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Jean-Louis Bruguière, le juge anti-terroriste

jeudi 17 mars 2005, par nassim

Si les membres d’Al-Qaïda ont tous le rêve de croiser un jour Oussama Ben Laden, le fantasme d’un kamikaze islamiste est de se retrouver face au magistrat français Jean-Louis Bruguière. C’est dans un restaurant discret de Paris que nous avons rencontré le juge antiterroriste le plus haï par le GIA et le GSPC.

Costume sombre, manières élégantes et regard fixe, le juge Bruguière arrive avec un petit quart d’heure de retard dans ce restaurant paradoxalement vide. Deux gardes du corps l’accompagneront à la porte et se tiennent dehors en cas de nécessité. Car avec l’Espagnol Baltazar Garzon, Jean-Louis Bruguière est le magistrat européen qui focalise le plus de haine des islamistes de tout bord.

Une vie rythmée par les menaces de mort et une clandestinité auxquelles semble être habitué le juge antiterroriste français qui dissèque froidement les contours des nouvelles menaces terroristes : « Il y a actuellement une mondialisation de la menace avec des cellules autonomes, autochtones et erratiques (...) L’épicentre du terrorisme

Jean-Louis Bruguière

s’est déplacé du Maghreb et le centre pakistano-afghan a été remplacé par les axes irakien, tchétchène et cachemiri avec une lisibilité plus compliquée », analyse-t-il. D’un calme olympien, le juge Bruguière qui viendra dans quelques jours pour la seconde fois en Algérie « pour un motif confidentiel », lâche-t-il, connaît parfaitement les mouvements terroristes algériens pour avoir mené les opérations « Chrysanthèmes » sous Pasqua et « Selim » lorsqu’il a commencé à s’intéresser au GIA qui avait commis plusieurs attentats à paris entre 1994-1995. « Maintenant que le GIA a disparu, c’est le GSPC qui a rejoint momentanément Al-Qaïda qui nous inquiète particulièrement dans la région du Sahel », dira-t-il. Entre un café allongé et quelques mini-croissants, le juge français dit s’intéresser à toute la mouvance islamiste maghrébine, pas particulièrement algérienne, du GICM marocain, au FIT tunisien jusqu’au JIGM libyen : « Tout ce qui se passe dans cette région nous intéresse au plus haut point car la France est impliquée dans cette sous-région (...) Le risque ce sont des groupes sahéliens, labellisés par le GSPC, qui sont susceptibles de passer à l’action ».

Son expérience dans le domaine antiterroriste en tant que premier vice-président du tribunal de grande instance de Paris lui permet d’affirmer qu’il n’y a pas de cellules d’Al-Qaïda en France, rebondissant sur les attentats du 11 mars à Madrid : « Personne n’est à l’abri d’attentats en France (...) En Espagne, la menace demeure l’ETA mais les connaissances espagnoles, comparées à nous, sont faibles quant à la connaissance des réseaux islamistes ». Ce constat est argumenté par le fait que pour le réseau Al-Qaïda : « La France est le pays à fuir.

Nos services ont une connaissance et une maîtrise parfaites du terrain, les SR sont parmi les meilleurs sur l’islamisme et je vous signale que la France n’est pas liée aux attentats du 11/09 » à l’inverse des cellules découvertes en Espagne ou en Allemagne. Même si le juge français n’était pas un inconnu dans le domaine de la lutte antiterroriste, s’attaquant aussi bien aux assassins de l’Iranien Chapour Bakhtiar qu’aux auteurs de l’attentat du DC-10 d’UTA au Tchad et au groupe français d’extrême gauche, Action Directe, c’est dans le domaine islamiste qu’il a acquis une renommée internationale. « J’ai passé deux mois dans un hôtel à Washington pour servir d’expert aux Américains sur l’affaire Ressam (Algérien arrêté avec des explosifs à la frontière américaine, NDLR). C’est surprenant qu’ils en savent si peu sur les réseaux islamistes », dira-t-il faussement naïf.

Mais les méthodes Bruguière n’ont pas nécessairement survécu au personnage. Que ce soit sur les procès des frères Chalabi, du RER Saint-Michel, du réseau algérien qui devait s’en prendre à la Coupe du monde 1998, le juge n’a pas obtenu les condamnations qu’il voulait. Il en est de même de la récente condamnation du membre d’Al-Qaïda, Djamel Beghal, qui vient d’écoper de 10 ans de prison, dont les avocats accusent Bruguière d’avoir monté de toutes pièces des accusations extorquées sous la torture. Icône médiatique, expéditif et débordé par des dossiers brûlants, Bruguière truste, avec les magistrats Ricard et Thiel du pool antiterroriste, les dossiers les plus « médiatiques ». Il en est ainsi du dossier du détournement de l’Airbus d’Air France à Alger que le magistrat n’a pas clos « faute de commanditaires » (faute de cadavres restitués selon la justice algérienne), ou celui des 7 moines de Tibherine qui est relancé. Boulimique de travail, le juge Bruguière a changé son fusil d’épaule et s’intéresse actuellement à deux filières qui montent en puissance : la Tchétchénie et l’Irak. « Toutes nos enquêtes nous mènent de plus en plus vers l’Asie du Sud-Est (Malaisie, Indonésie) mais aussi vers l’axe nord dont le Caucase et l’Irak », souligne-t-il avant d’ajouter que pour la France : « La connaissance de ces jeunes qui basculent est essentielle (...) L’Irak nous a fait changer de menaces, il est devenu un centre de recrutement avec une dynamique liée à Al Takfir ». Quarante minutes plus tard, le juge Bruguière s’excuse et prend congé.

Pour un juge dont on connaît le déficit pour le pardon, il consent, avec prudence, à livrer son sentiment sur l’amnistie algérienne tout en précisant que « c’est une affaire intérieure et de souveraineté » mais indique, toutefois, qu’il « faut manier l’amnistie avec beaucoup de prudence car certaines actions très graves sont difficilement pardonnables ». De quoi augmenter sa cote de sympathie au sein du GSPC.

Par Mounir B., quotidien-oran.com