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Journalistes français otages en Irak : La France unie pour leur libération

mardi 31 août 2004, par Hassiba

La France se montre unie et rassemblée pour la libération des otages français en Irak.

Responsables politiques de la majorité et de l’opposition, responsables musulmans laïcs et religieux, médias, organisations de défense des droits de l’homme, syndicats... font bloc derrière le gouvernement et le président de la République pour dire non au chantage des ravisseurs des deux journalistes, pour signifier que la loi sur l’interdiction du port de signes religieux ostentatoires dans les établissements scolaires publics qui sera appliquée dès la rentrée jeudi prochain, comme prévu, est une affaire de politique intérieure et que la laïcité n’est pas oppression d’une communauté religieuse quelle qu’elle soit.

Ce dernier message répété avec insistance tant par le président Chirac que par les responsables politiques est destiné à ceux qui, dans la communauté internationale, ont montré leur désapprobation au moment où la loi sur le port du voile à l’école était adoptée. « Devant ce chantage, je voudrais prier mes frères et sœurs musulmans de France à faire bloc avec la communauté nationale autour de nos pouvoirs publics pour qu’on trouve des solutions et que la communauté musulmane ne soit pas amalgamée en rien avec ces formes dévoyées de l’islam, qui pratiquent la barbarie, le chantage et la prise d’otages, qui sont indignes de l’Islam », a déclaré, inquiet, Dalil Boubaker sur France-Info. L’Armée islamique en Irak, groupe qui a revendiqué samedi soir les rapts de Christian Chesnot de Radio France et de Georges Malbrunot, travaillant notamment pour le quotidien Le Figaro, a donné à la France 48 heures pour qu’elle annule sa loi interdisant le port du voile islamique dans les écoles publiques. L’ultimatum devait expirer hier soir.

Appel « solennel et officiel »

La mobilisation pour la libération des deux journalistes s’est amplifiée : action diplomatique, déclarations publiques, rassemblements et manifestations de soutien dans toute la France...L’Elysée a indiqué que le président Chirac était hier matin à son bureau où il suivait d’heure en heure les développements de la situation et que le Premier ministre et les ministres lui rendaient compte des efforts déployés sur le terrain. Le secrétaire général du ministère français des Affaires étrangères, Hubert Colin de Verdière, est arrivé hier matin à Baghdad pour y renforcer l’action de l’ambassade de France en vue d’obtenir la libération des deux hommes. Le chef de la diplomatie française, Michel Barnier, se trouvait pour sa part en Egypte, avant de se rendre à Qatar pour essayer de mobiliser les pays arabes sur cette question. Le ministre n’a pas exclu de se rendre lui-même à Baghdad. Depuis Le Caire, Michel Barnier a lancé un appel « solennel et officiel » aux ravisseurs pour la libération des journalistes, assurant que l’Islam, deuxième religion en France, était pratiqué « librement, pleinement » par 5 millions de personnes dans ce pays. « Leur enlèvement (des journalistes, ndlr) est incompréhensible pour tous ceux qui savent que la France, patrie des droits de l’homme, est une terre de tolérance et de respect de l’autre. C’est la vérité de notre pays », a insisté le ministre, rappelant que les dignitaires musulmans en France ont également appelé à la libération des journalistes. Le président Jacques Chirac avait également lancé la veille un appel à leur libération lors d’une allocution radiotélévisée.

