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Irak, la Marjaïya chiite affaiblie ou renforcée ?

mardi 31 août 2004, par Hassiba

Le transfert des clés du mausolée d’Ali à la Marjaïya, l’autorité religieuse chiite, et le retrait de Moqtada Sadr de Nadjaf, résultat de longues négociations, mettent fin à un siège aux conséquences politiques incalculables pour le gouvernement Allaoui, et l’autorité religieuse irakienne qui aurait perdu toute crédibilité en cas d’assaut final des troupes américaines.

Mais les termes de l’accord, rendu public, laissent des zones d’ombre : le mouvement de Moqtada Sadr se transformera-t-il en parti politique pour participer directement au processus de transition menant aux élections ? Bénéficiera-t-il d’une amnistie ? Sistani en sortira-t-il politiquement renforcé ? Ou la stratégie favorisant l’affrontement inter-irakien dans le but de justifier le maintien des troupes américaines l’emportera-t-elle ? Actif dans tout l’Irak, sorti sans rendre les armes et sans livrer la ville sainte aux GI, le mouvement de Sadr, accusé par le gouvernement de transition d’être le bras armé de l’Iran, est-il ce mouvement minoritaire de résistance armée, comme l’affirment ses adversaires, ou l’une des expressions de la résistance à plusieurs dimensions politiques, idéologiques ? Le « compromis » de Nadjaf est lourd de ses silences.L’assassinat et l’enlèvement de journalistes revendiqués en plein siège de Nadjaf, des journalistes devenus des cibles malheureusement et tristement presque banales depuis le déclenchement de la guerre contre l’Irak, auront presque relégué à l’arrière plan le dénouement de l’affrontement politico-militaire entre le mouvement de Moqtada Sadr et les troupes américaines.

Un peu comme les soldats de l’armée irakienne qui s’étaient fondus dans l’anonymat au moment de l’entrée des blindés américains à Baghdad en raison de l’effondrement d’une chaîne de commandement dont les tenants et aboutissants demeurent encore un mystère, les combattants chiites repliés dans le mausolée se sont fondus dans la foule des Irakiens, empêchée d’y accéder du fait des blindés qui s’y étaient déployés puis retirés, suite à l’accord intervenu le 26 août.

La différence est que cette sortie reste le résultat de négociations entamées aussitôt le déclenchement du siège de Nadjaf, début août. Une ville qui avait opposé une farouche résistance, comme Bassora à l’arrivée des commandos britanniques en 2003. Nadjaf n’a donc pas failli à sa tradition.

Et comme en avril 2003, aux premiers jours des combats dans les rues de Baghdad, quelques médias ont focalisé les caméras sur le mécontentement d’habitants contre des combattants accusés une nouvelle fois d’être des « étrangers ». « Regardez ce qu’ils ont fait à Nadjaf. La plupart de ces miliciens ne sont même pas d’ici. Ils représentent peut-être 5% de la population locale, alors que 70% de la vieille ville a été détruite », rapporte une agence citant ces habitants. Les premiers irakiens interrogés, en effet, par les caméras sous la surveillance des GI, en 2003 à Sadr City, ne disaient pas autre chose.

La surprise du dénouement provient moins du dénouement lui-même, prévisible en raison des tractations qui ont accompagné ces événements, que de la simultanéité de deux faits dont il est encore difficile de connaître le lien : d’une part le retour à Nadjaf de Sistani transféré officiellement dans un hôpital londonien en plein siège de Nadjaf pour une intervention chirurgicale en cardiologie, et d’autre part la visite le 29 août à Téhéran du vice-Premier ministre irakien, faisant suite aux accusations d’ingérence de l’Iran dans la résistance chiite irakienne. « Je suis porteur d’un message d’amitié du gouvernement et de la nation irakienne pour le peuple et le gouvernement d’Iran », a déclaré Barham Saleh, cité par l’agence de presse IRNA. Il a tenu à souligner le « renforcement des liens fraternels » entre les deux pays.

Un ton qui apaise la tension créée par les propos du ministre irakien de la Défense Hazem Shaalam allant jusqu’à qualifier l’Iran d’« ennemi principal » de l’Irak. Le gouvernement de transition accusant, en effet, Téhéran de soutenir Moqtada Sadr. Ceci sur fonds d’accusations américaines contre le soutien supposé du Hamas palestinien et du Hezbollah libanais à Sadr. Et en pleine campagne contre le programme nucléaire iranien avec les rebondissements liés à l’affaire de l’espion israélien au Pentagone, dévoilée le 28 août.

