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Des grains de poussière lunaire dévoilent la composition de l’oxygène du Soleil

samedi 9 avril 2005, par Hassiba

C’est une poussière noirâtre, qui a capturé le souffle du Soleil, et, sans doute, le souvenir des premiers instants de notre système solaire. La NASA en conserve des kilos ramenés de la Lune, principalement par la mission Apollo 17, en décembre 1972, bénédiction des historiens de l’espace parce qu’elle comptait en son sein le seul vrai géologue qui ait arpenté le sol de notre satellite.

Sur cette surface, qui ne bénéficie ni de la protection d’une atmosphère ni de celle d’un champ magnétique, la poussière a été offerte, pendant des centaines de millions d’années, aux caresses du vent solaire, porteur des particules qui se sont échappées de l’atmosphère de notre étoile.

CRPG-CNRS/ MARC CHAUSSIDON
Vue au microscope électronique de grains métalliques lunaires. Les cratères démontrent leur exposition aux particules du vent solaire.

Les astronomes se sont toujours dit que cette poudre de Lune pourrait contenir des grains de Soleil, ou du moins des renseignements sur sa composition précise. En la chauffant, ils lui ont fait avouer la présence de certains gaz. Mais cette technique ne pouvait suffire à discerner les éléments moins volatils.

Il a donc fallu attendre plus de trente années après le retour du dernier des vaisseaux Apollo, pour que deux chercheurs, un Français et un Japonais, parviennent à lui arracher l’un de ses secrets les mieux gardés, et l’un des plus convoités par les astronomes : la nature exacte de l’oxygène contenu dans l’atmosphère du Soleil. Pour la trouver, il a été nécessaire de recourir à la technologie dernier cri, une sonde ionique de fabrication française.

Mais il fallait surtout savoir où chercher. "Les oxydes et les silicates qui composent majoritairement le sol lunaire ne pouvaient avoir gardé de traces assez nettes de cet oxygène solaire", explique Marc Chaussidon, du Centre de recherches pétrographiques et géochimiques (CRPG-CNRS) de Vandoeuvre-lès-Nancy (Meurthe-et-Moselle), coauteur avec Ko Hashizume, de l’université d’Osaka, du travail publié dans Nature du 31 mars. "Nous avons donc eu l’idée de nous tourner vers les grains de métal, qui se trouvent en petite quantité à la surface, soit parce que des météorites les ont déposés là, soit parce que de la lave y a cristallisé. Sur les catalogues de la NASA, nous avons sélectionné des échantillons de sol qui ont pu être exposés aux vents solaires durant plusieurs centaines de millions d’années, voire jusqu’à deux milliards d’années."

Du centre de Houston, qui tient à la disposition des laboratoires agréés un quart des quantités de minerais ramenés sur Terre, leur est parvenu à peine plus d’un dixième de gramme de poussière, issue de six lieux de prélèvements différents. Largement de quoi se livrer au plus microscopique et au plus minutieux des tamisages. "Nous avons d’abord extrait les grains métalliques de la poussière, tout bêtement, grâce à un aimant, raconte Marc Chaussidon. Sur les 200 obtenus, nous en avons sélectionné 38, qui présentaient des surfaces assez plates pour être exposées à la sonde ionique du CRPG. Huit d’entre eux ont révélé les traces d’un oxygène sans équivalent avec tous ceux que nous connaissions." L’oxygène du Soleil.

Ces huit grains de quelques dizaines de micromètres (des millionièmes de mètre), ressemblent étonnamment à la surface de la Lune, avec leurs cratères creusés par les chocs avec ces météorites de l’infiniment petit que constituent les particules du vent solaire. Ils recèlent très exactement la composition isotopique de l’oxygène charrié par ce souffle. C’est- à-dire le nombre de neutrons qui déterminent la masse de son noyau atomique.

La découverte pourrait paraître dérisoire, si elle ne relatait les premiers âges de notre environnement immédiat. Car il n’y aucune raison de penser que la composition actuelle du Soleil, qui contient 99 % de la matière de notre système solaire, soit différente de celle de la nébuleuse solaire qui a engendré notre petit coin de Galaxie, il y a 4,5 milliards d’années.

Or les deux chercheurs ont constaté que les isotopes ­-les différentes espèces ­-de l’oxygène qui composent nos corps, nos planètes telluriques, ou même la plupart des météorites qui sillonnent notre espace proche diffèrent sensiblement de ceux de l’atmosphère du Soleil. Quelque chose s’est donc passé qui a fait évoluer une petite part de l’oxygène de la nébuleuse originelle pour arriver à celui qui nous constitue aujourd’hui. Quoi ? Les scientifiques ne le savent pas précisément. "Nous n’arrivons pas à reproduire en laboratoire une réaction qui explique cette évolution", constate Marc Chaussidon.

Il faut donc se contenter d’hypothèses. Celle qui domine est fondée sur le fait que, dans sa première jeunesse, le Soleil brillait de tous ses feux, et émettait sans doute plus d’ultraviolets qu’aujourd’hui. Ces radiations ont pu modifier les minerais du disque de matière proche de notre étoile, qui, en s’agglomérant et en s’éloignant, ont pris la forme de notre Terre et de ses voisines.

De nouveaux renseignements devraient prochainement valider ou non cette hypothèse. Ils proviendront des analyses des particules de ce même vent solaire récupérées dans l’espace par la sonde américaine Genesis. L’engin avait fait un retour remarqué sur Terre, en septembre 2004, en échappant aux hélicoptères qui tentaient de le saisir et en s’écrasant lourdement au sol. Les astronomes avaient craint le pire pour les échantillons collectés.

Après un patient travail de nettoyage, ils sont aujourd’hui exploitables et commencent à être distribués aux laboratoires chargés de leur analyse. Une équipe du CRPG, dirigée par Bernard Marty, aura la responsabilité de décrypter l’azote. Les Américains s’occuperont de l’oxygène, pour lequel la tâche risque d’être complexe.

"Avec seulement deux années passées par Genesis au vent solaire, la quantité d’éléments collectés est bien moindre que sur la Lune, avec ses deux milliards d’années d’exposition", rappelle Marc Chaussidon. Rien de tel que la Lune pour donner un long rendez-vous aux particules du Soleil.

Par Jérôme Fenoglio, lemonde.fr