Les dirigeants de la majorité et de l’opposition, réunis hier autour du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin à Matignon, ont manifesté leur « unité » derrière le gouvernement. Dès dimanche, Jean-Pierre Raffarin avait appelé à « l’unité nationale » face à la crise des otages français. François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, François Bayrou, président de l’UDF, Marie-Georges Buffet, secrétaire national du Parti communiste, Jean-Claude Gaudin et François Baroin pour l’UMP ont été reçus pendant plus d’une heure par Jean-Pierre Raffarin à Matignon. Ils ont tous appelé à participer aux deux manifestations de soutien prévues dans la soirée, à quelques heures de l’expiration de l’ultimatum de l’Armée islamique d’Irak. A l’appel d’intellectuels musulmans, un cortège devait partir à 17h30 de la Maison de la radio et rejoindre le rassemblement prévu à 18h30 au Trocadéro, à l’initiative des présidents de l’Assemblée et du Sénat. « A travers cette réunion, il est important pour son image que la France, par la voix de ses formations politiques et de sa représentation nationale, ait affiché une très grande unité », a indiqué le secrétaire général délégué de l’UMP, François Baroin, à l’issue de cette rencontre de près d’une heure.

Au nom du Parti socialiste, François Hollande a souligné : « Quand il y a une question aussi essentielle que la vie ou la mort de deux hommes, Georges Malbrunot et Christian Chesnot, nous devons être absolument ensemble. Et lorsqu’il s’agit en plus de deux journalistes, c’est plus qu’une question de droits des personnes, c’est une question de droits de l’homme, de la liberté. Et enfin, quand il s’agit de la conception que nous avons de la République, nous sommes fiers d’être rassemblés. »

Pour sa part, François Bayrou (UDF) a déclaré que « chacun à sa place, nous avons décidé qu’il fallait se serrer les coudes pour montrer que la France était regroupée à la fois autour des otages et de leurs familles et des valeurs républicaines ».

Dans un entretien accordé dimanche dernier au Monde et publié hier, Mouzhar Al Douleïmi, président de la Ligue pour la défense des droits du peuple irakien, affirme avoir réussi à établir un contact avec le groupe de l’Armée islamique en Irak, qu’il a exhorté à « ne pas nuire aux deux journalistes et à les libérer en raison de la position honorable du gouvernement et du peuple français envers l’Irak ». Il assure qu’il a obtenu « un accord de principe » pour que soient épargnés Christian Chesnot et Georges Malbrunot.

Dans une interview également accordée dimanche au Monde ainsi qu’aux correspondants de plusieurs journaux étrangers, dont le Washington Post, le Sunday Times et le Corriere de la Serra, le Premier ministre irakien, Iyad Allaoui, estime que « la France ne sera pas épargnée » par le terrorisme. « Les gouvernements qui décident de rester sur la défensive seront les prochaines cibles des terroristes. Les attentats se produiront à Paris, à Nice, à Cannes ou à San Francisco », affirme-t-il. « Les Français, ainsi que tous les pays démocratiques, ne peuvent pas se contenter d’adopter une position passive. Les Américains, les Britanniques et les autres nations qui se battent en Irak ne se battent pas seulement pour protéger les Irakiens, ils se battent aussi pour protéger leur propre pays », souligne Iyad Allaoui.

Par ailleurs, le Conseil des ambassadeurs arabes à Paris a condamné avec la plus grande fermeté le rapt des deux journalistes français. Pour sa part, le président de l’Autorité palestinienne Yasser Arafat a appelé à la « libération immédiate » des deux journalistes, estimant que ces derniers « aident la cause irakienne et la cause palestinienne ».

L’Armée Islamique en Irak : Une nébuleuse rompue à la communication

Qu’est-ce que cette Armée islamique en Irak ? Qui sont réellement ses animateurs ? Quels sont les véritables desseins de ceux qui se cachent derrière ce qualificatif ? L’enlèvement des deux journalistes français serait-il accidentel et non délibéré ? Autant de questions qui, pour l’heure, restent sans réponse.

