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La Russie de Vladimir Poutine

mercredi 16 mars 2005, par nassim

Depuis son arrivée au pouvoir, l’ancien officier du KGB, Vladimir Poutine, tente d’imposer sa vision de la Russie aux siens et au monde.

Dans les années 1920 et 1930, les aspirants cadres du PC chinois allaient à Moscou prendre des leçons de politique et d’économie. Aujourd’hui, les gouvernants russes devraient faire le voyage de Pékin. Ils pourraient y apprendre la "gouvernance", comme l’on dit maintenant, d’un Etat fort dans une économie libérale. Si Vladimir Poutine aspire à copier le modèle chinois, lui et son équipe sont bien loin d’avoir l’habileté des dirigeants pékinois.

Tandis que le gouvernement de la Chine fait, année après année, l’admiration des investisseurs occidentaux, celui de la Russie les a déçus. M. Poutine volait il y a deux ans de succès en succès : il accuse aujourd’hui des revers diplomatiques, politiques et sociaux. Les milieux d’affaires internationaux passaient sur ses méthodes héritées du KGB et refusaient de voir ses atrocités en Tchétchénie : c’est fini. Poutine n’a plus la cote à leurs yeux. The Economist (9 décembre 2004) résume : "La conclusion est incontournable. Loin d’être un réformateur politique et économique qui gère une démocratie hésitante mais réelle, M. Poutine est devenu un obstacle au changement dans une autocratie mal gouvernée."

ANARCHIE

Quel échec ! A son arrivée au Kremlin, en 2000, le successeur de Boris Eltsine bénéficie de la bienveillance des milieux internationaux. Ils admettent s’être trompés : la fin du socialisme ne débouche spontanément pas sur la démocratie et le capitalisme, mais plutôt sur l’anarchie et la régression économique et sociale. Ils attendent donc de M. Poutine qu’il rétablisse l’Etat de droit, qu’il s’engage dans une remise en ordre économique où la démocratie pourra prendre racine.

Le nouveau pouvoir fait rentrer les impôts dans les caisses, freine les dépenses budgétaires et engage la lutte contre l’inflation. La dévaluation du rouble de 1998 et la montée du prix du pétrole poussent l’activité : le PIB, qui s’effondrait depuis dix ans, remonte, pour croître en moyenne de 6,7 % par an.

Les capitaux reviennent. Le taux de chômage (officiel) recule de 13 % à 8 % de 1998 à 2003. La fraction de la population dans l’extrême pauvreté se réduit d’un tiers. La sortie de crise est "plus rapide et plus soutenue que la plupart des observateurs ne le jugeaient possible", note l’OCDE ("Synthèses", juillet 2004). "L’évolution de la Russie a surpris les sceptiques", ajoute l’organisation. A l’intérieur, les Russes retrouvent la fierté.

"MALÉDICTION" DU PÉTROLE ?

Puis tout se délite. Est-ce la "malédiction" du pétrole, qui ici comme souvent dans le monde arabe ou africain offre de telles richesses qu’il conduit à la corruption et au gâchis ? Est-ce à mettre sur le compte du caractère dictatorial de Vladimir Poutine qui prendrait le dessus ? La mise au pas concomitante de l’opposition politique et de la presse le laisse penser. En tout cas, l’équipe du Kremlin aligne depuis un an les bévues.

Ioukos est la première et la plus importante. Que le pays veuille remettre la main sur ses ressources naturelles vendues à vil prix à de jeunes oligarques sous Eltsine, quoi de plus légitime ? La Chine conserve toute forme d’industrie stratégique dans ses mains nationales étroitement serrées. Mais tout est dans la manière : au lieu d’afficher clairement sa volonté de renationaliser - "ce que tout le monde aurait compris", confie un banquier de Londres -, le Kremlin a mis brutalement à son service les forces policières, fiscales et judiciaires. Il engendrait, ce faisant, les critiques sur son durcissement autocratique et ouvrait la porte à un conflit juridique infini et coûteux.

La tactique choisie pour faire "rendre gorge" au patron de Ioukos, Mikhaïl Khodorkovski, est incompréhensible. Elle consiste à s’attaquer par la force à une propriété privée pour aboutir à un rachat forcé par Gazprom, géant du gaz qui est en partie privatisé et qui a besoin de 100 milliards de dollars d’investissements étrangers pour se moderniser. Peut-on en même temps faire peur aux étrangers et les attirer ? Le Kremlin s’en rend compte, et il ajoute maladresse sur maladresse, jusqu’à la farce d’une mise aux enchères truquées. Il ne récolte que confusion et incertitudes. Les capitaux russes sortent, et ils ne rentrent plus que sous le couvert d’une nationalité étrangère. Toute la politique énergétique russe est en question, le Kremlin ne sait plus où il en est, et la production de brut stagne depuis six mois. Inquiétant pour une économie dont la dépendance envers ses matières premières est complète.

MANIFESTATIONS

Le pouvoir s’est également pris les pieds dans le tapis avec la réforme des avantages sociaux. Plus de 40 millions de Russes - retraités, invalides, liquidateurs de Tchernobyl... - bénéficient de soins gratuits et d’un droit au transport. Que le pouvoir veuille remettre en question ce système hérité du passé soviétique est compréhensible. Mais, là encore, tout est affaire de méthode. Une loi est passée pour offrir une compensation en numéraire. Mais celle-ci, quand elle est effectivement distribuée, est bien inférieure aux avantages supprimés. Les manifestations s’enchaînent alors jusqu’à ce que Poutine recule. La bévue lui coûte cher en popularité.

Ces deux erreurs ne sont pas les seules : les capacités de "gouvernance" du Kremlin sont ouvertement mises en cause (Le Monde du 16 février). L’Etat se veut fort, mais ses services sont largement frappés par la corruption et par l’incompétence. C’est le "paradoxe autoritaire", comme le décrit Charles Grant (Bulletin du Center for European Reform, n° 38). M. Poutine, qui veut un Etat fort, devrait accélérer les réformes pour redonner de l’efficacité aux institutions publiques. Or il fait le contraire. L’OCDE dénonce : "Sans amélioration substantielle de la probité, de l’efficience et de la transparence des tribunaux et de l’administration, l’Etat continuera à freiner la croissance."

Les investisseurs internationaux viennent encore, mais non sans garanties. Au sein du gouvernement, une bataille de clans s’est engagée sur ce qu’il faut faire, sans qu’une seule des idées soit forte. La Russie tire profit du pétrole, mais se cherche une stratégie. L’objectif de Vladimir Poutine de doubler le PIB du pays avant 2012 ne sera pas atteint. La Chine, elle, devrait y parvenir.

Par Eric Le Boucher, lemonde.fr