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Les interminables conditions de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne

mardi 21 décembre 2004, par Hassiba

Les conférences de presse à Bruxelles se déroulent dans un décor sobre dont l’objet central est évidemment le traditionnel drapeau étoilé. En cette période de fêtes de fin d’année, la salle choisie pour annoncer les prochaines négociations avec la Turquie était ornée d’une décoration peu officielle mais très symbolique : des sapins de Noël.

Les plus pointilleux diront que le sapin est une tradition païenne symbolisant la puissance. Cette précision a beau être juste, il n’en demeure pas moins que depuis le XIXème, le sapin est complètement assimilé à la célébration de la naissance de Jésus-Christ. Avec ce type de messages, peut-on imaginer que l’Union européenne sera un jour un ensemble défendant des valeurs universelles, cosmopolites, humanistes et multiconfessionnelles ? La future Constitution européenne l’affirme sans aucun doute, mais la réponse définitive, confirmant ou démentant cette affirmation, devra attendre 10, 15 ou 20 ans.

3 octobre 2005. C’est la date choisie par les dirigeants de l’Union européenne pour ouvrir des négociations d’adhésion avec la Turquie qui a accepté les conditions de Bruxelles. De longues négociations devront durer entre 15 et 20 ans pour, peut-être, aboutir à l’intégration d’Ankara au sein de l’UE. Les Européens sont clairs, aucune garantie n’est donnée. Cela dit, cette annonce n’est pas en soi une surprise.En effet, lors de son dernier rapport, la Commission avait émis un avis favorable. Ainsi a-t-elle, le 6 octobre dernier, recommandé aux chefs d’Etat et de gouvernement d’ouvrir des négociations avec la Turquie en vue de son adhésion à l’Union européenne.

Dans son rapport, la Commission a estimé que la Turquie satisfaisait suffisamment aux critères politiques de Copenhague, fixés en 1993 pour l’ensemble des pays candidats. - Le critère politique : la présence d’institutions stables garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l’Homme, le respect des minorités et leur protection.- Le critère économique : l’existence d’une économie de marché viable ainsi que la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l’intérieur de l’Union.- Le critère de la reprise de l’acquis communautaire : la capacité du pays candidat de souscrire aux objectifs de l’Union politique, économique et monétaire.Mais la Turquie n’est pas un candidat comme les autres. La Turquie fait peur. Combien de fois a-t-on rappelé que ce pays compte actuellement 71 millions d’habitants, ce chiffre devant être porté à 80 ou 85 millions au cours des vingt prochaines années (selon les courbes d’évolution démographiques les plus probables) ? L’Etat membre le plus peuplé de l’Union est actuellement l’Allemagne, dont la population, aujourd’hui de 83 millions d’habitants, devrait être ramenée à 80 millions à l’horizon 2020. Le fait de satisfaire les critères politiques de Copenhague ne suffit pas. Le bémol est perceptible à deux niveaux.

Le premier concerne les engagements que la Turquie devra remplir, à savoir la reconnaissance publique de la République de Chypre et celle du génocide arménien. « On ne peut pas entrer dans une famille sans reconnaître l’un de ses membres », a justifié le chef du gouvernement italien Silvio Berlusconi. La république grecque de Chypre est membre de l’Union européenne, contrairement à la partie nord-est occupée par les troupes turques -30 000 soldats- depuis 1974. Elle devra également remplir les obligations liées à l’accord d’association et à l’union douanière avec l’UE. Quelques réserves ont été émises. Elles concernent l’égalité hommes-femmes, la protection des minorités et les libertés civiles et religieuses. De plus, l’adhésion de la Turquie ne pourra intervenir qu’à partir de 2014, après l’expiration des perspectives financières pour la période 2007-2013, en cours de négociation. Le second niveau relève de la partie européenne et se rapporte à la mise en place d’un mécanisme de suspension des négociations en cas de violation flagrante des critères de Copenhague. Suspension qui serait décidée par un vote à la majorité qualifiée du Conseil européen sur recommandation de la Commission. La Commission a maintenu une compétence déjà existante, celle qui permet à chaque Etat-membre de décider souverainement d’interrompre les négociations. Le général de Gaulle l’avait fait en 1963 et en 1967 pour la Grande-Bretagne.