L’Armée islamique en Irak, groupe qui a revendiqué samedi soir l’enlèvement des deux journalistes, a donné à la France 48 heures pour qu’elle annule sa loi interdisant le port des signes religieux ostensibles dans les écoles publiques. C’est la première fois qu’un groupe armé revendique une action d’ordre interne, l’exigence de l’Armée islamique n’a rien à voir avec la situation en Irak. Il ne fait pas de doute que l’enlèvement de Christian Chesnot de Radio France et Georges Malbrunot, travaillant notamment pour le quotidien Le Figaro, n’est ni dans l’intérêt des Irakiens ni dans celui de la communauté musulmane de France, bien au contraire. Les réactions unanimes, fermes et sans équivoque des organisations religieuses et laïques des musulmans de France en attestent clairement lorsqu’elles affirment que la loi sur le port de signes religieux ostensibles à l’école est une affaire interne à la société française et qu’elles mettent en garde contre tout amalgame entre l’extrémisme religieux et l’Islam. Les représentants des musulmans de France ont unanimement condamné la prise d’otages, jugeant que la revendication nuisait à la communauté musulmane en France.

Désapprobation

Le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Dalil Boubakeur, a déclaré que « la communauté musulmane doit se démarquer de ces agissements condamnables par l’Islam et ne donner aucune réaction qui indiquerait que ces gens agissent dans son intérêt ». Quant aux Irakiens, aussi bien l’homme de la rue que les dirigeants politiques ou religieux, leur désapprobation est tout aussi éloquente. « Nous demandons aux ravisseurs de relâcher immédiatement les deux journalistes français. Nous sommes contre ces enlèvements. La France a défendu la cause de l’Irak avant la chute du régime de Saddam Hussein et après sa chute. Et nous ne voulons pas perdre une amie », a appelé cheikh Abdoul Sattar Abdoul Jabbar, l’un des principaux porte-parole du mouvement salafiste irakien.

Le comité des oulémas musulmans (sunnites) a demandé hier aux ravisseurs de libérer les deux otages français. « Nous sommes contre ces enlèvements, surtout quand il s’agit de journalistes, parce qu’ils sont notre voix en Irak. La France a défendu la cause de l’Irak avant la chute du régime de Saddam Hussein et après sa chute. Et nous ne voulons pas perdre une amie », a déclaré un membre de ce comité. Un groupe salafiste irakien, le comité Irchad wal Fatwa, a également appelé les ravisseurs des deux journalistes français à les libérer « en reconnaissance de la position de la France », opposée à l’intervention américaine dans ce pays. Ce groupe demande cependant au gouvernement français de « revoir sa décision sur le voile ». L’Armée islamique en Irak s’est fait connaître par le rapt suivi du meurtre filmé, la semaine dernière, du journaliste italien Enzo Baldoni. Ce groupuscule s’est illustré par une parfaite maîtrise de la communication. Selon certaines sources, à Paris, les membres de l’Armée islamique pourraient être proches d’Ayman Al Zawahiri, écrit Le Parisien, rappelant que le n°2 d’Al Qaîda, en février dernier, condamnait déjà la France qui venait d’adopter la loi interdisant le port de signes religieux à l’école. Selon les services spécialisés, cités par Le Parisien toujours, ce groupe n’aurait pas de lien direct avec Al Qaîda. Les experts évoquent notamment le mode opératoire qui a été utilisé pour tuer Enzo Baldoni : une balle dans la tête. Or les groupes islamistes liés à Abou Moussab Al Zarkaoui, considéré comme le nouvel homme fort d’Al Qaîda, ont décapité leurs victimes.

Pour une organisation apparue récemment sur le devant de la scène, l’Armée islamique en Irak ne manque pas de moyens, relève pour sa part Libération. Le quotidien note que c’est par un film de propagande, distribué discrètement en février dans les cercles salafistes de Baghdad, que cette milice sunnite a annoncé sa naissance. Et d’ajouter que « les autres factions armées, nationalistes ou religieuses se contentent généralement de punaiser une affichette à l’entrée des mosquées. Dans cette vidéo de bonne facture, le groupe, alors inconnu, se présentait déjà comme disposant d’une structure extrêmement hiérarchisée, composée de plusieurs “brigades” spécialisées (renseignements, infanterie, missiles), centralisées par un commandement général ».

Par Nadjia Bouzeghrane, elwatan.com