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L’Algérie attend toujours une politique de l’audiovisuel

dimanche 13 juin 2004, par Hassiba

La révolution de la technologie numérique en cours ne va pas sans susciter des résistances et oppositions, ce qui est tout à fait naturel pour toute chose nouvelle.

Mais le prix (en principe abordable) et la qualité (meilleure) du produit (son et image) ainsi que les services fournis doivent dissiper les appréhensions. Néanmoins, pour Les Brown, professeur au centre de communication à New York, l’âge numérique véhicule en lui « 7 péchés » qui sont à ses yeux : la création d’une inégalité et d’un fossé entre les pays développés et les pays sous-développés, une exploitation commerciale et un abus de l’information, une menace pour la vie privée, la désintégration de la communauté, la distorsion de la démocratie, la tyrannie des censeurs et, enfin, la perte des valeurs du service public et de la responsabilité sociale. Peut-être le professeur Les Brown a-t-il raison quelque part, compte tenu de certaines zones d’ombre qui persistent sur les conséquences des retombées sociales et morales quant à une application généralisée de la technologie numérique. Mais son « péché » à lui est de contester une technologie devenue une réalité incontournable et irréversible et qui est l’objet de grands enjeux économiques et politiques.

La bataille des normes

A titre de référence, la radiodiffusion numérique appelée Digital Audio Broadcasting (DAB) a développé la norme européenne Eureka 147 qui est déjà opérationnelle dans une bonne partie des pays d’Europe. L’enthousiasme qu’affichent les promoteurs du DAB table sur des prévisions encourageantes. Depuis 1997, plus de 100 millions d’auditeurs reçoivent les programmes numériques. A cet égard, EuroDAB constitue le support médiatique et politique approprié pour la promotion de cette norme en vue de la rendre mondiale. Une autre norme numérique encouragée par les Américains, appelée Digital Radio Mondiale (RDM), est mise en œuvre de même que les partisans de la norme « In Band on Channel » (IBOC) s’efforcent de l’introduire dans la bataille numérique. Le même scénario s’applique à la télévision où la norme européenne de radiodiffusion télévision, Digital Video Broadcasting ou Digital Versatile Broadcasting (DVB), a marqué de son empreinte le marché mondial face à la norme américaine Advanced Technical System Committee (ATSC) et Nippone Integrated System Digital Broadcasting (ISDB). Quant au reste du monde, vu la précarité des conditions sociales et économiques des pays qui ne sont pas détenteurs de technologie, leur seule alternative serait d’attendre « une banalisation » de cette technologie pour s’en servir.

Algérie : un retard injustifié

Cependant, l’Algérie, qui est loin d’être un pays sous-développé (du moins économiquement et culturellement) comme il est communément admis, accuse un retard injustifié dans le domaine de l’audiovisuel. Si, au niveau des télécommunications, le numérique a fait déjà sa percée dans les autoroutes à fibre optique (15 000 km environ), en revanche, dans l’audiovisuel, la démarche est, certes, graduelle mais loin d’atteindre sa vitesse de croisière. Bien plus, jusqu’à présent aucune politique de communication audiovisuelle n’a été mise en place ou encore discutée et élaborée depuis les assises des années 1990. Ce qui est lamentable, c’est que notre pays risque de se retrouver à la traîne. Les objectifs assignés par les pouvoirs publics d’accéder à la société de l’information risquent d’être un rêve illusoire car ils dépendent de la mise en place d’une politique de communication et d’information, gage de notre avenir. Contrairement aux ambitions et moyens disponibles, l’Algérie est malheureusement parmi les rares pays au monde (au regard de sa place géostratégique et son poids économique) qui disposent d’une seule entreprise publique de télévision. Ce retard va avoir des retombées négatives sur le processus d’application du projet démocratique. Si, par le passé, notre pays a longuement milité pour l’établissement du nouvel ordre mondial de l’information et de la communication (NOMIC), aujourd’hui son absence la place dans une position de faiblesse et de dépendance.

