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L’artiste Brahim Izri n’est plus

mercredi 5 janvier 2005, par Hassiba

Brahim Izri n’est plus. Mort d’un cancer du colon, la cinquantaine à peine entamée. Né un 12 janvier 1954, jour de Yennayer à Ath Lahcène chez les Ath Yenni (Tizi Ouzou).

Au moment où Mohya, cet autre grand homme de culture kabyle, rendait l’âme, il était lui-même terrassé par la maladie qui l’avait cloué sur un lit d’hôpital depuis quelques mois déjà. Un autre nom disparaît à l’orée de cet an 2005. Il s’est éteint ce 3 janvier à l’hôpital Hôtel-Dieu à Paris, en début de soirée, vers 21h00, date anniversaire également du décès de cet autre combattant de la cause amazighe, président de l’académie berbère, Muhend Arav Bessaoud, non sans cette illumination d’un paraphe d’un éternel jeune artiste épris de tous les combats, depuis les années 1970, au début d’une carrière qui allait s’avérer fulgurante. Modeste, engagée et entière.

Puisque Brahim Izri a été bercé aux sons percutants du bendir, instrument prédestiné de la zaouïa dans laquelle Brahim a fait ses premiers apprentissages. A Ath Yenni, il a chanté les mélodies religieuses, adhekkar en kabyle, dans la zaouïa de Sidi Belkacem, son grand-père paternel. Puis, pris dans les filets de la musique, il va, tout au long de ses études, gratter la guitare alors que la flûte reste le plaisir extrême de sa musique. Au jeu et à l’écoute. D’où son penchant pour ce monde des artistes duquel il va émerger au moment où la chanson engagée kabyle dans les années 1970 décide de se frayer un chemin sûr dans le champ musical national. Comme moyen d’expression de l’amazighité, de liberté, de revendication culturelle, linguistique et identitaire.

L’époque de l’émergence de plusieurs groupes modernes, engagés, entre autres Isulas, Inasliyen, les Abranis, Imazighen Imoula... et dans cet éventail, est né Igudar (pentes) dans lequel va chanter Brahim aux côtés de copains de lycée de Ath Yenni : Naït Abdelaziz, devenu par la suite professeur d’anglais du secondaire au lycée Abderrahmane Iluli de Lrbaa Nath Irathen, et Aziz Berrahma des Ouacifs. Un trio qui allait s’essayer au mouvement impulsé par le grand Cherif Kheddam qui a d’ailleurs propulsé sur la scène de grands noms de la chanson kabyle comme Ferhat Imazighen Imoula, Idir, Lounis Aït Menguellet, non seulement dans son émission Igheneyen u Zekka (les chanteurs de demain) mais aussi à travers son succès Avridigun, idhul (le chemin qui nous attend est bien long !). Et Igudar, sous cette impulsion engagée d’un grand artiste sort sa première chanson Arus s uvarnous, une fable sur l’escargot qui se débarrasse de sa coquille pour affronter le serpent !... Une mélodie fredonnée par les fans à l’affût de changements dans l’horizon fermé aux libertés démocratiques que Brahim Izri va prendre pour bâton de pèlerin et en fera son combat dans le contexte politique de l’époque. Le groupe né à partir de rien, plutôt de beaucoup de convictions, a donné des galas dans ses tournées à Alger. Il sera suivi des refrains de Arous et de cette autre berceuse chantée d’abord par Igudar, Chthedouyi, qui va faire les beaux jours du premier album de Idir Avava Inouva.

Avec le même Idir, il a chanté dans son orchestre et dans la chanson El Mouth (la mort) en arrière-fond musical, il a interprété la douleur d’une mère éplorée par la perte de son enfant. Le chanteur, d’abord poète et musicien, a fini dans l’aventure en solo. Réussie. Qui ne se rappelle pas Avava Vavhri, puis plus tard cet autre titre dédié à la mémoire de Slimane Azem, dans Idhahrad Ou Agour ou encore ce clin d’œil aux affres de l’émigration dont il faisait partie, avec cette mélodie sur un air de zaouïa où priment bendir et flûte, Idhinyagen Tassa dans laquelle sa femme a également chanté.

Et puis tout dernièrement, il y a eu ce génie musical qui a rendu hommage à la ville de Tizi Ouzou sur l’air de San Fansisco introduite par Idir dans son dernier album Identités dans un échange à trois avec Maximes Le Forestier... D’ailleurs, Brahim, à l’occasion d’une des éditions des fêtes du bijoux de Ath Yenni, il avait chanté Tizi Ouzou en a cappella, un moment émouvant, « réfléchi » par le soleil de ce juillet 2000 en béatitude sur le Djurdjura. Dans ce sens aussi, de l’ouverture sur l’universel, Brahim n’hésitait pas sans complexe aucun à chanter en anglais, en français... Le partage, c’était aussi son fort. C’est lui aussi qui a chanté avec Baaziz dans Algérie mon amour.

Et en dépit de sa maladie, Brahim Izri a continué d’animer des concerts et s’exprimer sur les sujets d’actualité, à l’affût de ce qui se passe dans le pays. Et l’état critique dans lequel il se trouvait ne l’a pas empêché d’apporter les touches finales à un nouvel album. A l’artiste, à l’homme des hommages en France. Le premier lui a été dédié hier dans l’après-midi par le personnel hospitalier de l’Hôtel-Dieu où aura lieu la levée du corps. Le second sera rendu par Radio Beur FM, en présence de ses amis, Takfarinas, Ferhat, Farid Aoumeur.Le rapatriement de la dépouille mortelle aura lieu vendredi prochain et l’enterrement le lendemain samedi dans son village natal Ath Lahcène, à Ath Yenni.

Par Saliha Aouès, La Tribune