Que Washington ait dès le début de l’invasion haussé le ton contre Damas et Téhéran, pour endiguer toute résistance irakienne sur le plan régional, n’est pas nouveau, et que des rumeurs alimentées par des dissidents de Moqtada Sadr l’aient accusé de liens étroits avec le pouvoir iranien ou des factions de celui-ci ne font que montrer à quel point les discussions sur l’Irak doivent aussi être resituées dans un environnement général vital pour l’administration américaine. Mais le cessez-le-feu à Nadjaf est-il la conséquence de « l’affaiblissement des capacités de Sadr », ainsi que le déclare Colin Powell en précisant que le « succès obtenu doit beaucoup à la pression des forces irakiennes et américaines ». Si la disproportion des forces rendait inéluctable ou presque un écrasement militaire de la résistance encerclée dans Nadjaf, sous le feu de bombardements massifs, l’administration américaine pouvait-elle se permettre un déluge de feu, qui plus est contre un site religieux, en pleine campagne électorale ? Un affrontement au corps à corps des forces spéciales avec une guérilla qui avait tout à gagner au « service du martyre pour l’islam », dans l’enceinte d’Ali, aurait eu un coût politique énorme pour l’occupant : en termes de risques de pertes de soldats américains, et au plan des répercussions sur le gouvernement irakien qu’il a installé, voire des factions chiites avec lesquelles il escompte faire durer sa domination. La solution choisie offre une sortie honorable pour toutes les parties.

Pour Moqtada Sadr qui a tenu tête « avec une petite faction chiite », selon les termes de ses adversaires, à une armée écrasante de 160 000 hommes, a rendu les clés du mausolée à l’autorité religieuse sans pour autant remettre ses armes. Il a obtenu des compensations pour les Irakiens touchés par les affrontements. Il parle, en outre, de processus pour atteindre une « souveraineté totale », supposant que ce n’est pas le cas. Sortie honorable pour Sistani, qui ne pouvait à la fois défendre la résistance pacifique à l’occupation et demeurer neutre face à une prise d’assaut de Nadjaf, pis, se ranger dans un affrontement contre Moqtada Sadr. Au risque de perdre plus de pouvoir et de popularité. La « fuite » de la ville sainte au cours des affrontements, de la Marjaïya, composée des quatre grands ayatollahs les plus influents d’Irak, dont Ali Al Sistani, hospitalisé pour des problèmes cardiaques en Grande-Bretagne, avait été négativement ressentie.« C’est très grave », déclarait, à la mi-août, un journaliste irakien car « cela jette le discrédit sur toute une institution, déjà critiquée pour être plus préoccupée de la gestion des immenses sommes d’argent versées par les fidèles et les pèlerins que du bien-être des Irakiens. Ce n’est pas pour rien que Moqtada en a appelé au Pape, en l’absence de la Marjaïya.

Ali Al Sistani va devoir parler s’il ne veut pas que tous les mécontents du siège de Nadjaf et de l’échec de l’après-Saddam ne rejoignent, à plus ou moins long terme, les rangs des insurgés ». La Marjaïya s’est en définitive réunie le 28 août au lendemain du départ de Moqtada Sadr de Nadjaf. « Nous n’avons pas encore épuisé les solutions pacifiques pour mettre fin à l’occupation et s’il s’avère un jour qu’il n’y a plus de possibilités de discussions, alors la lutte armée deviendra une possibilité », a déclaré un membre de la Marjaïya. Les Américains estiment qu’il faudra dix ans pour mater toute résistance. « L’arrestation de Saddam Hussein était censée régler tous les problèmes, en démobilisant la résistance légitimiste. Il n’en a rien été. Au contraire, tous ceux qui refusaient de se battre pour le dictateur déchu avant sa capture sont aussitôt entrés dans la danse. Maintenant, les Américains se sont en plus aliénés leurs alliés chiites en essayant de couper les ailes au mouvement de Moqtada Sadr », affirme une personnalité irakienne. Il faudra aussi compter sur la question économique, le pillage du pays qui jette des millions d’Irakiens dans le désarroi.

Le processus politique transitoire en Irak demeure miné à la base et peu de politiques s’aventurent actuellement à garantir la tenue d’élections en janvier 2005. Le début de la fin n’a-t-il pas commencé à Falloudja ?

Par Chabha Bouslimani, latribune-online.com