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La fortune supposée d’Arafat convoitée

mercredi 10 novembre 2004, par Hassiba

Difficile à évaluer, entre 800 millions et 1,3 milliard de dollars, il est au coeur de la succession.

Les sommes s’envolent, et s’enflent : 800 millions de dollars à gauche, 1,3 milliard à droite... La fortune supposée cachée de Yasser Arafat alimente toutes les spéculations, variant selon les sources. L’acrimonie des rapports entre Souha Arafat et la relève palestinienne ­ dont le Premier ministre Ahmed Qoreï ­ est sous-tendue par cette question centrale : qui en prendra le contrôle ?

Réfugié à Londres, non loin de Hyde Park, à l’ouest de la ville, un vieux comparse d’Arafat, devenu son adversaire, puis sa victime, remâche sa colère. Jaweed al-Ghussein, 74 ans, fut pendant douze ans le trésorier du Fonds national palestinien, l’outil financier et secret de l’OLP, et le témoin partiel des versements abondants des monarchies du Golfe et des autres soutiens de l’OLP, comme Saddam Hussein.

Il confiait au Times, l’été dernier, avoir fait pendant des années et chaque mois un chèque de 10 millions de dollars à Arafat, pour soutenir les familles des morts au combat et des martyrs, ou financer l’armement, sans savoir où allait l’argent. En 1996, il rue dans les brancards, critiquant le vieux patriarche pour ses méthodes clientélistes. Mal lui en prend. A deux reprises, il sera détenu à Gaza. Depuis 2002, le vieil homme vit à Londres, réduit au rôle d’imprécateur.

« 900 millions de dollars détournés vers un compte personnel contrôlé par Yasser Arafat »

A partir de la signature des accords d’Oslo, en 1993, une autre mécanique se met en place. Les parrains des accords de paix ­ Europe et Etats-Unis notamment ­ vont soutenir la construction progressive de l’autonomie palestinienne, avec force dons. Il n’y a pas d’organisation administrative. Mais, vite, beaucoup de rumeurs. En 1999, un expert européen dénonce la fraude. Yasser Arafat commence à comprendre qu’il va devoir donner des gages. Dès 2000, le représentant local du Fonds monétaire international, Salem Fayyad, un Palestinien formé aux Etats-Unis, qui a la confiance de Washington et une totale réputation d’intégrité, tape lui aussi sur la table. Sous la pression internationale, le leader palestinien embauchera Fayyad comme ministre des Finances en 2002. Les secrets commencent à être dévoilés. Il faudra attendre le 20 septembre 2003 pour qu’un diagnostic écrit soit donné par le FMI. Lors de la conférence de presse de présentation du rapport, qui se tient à Dubaï (Emirats arabes unis), Karim Nashashibi, le représentant du FMI pour Gaza et la Cisjordanie, est interrogé ironiquement par un journaliste : « Vous avez mentionné, plus ou moins en passant, que vous avez découvert que près de 900 millions de dollars ont été détournés du budget vers un compte personnellement contrôlé par Yasser Arafat. (...) Cet argent a-t-il été mal utilisé ? » Malaise de Nashashibi, et réponse brève : « La plus grande partie de l’argent a été investie dans des actifs palestiniens, locaux ou à l’étranger. (...) L’Autorité palestinienne était impliquée dans 69 activités commerciales, en Palestine et à l’étranger. » De fait, c’est toute l’ambiguïté des gros titres sur la « fortune » d’Arafat. Chef de clan, chef de guerre, patriarche, parrain, il est tout cela, mais ne ressemble en rien aux richissimes dictateurs africains qui accumulent villas de luxe et limousines pour leur seul bénéfice personnel : chez lui, cela prend des allures de caisse noire.

Le trésor de guerre de Mohammed Rachid

L’histoire du compte à partir duquel Arafat et son fidèle conseiller financier Mohammed Rachid ont procédé à des investissements à tout va illustre l’ambivalence. Au milieu des années 90, Mohammed Rachid, un Kurde, ouvre un compte à la banque Leumi, à Tel-Aviv. Les autorités israéliennes en sont informées : Israël collecte une partie des taxes sur les marchandises importées vendues en Palestine, et en rétrocède le montant. L’argent devait atterrir dans les mains de l’Autorité palestinienne. Au lieu de cela, il atterrit sur ce compte, et devient à partir de 1997 le trésor de guerre de Mohammed Rachid et d’une série d’intermédiaires. Une partie des fonds est envoyée en Suisse puis investie. Collecte de la TVA mais aussi de la taxe à la consommation sur des biens courants, mise à profit du monopole sur la vente du ciment et de l’essence : les détournements sont variés. Rachid et son équipe investissent aussi sur place dans une usine d’embouteillage de Coca-Cola à Ramallah ou dans le casino de Jéricho. Depuis, Fayyad a contraint Arafat à regrouper des actifs éparpillés, dans un compte unique du Trésor. Le FMI, joint hier, assure qu’une partie des placements est revenue dans le giron collectif des Palestiniens, sous l’autorité de Fayyad. Appelé « the radical bean counter » par le New York Times ­ le comptable à la mentalité d’épicier ­, celui-ci continue coûte que coûte d’essayer de mettre de l’orthodoxie dans les affaires palestiniennes. Il a interdit le paiement en cash des 53 000 officiers de sécurité, contraint les caciques à se servir de virements et de chèques. Mais une partie des bénéfices tirés de ces investissements a, semble-t-il, disparu. Il est difficile d’évaluer la fortune d’Arafat à 300 millions de dollars, comme l’a fait le magazine Forbes l’année dernière, en lui imputant la propriété de ces investissements. Il est tout autant difficile de suivre les affirmations tempétueuses des services secrets israéliens, qui, voici deux ans, avançaient le chiffre de 1,3 milliard de dollars devant les députés de la Knesset. Le mystère reste entier.

Enquête et blanchiment

Les mésaventures de Souha Arafat n’ont guère permis de progresser. En 2003, le parquet de Paris, saisi par Tracfin, le gendarme des opérations indélicates, ouvrait une enquête préliminaire pour « blanchiment » : deux comptes, de 9 millions d’euros au total, au nom de Souha Arafat ont été découverts à Paris, au sein de la BNP et de l’Arab Bank. L’enquête, confiée à l’Office de répression de la grande délinquance financière, n’aurait « rien donné pour l’instant », selon une source judiciaire. Restent que les comptes de madame Arafat étaient régulièrement alimentés. Ils figureront en bonne place des disputes d’héritage.

De Londres, par Armelle Thoraval ; liberation.fr