand nombre d’entreprises américaine à investir dans la région et à créer des emploi, bien rémunérés [ ... ] et de favoriser la réduction de barrières internes entre les pays de l’Afrique du Nord qui ont freiné 1es flux de commerce normaux entre ces pays ». Cette déclaration exprime implicitement le solution aux trois pays du Maghreb afin qu’ils revitalisent l’Union du Maghreb arabe (UMA) - à l’exclusion de la Libye et de la Mauritanie - et qu’ils rouvrent la frontière algéro-marocaine, fermée depuis août 1994. Le Programme économique américain pour l’Afrique du Nord - qui fait maintenant partie de l’initiative globale de Partenariat au Proche-Orient (BMEPI) -, rappelle constamment que les USA souhaitent que le Maghreb devienne une entité intégrée, qui finisse par s’étendre vers l’Est. Avec l’actuelle amélioration des relations entre la Libye et les USA, cette expansion n’est probablement pas si exagérée.

L’insistance américaine liée à l’alliance économique diffère, par conséquent, de l’intégration politique recherchée par I’Union européenne (UE) dans le cadre de l’Alliance euro-méditerranéenne. Au cours de la plus grande partie des années quatre-vingt-dix, le principal souci des USA au Maghreb était la situation extrêmement instable en Algérie. L’incertitude dans ce pays a été la première raison pour laquelle les USA et les autres Etats ont souhaité maintenir le statu quo dans le conflit du Sahara occidental, l’apparition de l’islamisme radical et le chaos prévu par les analystes en cas de triomphe islamiste dans les urnes ou d’une arrivée de pouvoir à la suite d’une insurrection armée, a renforcé l’importance du Maroc pour les USA et pour de nombreux pays européens, notamment pour la France, en tant que forteresse sur le plan de la stabilité et de rempart contre l’islamisme radical, de la même façon qu’il a constitué un bastion contre le communisme au cours de la guerre froide. L’inquiétude des USA et de l’Europe était que la déstabilisation de l’Algérie ou du Maroc entraînerait des conséquences terribles pour l’Europe. De plus, un Maroc affaibli faciliterait l’ascension de l’islamisme radical au sein de ce pays, ce qui donnerait lieu à une émigration massive vers l’Europe.

Le Maroc : pilier des USA
au Maghreb

Dans la politique étrangère des USA, le Maroc continue d’être un pilier de la présence américaine au sein du Maghreb et du Proche-Orient, notamment pour la sixième flotte américaine en Méditerranée et pour le « processus de paix » au Proche Orient. A la fin de la guerre froide, l’aide économique et militaire américaine s’est maintenue à un niveau relativement bas. Cependant le Maroc a regagné sa place d’allié important. La première cause de ce nouveau statut a été le soutien marocain à la guerre du Golfe de 1991, comprenant l’envoi de 2 000 soldats marocains en Arabie Saoudite. La seconde cause a été l’instabilité de l’Algérie. Le régime algérien luttait pour sa survie et le spectre d’une révolution islamiste radicale en Afrique du Nord a redonné au Maroc le rôle de « rempart » contre les forces extrémistes anti-occidentales. La capacité du roi Hassan II à réprimer les mouvements islamistes radicaux dans son propre pays lui a permis de devenir un intermédiaire particulièrement utile contre ces forces.

La troisième raison du soutien des USA au Maroc est peut-être liée à l’augmentation des réformes économiques de libre marché, comprenant une privatisation à grande échelle coïncidant avec les objectifs idéologiques américains. Le soutien au Maroc au sein du Congrès américain est également significatif, surtout que le Maroc est considéré comme un pays moins hostile à l’égard d’Israël. Malgré les violations de droits de l’Homme, les USA ont maintenu la même politique envers le Maroc.
C’est ainsi que le gouvernement de George W. Bush a renforcé la coopération économique et militaire, qui a été particulièrement importante dans le domaine an antiterroriste. Aux yeux des USA, le Maroc se distingue également en tant que modèle de démocratie au sein,du monde arabe.

En novembre 2003, Bush annonça que les « USA allaient prendre de nombreuses, et importantes mesures pour renforcer leurs relations avec le royaume (du Maroc), notamment des mesures visant le développement de la coopération économique et militaire, ainsi qu’en matière de lutte antiterroriste. Les USA étaient également sur le point de concéder au Maroc la considération d’allié de longue durée ».

Il convient cependant de signaler que malgré son soutien affirmé au Maroc, les USA refusent de reconnaître la souveraineté marocaine dans la dispute du Sahara occidental, afin de ne pas se trouver en désaccord avec les congressistes américains partisans de l’organisation d’un référendum sur ce territoire, mais également afin d’éviter une inimitié avec l’Algérie.

