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L’assistance vidéo en débat

dimanche 24 avril 2005, par Stanislas

Certains joueurs et entraîneurs estiment que l’assistance vidéo est une évolution essentielle. Les arbitres pointent les risques.

Tout est prêt, sauf Sepp Blatter. Le président de la Fédération internationale de football (Fifa) est aujourd’hui la dernière digue contre l’irruption ­ que la plupart des acteurs savent inéluctable ­ de l’arbitrage assisté par vidéo, un serpent de mer opportunément sorti ces derniers jours puisqu’il importait de sauver la carrière internationale de Barthez et souligner insidieusement la faillibilité du 23e homme.

Déjà, la vidéo est utilisée a posteriori pour sanctionner un joueur dont le geste a échappé à l’arbitre, ou légitimer une suspension de terrain. Quant à l’assistance en direct, joueurs et entraîneurs s’en sont fait une religion depuis longtemps. « Ça devient important pour tout le monde, explique Guy Lacombe, coach du FC Sochaux. Je travaille beaucoup sur vidéo : dans la plupart des matchs, il y a des erreurs, des choses à revoir. » Le risque de dénaturer le jeu, brandi par la Fifa ? « C’est plutôt l’absence de vidéo qui le dénature, poursuit l’entraîneur. Moi, j’ai des gamins qui rechignent à prendre l’espace vers l’avant parce que les hors-jeu sont sifflés à tort et à travers. Quant à l’utilisation a posteriori, tout ce qui limite la violence ou la tricherie doit être encouragé. Certains terrains d’Europe étaient des coupe-gorge. La vidéo a quand même assaini l’atmosphère. »

Cas insolubles. Claude Colombo, arbitre international, participe déjà à une cellule de réflexion organisée sur le sujet par la Ligue, « parce qu’il faut sortir de l’approche Café du commerce ». Premières impressions. « Contrairement au basket ou au foot américain (où la vidéo fait partie des meubles, ndlr), le foot se joue en continu. Le ballon peut rester cinq minutes dans le champ : la vidéo peut soulever plus de questions qu’elle n’en résout. » Cas d’école : penalty non sifflé, le ballon repart à l’opposé du terrain et un joueur commet une agression qui mérite l’expulsion. Après étude de la vidéo, on revient au penalty. « Dans ces cas-là, on fait quoi avec l’expulsion ? On expulse le joueur, alors que le jeu s’est en réalité arrêté avant ? On efface la faute ? » Insoluble.

Deuxième point : la source. Concrètement, les actions seront jugées sur la foi des images télé. « Et ça fait longtemps que les médias ne peuvent plus être considérés comme une entité neutre, note Colombo. Canal + ou TF1 sont bien plus que des sponsors. » Les caméras sont partout : vestiaire, terrain d’entraînement, domicile des joueurs... Seul l’arbitrage résiste. Certains hommes en jaune voient clairement dans l’arrivée de l’arbitrage vidéo une tentative d’étendre encore le rayon d’action des télés. Jean-Charles Bideaux, réalisateur à Canal + sur les matchs de phase finale de Coupe du monde, analyse : « La première question que l’on se pose, c’est : "Est-ce que t’as l’image ?" Car on fournit de l’info. Le principe est quand même de considérer le terrain comme un espace public le temps d’un match. Il y a des faits que l’image peut établir : le franchissement des lignes, dont celle ­ mouvante ­ du hors-jeu. Pour les contacts (donc la notion même de faute, ndlr), je suis beaucoup plus réservé. Sans parler de l’interprétation : si on sanctionne une main intentionnelle, une image ne dit rien sur l’intention. »

Quelle est la nature exacte des images télé ? « Je dirais qu’elles sont "liquides", sans forme. On peut toujours escamoter ponctuellement un ralenti, la tendance est de tout montrer, de déclencher une sorte de flux qui prendra le sens que voudra bien en faire son utilisateur. »

« Carnaval ». Une sorte de test de Rorschach, à mille tranchants. « Il y a une grande naïveté à croire dans l’objectivité de l’image, explique Charles Tesson, professeur de cinéma à Paris-III et ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma. Moi, je distingue des choix. Entre l’arrivée de Canal et 2002, les retransmissions ont reposé sur la dialectique "filmer le jeu-filmer le joueur". Depuis trois ans, le joueur a pris le pas : son visage, ses réactions. Il faut montrer le carnaval psychologique. » En cas d’assistance vidéo, les arbitres seraient ainsi orientés sur les comportements plutôt que sur les faits. « Surtout, l’arbitre suit un scénario défini par lui ; en fonction des faits mais aussi de l’état d’esprit de tel ou tel joueur. » L’assistance vidéo, c’est un deuxième metteur en scène. Dans un car régie.

Par Grégory SCHNEIDER, liberation.fr