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Algérie : Vers un code de la famille plus favorable aux femmes

mardi 28 septembre 2004, par Hassiba

L’Algérie s’apprête à adopter un code de la famille plus favorable aux femmes algériennes malgré la forte opposition des intégristes islamistes.

A défaut d’être supprimé, le code algérien de la famille - dénoncé comme "code de l’infamie" par des associations féminines - va être profondément modifié dans un sens plus favorable à la femme, désormais considérée, dans plusieurs domaines, comme l’égale de l’homme. Le jour du mariage civil, en particulier, le consentement du père de la future épouse ne sera plus obligatoire.

Adopté au cours de l’été en conseil du gouvernement, présidé par le premier ministre Ahmed Ouyahia, le texte attend d’être présenté en conseil des ministres. Il le sera "en temps voulu", a déclaré, le 20 septembre, le ministre de la justice, pour couper court à des rumeurs sur un abandon possible du projet de réforme en raison de l’hostilité des milieux conservateurs. Inspiré de la religion musulmane, le texte qui régit aujourd’hui les rapports au sein de la famille est entré en vigueur en 1984, sous la présidence de Chadli Benjedid. En retrait par rapport à la législation en vigueur à l’époque, il consacre l’inégalité au sein du couple, presque toujours au profit de l’époux, en contradiction avec la Constitution algérienne, qui pose le principe de l’égalité des sexes.

Le nouveau texte, promis par le candidat Bouteflika en 1999, est le fruit d’une réflexion de plusieurs mois menée par un groupe de travail sous l’égide du ministère de la justice. Des personnalités féminines, des associations proches des milieux islamiques étaient représentées au sein de la commission, qui a travaillé dans une grande discrétion. Le résultat tient en un bref rapport - 10 pages, préambule et exposé des motifs compris - qui, depuis la fin de l’été, nourrit les commentaires de la presse écrite et la colère des partis islamiques alors qu’il n’a toujours pas été rendu public pour, dit-on à Alger, ne pas enflammer les passions. Du texte, les Algériens ne connaissent officiellement que ce qu’en a lâché le ministre de la justice, Tayeb Belaïz, au cours d’une conférence de presse, ou les bribes distillées par les quotidiens.

Le texte est nuancé. Révolutionnaire sur certains points majeurs, il apparaît conservateur sur d’autres. Ainsi, en cas de divorce, la femme ne courra plus le risque d’être jetée à la rue avec ses enfants. Le mari sera tenu de lui assurer un logement "décent". En revanche, rien n’est dit de l’héritage, dont les règles actuelles favorisent les hommes (la part du garçon est le double de celle de la fille). De même, le mariage d’une musulmane avec un non-musulman reste interdit alors qu’un musulman peut épouser une femme kitabia (une femme de la religion du Livre, c’est-à-dire une chrétienne ou une juive).

Le débat est ailleurs. Il porte pour l’essentiel sur deux articles. Le premier, très sensible, concerne la polygamie (en pratique peu courante). Elle ne serait pas formellement abrogée mais dépendrait de l’autorisation du juge. "Il est permis de contracter plusieurs mariages -mais- il faut demander l’autorisation au président du tribunal du lieu du domicile conjugal", indique le projet de texte. Avant de trancher, le tribunal devra vérifier que les épouses sont consentantes et que le mari est à même d’offrir aux femmes "l’équité et les conditions -matérielles- nécessaires à la vie conjugale".

Les islamistes ne veulent pas de cette immixtion de la justice. Numéro deux du Mouvement de la société pour la paix (MSP), une formation islamique représentée au gouvernement, Abdelrazak Makri est très net : "Le juge n’a pas à s’immiscer dans une affaire aussi intime, dit-il. Si la femme est malade, stérile, la polygamie peut être une solution préférable au divorce. Et puis, vaut-il mieux tromper son épouse ou avoir une seconde femme dans la transparence ?"

Le deuxième sujet est plus fondamental car il touche à l’égalité entre l’homme et la femme. Il s’agirait d’abolir la tutelle matrimoniale qui fait que, le jour du mariage civil (légal à compter de 19 ans), le consentement d’un parrain (le ouali, le père de l’épouse en général) est indispensable pour le valider. La commission de réforme du code de la famille préconise de supprimer ce parrainage. Les nouveaux articles proposés sont rédigés sans ambiguïté : "La femme majeure a pleine capacité pour contracter mariage." Et encore : "Le contrat de mariage est conclu par l’échange du consentement des deux époux."

La disparition du ouali divise l’opinion. Les islamistes réclament son maintien. "Le mariage, ce n’est pas uniquement l’union de deux individus. C’est aussi une alliance entre familles", fait valoir M. Makri. "A cause de cette tutelle matrimoniale, la femme algérienne reste une mineure à vie", rétorque une avocate, Me Ait-Zaï.

La balle est désormais dans le camp présidentiel. Le chef de l’Etat peut faire passer la réforme sous forme d’ordonnances ou, hypothèse jugée la plus probable, laisser le Parlement en débattre. Dans ce cas, la loi - "faite pour plaire aux Américains et à leur fausse démocratie", selon M. Makri - ne passera pas, clament les islamistes, qui réclament un référendum. Rien n’est moins sûr. Même si les milieux conservateurs - islamistes et franges du Front de libération nationale (FLN), l’ancien parti unique - promettent de "tout faire pour bloquer le projet de loi", nul n’est dupe du résultat. Le chef de l’Etat a les moyens d’imposer ses vues à un Parlement toujours docile. C’est ce que reconnaît M. Makri lorsqu’il dit, à propos des islamistes : "Nous sommes au gouvernement, mais pas au pouvoir."

Jean-Pierre Tuquoi, www.lemonde.fr