L’évolution des relations entre les USA et l’Algérie
A la fin des années quatre-vingt-dix, les relations entre les USA et l’Algérie ont connu à tous les niveaux un grand développement par rapport à ce qu’elles avaient été jusqu’à lors.

L’antagonisme politique et idéologique du passé avait disparu. Une meilleure illustration de cette évolution a été la visite officielle du président Abdelaziz Bouteflika aux USA en juillet 2001. L’influence croissante de l’Algérie au sein de l’Organisation pour l’unité africaine (OUA), ainsi que l’importance croissante de l’axe Algérie-Nigeria-Afrique du Sud, n’est pas passé inaperçue à Washington. De plus, les hommes politiques américains sont conscients que la résolution du conflit du Sahara occidental est impossible sans l’approbation de l’Algérie. De plus, les USA avaient compris qu’il était nécessaire de coopérer avec l’Algérie en matière de terrorisme mondial, bien avant le 11 Septembre.

Ces attentats ont rapproché ces deux pays, au moins en ce qui concerne la coopération en matière de sécurité. Malgré certaines réserves, l’Algérie a accepté de se joindre à la coalition internationale menée par les USA. Les autorités algériennes ont remis à Washington une liste de plusieurs centaines de suspects, militants islamistes algériens ayant fui en Europe et aux USA, et ont offrit leur coopération en matière de sécurité et d’échanges entre les services secrets. Bouteflika a effectué une dernière visite à Washington le 5 novembre 2001 ; son voyage a principalement tourné autour de la guerre mondiale contre le terrorisme. Les Algériens ont obtenu des résultats politiques positifs de cette visite : soutien à la lutte antiterroriste en Algérie, soutien au manifeste de l’OUA à Alger sur la lutte contre le terrorisme, condamnation des violentes prises de pouvoir en Afrique et soutien de l’actuelle diplomatie de l’Algérie en Afrique et en Méditerranée.

La CIA, le FBI et la NSA continuent à solliciter l’aide des Algériens, qui ont acquis une expérience extrêmement précieuse dans le domaine de la lutte antiterroriste. Plus important encore, et en ayant cependant refusé de vendre à l’Algérie des armes de guerre, les USA ont accepté de fournir à ses forces de sécurité un équipement efficace, afin de les aider à éliminer les groupes restants de militants armés, dans les zones rurales. Bien entendu, ce rapprochement entre les USA et l’Algérie n’aurait pas été si facile sans le rôle régional de plus en plus important joué par l’Algérie, rôle qui a contribué à la préservation de la sécurité en Méditerranée, un région vitale pour l’Alliance Atlantique. L’Ota, ayant reconnu l’importance de la relation qui existe entre la sécurité euroatlantique et la stabilité en Méditerranée, les visite, de Bouteflika au quartier général de l’OTAN en Belgique en décembre 2001 et en 2002 ont donné lieu à l’établissement d’un programme de coopération, ainsi qu’à des manœuvres conjointes en Méditerranée entre les forces algériennes et celles de l’OTAN.

Les relations économiques entre l’Algérie et les USA ont aussi connu une croissance remarquable. En juillet 2001, les deux pays ont signalé un accord cadre sur le commerce et l’investissement, établissant une procédure consultative qui a donné lieu à un accord bilatéral d’investissement, à des concessions commerciales mutuelles et à un accord sur la double imposition fiscale et ouvrant par ailleurs plus largement aux entreprises multinationales, les ressources pétrolifère et gazière, algériennes. L’objectif de l’accord est de doubler le volume des échanges et de permettre aux entreprises américaines d’acquérir une plus grande part du marché algérien, notamment en matière d’hydrocarbures (en tenant compte du fait que les USA sont actuellement les plus grands investisseurs dans ce secteur). Il semble cependant que les dernières années, les entreprises américaines se soient également intéressées à des secteurs autres que celui de l’énergie, comme par exemple, les finances, les produits pharmaceutiques, les télécommunications et l’informatique.

Cependant, malgré cette évolution positive, les investissements américains hors des hydrocarbures demeurent relativement faibles. L’instabilité de l’Algérie au cours des années quatre-vingt-dix explique en partie le faible niveau d’IED américain ; cependant la lenteur des réformes économiques et les obstacles des infrastructures et de la bureaucratie sont d’autres facteurs importants qui ont maintenu les investisseurs américains à l’écart. Signalons cependant que l’Afrique du Nord en général bénéficie d’une part de marché mondial d’IED peu élevée, calculée à hauteur de cinq milliards de dollars chaque année.

Yahia H. Zoubir
( universitaire, expert en relations internationales) , lanouvellerepublique.com