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Le quotidien des jeunes SDF en Algérie

samedi 30 avril 2005, par Stanislas

Mohamed, Omar, Ali, Samir...des jeunes SDF, des jeunes oubliés de l’Algérie, qui ont basculé dans le monde de la déchéance, du néant et de la marginalisation.

Le quotidien d’un jeune SDF en Algérie.

Eux, ce sont les exclus de la société, ceux qui n’ont pas droit au rêve, aux projets, à l’espoir. Eux, ce sont ceux qui se font plus ou moins discrets le jour pour « s’éclater « à leur manière la nuit. Des tranches de vie les unes aussi bouleversantes que les autres. Des destins singuliers et imprévisibles. Ce sont les sans domicile fixe (SDF) qui se sont retrouvés, par cet état de fait, empêtrés dans les filets de la délinquance, de la débauche et du désespoir, et pour lesquels le groupement de la gendarmerie d’Alger a décidé de consacrer une cellule de lutte contre ce phénomène, et ce, en concertation avec les services de la sûreté de la wilaya et en collaboration avec la Fondation des droits de l’enfant et de l’adolescent.

Une première qui vise la réinsertion sociale de cette frange de la population en extrême difficulté. C’est aussi une expérience que la gendarmerie souhaite généraliser au reste du territoire national. La méthode consiste, nous explique-t-on, à convaincre les concernés à se soustraire du milieu dans lequel ils s’enfoncent chaque jour, à travers la présence d’une psychologue qui s’échine à trouver les mots qu’il faut pour réussir ce pari.

Une tâche délicate à première vue. Mercredi soir, la presse nationale a été conviée par la gendarmerie pour une tournée nocturne à travers les différents quartiers de la capitale réputés pour être les « refuges » des jeunes délinquants. Premier lieu à être visité, le Jardin de l’horloge florale, à proximité de l’hôtel Albert-1er, en plein cœur d’Alger. Aux abords de ce lieu de détente et de ressourcement, une crevasse sur le sol dont on ne soupçonnerait pas qu’elle puisse cacher la demeure d’un jeune SDF. Ce dernier étant absent, le président de l’association, M. Nacer Dib, nous conseille de revenir plus tard lorsque « le maître des lieux » sera de retour. C’est dire qu’avant 22 h, il y a peu de chances de retrouver ces personnes dans leurs caches ».

Un training attire notre attention et témoigne de la présence de ce dernier. Ils sont plusieurs, en fait, à partager cet espace de fortune, nous dit-on. Le lieu est si fréquenté qu’il a fini par être baptisé « Le jardin des menottes ». Prochaine étape, le marché Meissonnier. Plus précisément devant le dépotoir d’ordures de ce dernier ou viennent « s’approvisionner » quelques délinquants. Nous trouvons l’un d’eux assis sur les marches de l’entrée cadenassée. Mohamed est âgé d’une vingtaine d’années. Il semble a priori surpris par l’arrivée brusque de toute cette armada de journalistes et de photographes, de gendarmes et de policiers dont la présence finit par ameuter les quelques noctambules du quartier. Le président de la fondation engage une conversation avec le jeune et tente de tirer des renseignements sur les motifs de sa présence dans les lieux.

Mohamed est accusé d’être l’auteur d’un vol. « La police est venue m’interroger au sujet de l’affaire alors que la veille même, je sortais de prison. Cela ne peut pas se faire ! La police ne travaille-t-elle pas avec les empreintes digitales ? Nous sommes à l’ère de la technologie et de l’outil informatique que je sache ! » Le niveau de Mohamed nous surprend. Il nous montre un large pansement au ventre. Au cours d’une altercation avec d’autres jeunes, il s’est donné un coup de couteau sans s’en rendre compte tant il était sous l’emprise de l’alcool et des psychotropes. Dans le quartier populaire de Belouizdad, seuls les habitants savent peut-être que les décombres du cinéma Roxy servent de gîte à deux jeunes délinquants qui ont aménagé une chambre à coucher à l’étage supérieur.

Deux jeunes qui trouvent chacun son réconfort dans le malheur de l’autre. L’un d’eux semble ne pas se remettre d’avoir dû interrompre son séjour de deux ans en Espagne. Il le dit dans la langue de... Cervantès. Au port d’Alger où nous allons par la suite, le spectacle est insoutenable. Plusieurs jeunes délinquants rôdent dans les parages. Tous en état d’ébriété, de semi-inconscience due à la prise de neuroleptiques ou à l’inhalation de sachets imbibés de colle. Une baraque en tôle a été transformée en chambre pour dormir. On y trouve deux semblants de lits. L’un est occupé par un jeune et son... chien. Le lieu est insalubre, infecte. L’air y est irrespirable. Les habitués du coin se rassemblent à la vue des « intrus » que nous semblons être à leurs yeux.

Sachets de colle en main, chacun est plus « défoncé » que l’autre. Ali, la vingtaine, ne veut pas s’arrêter de chanter le répertoire de cheb Khaled. « Si je ne vais pas demain à son concert, je commets un crime ! » nous lance-t-il. Du haut de ses 17 ans, Samir a l’air de n’en avoir que 12 ou 13. Il habite Belouizdad et rend, de temps à autre, visite à ses parents. Il préfère passer la plupart de son temps avec sa bande qu’il fréquente depuis 7 ans. Quand on lui demande les raisons de son attitude, il se contente de répondre ainsi : « Les problèmes ! » Un mot qui unit chacune des vies de ces jeunes délinquants qui ne croient plus en rien mais qui, tout au fond d’eux-mêmes, ont désespérément besoin de croire en quelque chose...

Par Mekioussa Chekir, jeune-independant.com