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La Chine reçoit le taïwanais Lien Chan

samedi 30 avril 2005, par nassim

Les deux chefs des deux vieux partis ennemis se sont longuement serré la main devant les caméras de télévision immortalisant en direct depuis le Palais du peuple, place Tiananmen (Chine), cette rencontre qualifiée à Pékin d’"historique".

C’est en effet

Hu Jintao (d) et Lien Chan (g).

la première fois depuis la victoire des troupes de Mao Zedong, en 1949, qu’un chef du Parti communiste chinois s’entretient avec celui du Kouomintang (KMT), le parti de feu Tchang Kaï-chek, qui se réfugia à Taïwan avec son armée à la fin de la guerre civile. La poignée de main échangée avec ostentation entre Hu Jintao, président de la République populaire de Chine et chef du Parti communiste, et Lien Chan, président du KMT qui régna sur Taïwan jusqu’en l’an 2000, ne risque pas de décrisper notablement des relations plus que tendues entre l’île "rebelle" et le continent, le KMT n’étant plus au pouvoir à Taïpeh depuis cinq ans.

M. Lien n’était pas mandaté par l’actuel président de l’île, Chen Shui-bian, qui est régulièrement tancé par Pékin pour ses velléités "séparatistes" . Les plus radicaux de la mouvance dite "indépendantiste" représentée par M. Chen, qui reste par ailleurs très prudent, souhaiteraient déclarer l’indépendance formelle d’un territoire qui jouit d’une souveraineté de facto depuis 1949. Un casus belli pour Pékin. L’ironie de ce voyage est bien que le Kouomintang, jadis adversaire acharné des communistes, joue désormais la carte de la Chine continentale, tandis qu’il est malmené à l’intérieur de son île par une partie de l’opinion au moment où l’on assiste à une montée en puissance des partisans de l’"identité" taïwanaise.

ARRIÈRE-PENSÉES

La portée symbolique de cette visite, baptisée un "voyage pour la paix" , est cependant indéniable, même si elle cache mal les arrière-pensées et de la Chine et du KMT. Quelques semaines après l’adoption par Pékin d’une Loi antisécession prévoyant le recours à la force armée contre Taïwan au cas où cette dernière déclarerait son indépendance, pourquoi Pékin et le KMT ont-ils organisé ce voyage ultra- médiatisé qui vient de mener M. Lien de Nankin à Xian, sa ville natale, en passant par la capitale ? L’indépendance de son île, Lien Chan n’en veut pas et reste accroché au principe historique d’"une seule Chine" . "La position commune des deux parties est de s’opposer à l’indépendance de Taïwan" , a indiqué un porte-parole du KMT.

Lors d’une conférence de presse, M. Lien a rappelé qu’il était à Pékin en qualité de responsable d’un parti d’opposition, même si les "relations entre les deux côtés du détroit -de Formose sont- une question de prospérité pour tous les Taïwanais" . Auparavant, il s’était plaint auprès du chef de l’Etat chinois que le fameux concept d’"une seule Chine" avait été "dénaturé" par le président taïwanais. Si M. Lien Chan cherche à engranger des dividendes politiques par cette initiative, Pékin, pour sa part, veut à la fois marginaliser le président Chen Shui-bian et montrer au reste du monde une figure plus apaisante que ne l’a suggéré sa loi antisécession.

Les élections législatives de décembre, au cours desquels le Kouomintang et ses alliés ont réussi à garder la majorité à l’Assemblée nationale, montre que l’avenir du parti de Tchang Kaï-chek n’est pas forcément derrière lui. Le porte- parole du KMT a précisé que le PCC et le KMT se sont mis d’accord pour renouer le dialogue, y compris des discussions visant à "mettre fin à l’Etat de guerre et d’arriver à un accord de paix" .

RELATIONS DÉTÉRIORÉES

Les dernières discussions quasi officielles entre Taïwan et la Chine datent en fait du temps où le KMT était encore au pouvoir dans l’île : c’est en 1993 à Singapour que le représentant taïwanais de la Fondation pour les échanges entre le détroit, Koo Chen-fu, rencontra son homologue chinois Wang Daohan, responsable de l’Association pour les relations entre le détroit de Taïwan, créée par Pékin. Mais en 1995, la visite aux Etats-Unis de Lee Teng-hui, alors chef de l’Etat taïwanais, devait mettre fin à l’ébauche de ce dialogue, Pékin s’indignant que le président d’un territoire "rebelle" puisse être reçu aux Etats-Unis, même à titre privé, et conduire à une première crise dans le détroit.

Depuis ­ et surtout après ­ l’arrivée au pouvoir à Taïwan du Parti démocratique du peuple (DPP) du président Chen, les relations sino-taïwanaises n’ont fait que se détériorer. Voulant apparaître comme un faiseur de paix, Lien Chan avait déclaré avant de s’envoler pour la Chine : "Le Kouomintang et le Parti communiste chinois se sont affrontés par le passé. Mais les relations de part et d’autre du détroit ne devraient pas être figées dans un esprit de guerre civile."

Le gouvernement taïwanais, pour sa part, s’est dit "déçu que la Chine n’ait pas montré la plus légère trace de sincérité" pour améliorer les relations de part et d’autre du détroit.

Par Bruno Philip, lemonde.fr