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Terreur et répression dans les Aurès à Tkout

mardi 18 mai 2004, par Hassiba

Une répression des temps coloniaux s’abat dans les Aurès à Tkout depuis vendredi dernier.

Hier matin, quelque 120 citoyens, dont des délégués, ont été arrêtés et la ville quadrillée par des cordons de gendarmes, de CNS et de gardes mobiles qui sèment la terreur en ville. Les commerçants, qui ont baissé rideau hier à l’appel de la grève générale, ont reçu un ultimatum jusqu’à aujourd’hui dans la matinée sous peine d’un véritable ratissage. « Les citoyens et délégués du mouvement des aârouch de Batna ont été mis dans la cour de l’ancienne prison coloniale devenue siège du groupement de gendarmerie. Ils dorment sur du gravier, à peine vêtus d’un bermuda, et on interdit à leur famille de leur apporter de la nourriture. Certains ont été contraints de rester nus », nous a déclaré un des trois délégués en fuite qui se sont présentés à notre rédaction hier en fin de journée. L’un d’eux a même essayé de prendre des nouvelles de Selim Yezza, l’un des délégués les plus représentatifs du mouvement citoyen de la région.

Sa mère, âgée d’une soixante d’années, répondit par bribes au téléphone car les habitants ont peur de communiquer par crainte des représailles : « Les gendarmes ont perquisitionné la maison tout en proférant des insultes. Ils ont pris tous les documents de mon fils. Je n’ai plus de ses nouvelles. » Depuis vendredi, les prisonniers n’ont pas eu droit aux visites familiales, et ce n’est que depuis hier qu’un médecin leur a été dépêché suite aux sévices qu’on leur a fait subir dans la cour de la prison. Certains, à force de dormir sur des cailloux et dans le froid vif de cette région, ont le corps endolori. D’autres, qui tentent de résister, ne peuvent plus tenir debout et font face à la matraque. Hier, 18 autres parmi les prisonniers ont été présentés devant le tribunal d’Arris. « Nos autres camarades sont en fuite. Scindés en deux groupes, ils ont fui dans les maquis. On est resté sans nouvelles. L’un, selon les informations recueillies auprès du groupe des camarades de Selim Yezza, est composé de 25 à 30 personnes et le deuxième de 40 à 50. Ils sont, pour la plupart, des membres actifs du mouvement citoyen de la région. Ils ne peuvent pas rentrer dans leur village. » Mais pourront-ils résister au froid et à la faim ? Les forces de la répression sont décidées à les avoir à l’usure.

Beaucoup d’entre eux, selon les informations recueillies auprès du délégué de la CADC, Belaid Abrika, sont soumis à de rudes épreuves ; ils ne peuvent plus résister à la faim et au froid et sont décidés à affronter la répression plutôt que la fuite dans les maquis. Pour Selim Yezza et un autre de ses camarades délégués, Abderrezak, ce n’est pas sûr car la traque les concerne en premier chef. « Ils veulent les avoir à tout prix au moment où le pouvoir accorde sa grâce aux terroristes au nom de la réconciliation nationale », nous dit un de nos interlocuteurs. Ce dernier précise qu’un groupe de sages, composé d’environ 150 personnes, en majorité des anciens combattants de la guerre de libération, a tenté de s’approcher du groupement de gendarmerie pour demander leur libération. Rien n’y fit, et ils ont été repoussés comme des malappris. Toute réunion leur est désormais interdite et aucun regroupement, même de deux personnes en ville, n’est permis. Hier encore, un militant du Mouvement social et démocratique (MDS) a été arrêté en pleine nuit, alors qu’il distribuait et affichait des tracts. La plaque indiquant en tamazight l’entrée de la ville a été arrachée par les gardes mobiles qui sévissent plus durement contre la population. Les maisons sont fermées comme au temps des opérations des descentes de l’armée française. Il n’est pas exagéré de le dire puisque même le P/APC de la ville a donné son accord pour l’envoi des renforts des forces de répression. Ce dernier, voyant la situation se détériorer, a tenté de présenter ses excuses auprès du comité des sages qui l’ont mis en quarantaine.

On apprend que certains délégués en fuite, éparpillés entre Alger et Batna, tiennent une réunion secrète dans la capitale des Aurès pour décider des actions à entreprendre face à ce climat de terreur. Personne n’ose en parler. Les délégués qui nous ont rendu visite hier en fin d’après-midi au journal insistent : « Nous sommes un mouvement pacifique, c’est le pouvoir qui nous pourchasse. Nous voulons que l’assassin de notre jeune camarade de Taghit passe en justice et soit condamné. Nous exigeons la libération immédiate des délégués du mouvement citoyen. »

Par Rachid Mokhtari, Le Matin