Les arguments favorables

La Commission a encouragé cette adhésion en estimant qu’elle offrirait d’« importantes perspectives » tant à la Turquie, à l’UE, qu’aux voisins asiatiques de la première. Ainsi Ankara servirait-elle d’exemple au reste du monde musulman et enverrait-elle un signal en direction des 15 millions de musulmans vivant dans l’UE. Sur le plan économique, relevons que la Turquie a atteint une économie performante. Entre 1995 et 2002, sur 78 Etats, la Turquie est au 9ème rang en termes d’exportations, 7ème rang en termes de performances commerciales, 7ème en termes de compétitivité, devancée par la Pologne et la Hongrie en Europe. A son tour, le Parlement européen s’est prononcé le 15 décembre sur la question de l’adhésion de la Turquie. Les députés européens ont adopté une résolution soulignant les progrès en matière de respect des critères politiques, qui permettent d’ouvrir les négociations d’adhésion. Les droits des minorités, la liberté de culte, les droits syndicaux, les droits des femmes, le rôle de l’armée, Chypre et les relations avec l’Arménie sont les éléments sur lesquels le Parlement a attiré l’attention et appelé à la vigilance. Sur le plan légal, aucun argument n’empêche la Turquie d’adhérer à l’Union européenne. Ainsi le préambule de la Constitution ne fait-il aucune allusion religieuse ou civilisationnelle précise, se contentant de se référer aux « héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe ». La chrétienté n’est donc pas mentionnée malgré la demande de plusieurs pays de l’Union, dont la Pologne et l’Italie.

Selon l’article 1-1 du projet de traité de Constitution, « l’Union est ouverte à tous les Etats européens qui respectent ses valeurs et qui s’engagent à les promouvoir en commun ». Deux critères sont donc imposés : le premier est d’ordre géographique, le second est d’ordre politique ou idéologique. Le Traité de Rome prévoyait la constitution d’une union d’Etats européens avant tout fondée sur le partage de valeurs communes. Plus tard, plusieurs articles de la future Constitution énuméreront précisément ce que sont les valeurs européennes. Cependant, aucune définition géographique de l’Europe n’est donnée et ne l’a jamais été depuis le début de la construction européenne. L’histoire est-elle susceptible de combler ce déficit ? Ainsi que le souligne Tobias Troll, l’empire ottoman a toujours été partie intégrante de la communauté de culture européenne. Preuve en est les savants musulmans qui ont transmis à l’Europe médiévale la philosophie antique et les fondements de la médecine moderne.Depuis 1949, la Turquie siège au Conseil de l’Europe. Elle est membre de l’OTAN depuis 1952, en coopération étroite avec la Communauté économique européenne depuis 1959, de l’OCDE depuis 1961, est associée à l’Union européenne depuis 1963 et a accédé au statut de membre associé de l’Union de l’Europe occidentale en 1992. Dans le domaine culturel, elle est membre de la Ligue européenne de football, l’UEFA, participe à l’Eurovision et est rattachée à l’UE par une diaspora de 3,3 millions de Turcs. Depuis que la Turquie est officiellement candidate à l’intégration, le gouvernement d’Ankara a, en mars 2001, adopté le Programme national turc en vue de l’adoption de la législation communautaire. En septembre de la même année, le Parlement turc a adopté plus de30 amendements à la Constitution afin de rendre possible le respect des critères politiques de Copenhague. Presque un an plus tard, des mesures ont été prises en matière de législation relative aux droits de l’Homme. En mars 2004, le Conseil de l’Europe recommandait de mettre fin à la surveillance de la Turquie.

Les alliés de la Turquie

Les principaux soutiens à la candidature turque sont l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Espagne et l’Italie. La France, l’Autriche, les Pays-Bas et la Suède sont parmi les pays réservés et plusieurs nouveaux Etats membres s’opposent à ce qu’une date soit fixée pour l’entrée de la Turquie. L’Allemagne, pour commencer, constitue le principal partenaire économique et commercial d’Ankara. Le volume des échanges bilatéraux, d’une valeur annuelle de 14 milliards d’euros, a plus que doublé au cours des dix dernières années. Près de 14% des exportations turques sont absorbées par le marché allemand, tandis que 17% des exportations allemandes prennent la direction de la Turquie. Près de 1 100 entreprises allemandes sont aujourd’hui établies en Turquie, et plus de 3 millions de touristes allemands visitent la Turquie chaque année. Sur les 2,5 millions de Turcs vivant en Allemagne, 600 000 ont déjà obtenu la citoyenneté allemande. Le Royaume-Uni estime que l’Union européenne doit prouver que le pluralisme et la tolérance ne sont pas des valeurs limitées à la sphère judéo-chrétienne. « Nous devons remplir nos engagements à l’égard de la Turquie [...] Nous devons clairement indiquer que la Turquie sera traitée comme n’importe quel autre candidat », déclarait Jack Straw en mars 2004. Selon lui, l’UE « bénéficierait énormément de l’intégration d’un pays doté d’un tel potentiel -un allié essentiel, membre de l’OTAN et se situant au carrefour des Balkans, du Moyen-Orient et du Caucase ». Relevons que Londres et Ankara sont d’importants partenaires commerciaux. En 2002, le Royaume-Uni était la 3ème destination des exportations turques et la 6ème source d’importations d’Ankara.

Par Louisa Aït Hamadouche, latribune-online.com