Fox News, BBC, TV5 et Star TV

A l’opposé, les grandes puissances non seulement ont adopté une nouvelle stratégie de communication mais elles imposent un ordre nouveau de communication à travers Fox News, BBC, TV5, Star TV de Rupert Murdoch et les chaînes allemandes de Kirch et Batersmann qui se partagent à elles seules le village planétaire. En revanche, les chaînes satellitaire arabes : Al Jazira, Al Arabiya, Abu Dhabi, El Manar et Nile TV s’efforcent de limiter les dégâts en essayant de « grignoter » quelques espaces de liberté. Pendant ce temps, les barons des médias ont installé un comité mondial pour le respect des normes de communication et d’information et tout manquement à ces règles entraînerait des mesures coercitives de censure et d’exclusion. En somme, on peut imaginer le retour de la pensée unique et des années de plomb cette fois-ci au nom de l’idéologie néo-libérale. Ainsi, les perspectives pour les pays du tiers monde sont sombres si aucune action concertée n’est prise pour atténuer les conséquences fâcheuses de ce qui convient d’appeler « le nouvel impérialisme audio-visuel et culturel ». En ce qui nous concerne, la démarche à suivre consiste à concevoir une politique de communication et d’information basée sur la satisfaction des besoins nationaux en tenant compte des spécificités culturelles et sociales du pays et aussi des paramètres régionaux et internationaux. A ce titre, le champ audiovisuel national tel qu’il est à l’heure actuelle nécessite une opération de « lifting » pour l’adapter aux exigences et données nouvelles. Sa réorganisation et son redéploiement sont plus qu’une urgence pour son efficacité et sa crédibilité. Entre les partisans d’un retour à l’ancienne organisation sous le parapluie « RTA », à l’image de la BBC et les partisans d’un groupe séparé Algérie Télévison et un groupe Radio d’Algérie (version française) la tendance va vers le maintien de l’état actuel mais avec un renforcement des attributions des deux groupes tant au plan éditorial que politique. Ainsi, l’établissement d’un cahier des charges révisé et corrigé et surtout son respect peuvent les prémunir contre toutes formes de pression et préserver leur indépendance. De même, il y a nécessité de réunir les conditions d’une compétition audiovisuelle saine à travers la création de chaînes privées de radio et de TV et qui ne constitue nullement une menace pour le service public de radiodiffusion si ses animateurs sont imprégnés de l’esprit de crédibilité et de professionnalisme.

Coopération technologique

Ainsi, la mise en place d’un paysage audiovisuel national pluriel serait un atout majeur pour redorer le blason de l’Algérie terni par plusieurs années de terreur et de terrorisme. C’est aussi un atout qui favorise la promotion de la coopération maghrébine, arabe et méditerranéenne et peut-être l’ébauche d’un nouvel espace commun et varié. Sur ce point, on est en droit de se poser la question : que peut-on faire au sein des unions professionnelles : l’Union de radiodiffusion arabe (ASBU), l’Union européenne (UER), l’Union des radios télévisions africaines (URTNA) et la Conférence des producteurs de l’audiovisuel en Méditerranée (OPEAM). En matière de technologie numérique, cette coopération, si elle est effective, se traduira par le lancement d’une panoplie de bouquets de programmes communs à la région par le biais de la technologie satellitaire (VSAT) à un prix abordable. Le VSAT (Very Small Aperture Terminal) est une station satellitaire qui permet une couverture limitée, mais elle peut-être intégrée à d’autres techniques pour les informations (Satellite News Gathering) où la transmission directe par satellite rend les programmes d’information plus crédibles des pays du tiers monde. Cela dit, la bataille de la communication audiovisuelle s’annonce ardue pour le futur, surtout pour la radio et les TV numériques où Européens, Japonais et Américains se livrent une guerre des normes, des prix, des produits et services.

Par Laïd Zaghlami, La Tribune