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Tolga, capitale de la datte : la princesse aux pieds nus

mercredi 26 janvier 2005, par Hassiba

Deglet Nour, « les doigts de lumière ». C’est le nom que l’on donne à la variété de datte considérée comme la meilleure au monde. On l’appelle ainsi, car elle est si claire, presque translucide, qu’elle laisse apparaître son noyau.

Elle est reconnaissable parmi toutes par son goût sucré et sa fraîcheur et rappelle au non-initié que la datte est bien un fruit et non un fruit sec. L’une des meilleures Deglet Nour du monde se trouve à Tolga, à une trentaine de kilomètres de Biskra. Déguster une Deglet Nour de Tolga, en France, en Espagne, en Belgique ou en Algérie, partout où elle est exportée, évoque les palmeraies, le calme et la fraîcheur d’un jardin en plein Sahara.

Mais l’or brun, second produit d’exportation algérien après le pétrole, ne nourrit pas son homme. La première impression, lorsque l’on vient à Tolga par la route principale, est que la ville est nouvelle, toujours en travaux... et que l’on va y rester le moins longtemps possible. De part en part, la daïra est coupée par une double voie qui fuit perpendiculairement la nationale Biskra-Bou Saâda. Tout le long, s’élèvent de futurs villas et immeubles dont seuls les garages ou les rez-de-chaussée sont terminés. Certains abritent déjà un magasin d’alimentation générale, un taxiphone ou un café. Les larges trottoirs sont déjà délimités par d’épais pavés de béton, mais hormis quelques gravats, ils restent vides de toute garniture. Le terre-plein central qui divise la route est par endroits orné de palmiers qui se suivent par trois. Les arbres étendent fièrement leurs palmes, mais leurs troncs, enfouis comme des pieds dans le sable, trahissent leur jeune âge et laissent encore plus penser que la ville l’est autant. Même l’APC, un bâtiment construit sur un seul niveau, laisse dépasser sur sa plate-forme des tiges de fer en prévision de jours meilleurs. Ses murs blancs commencent à prendre la poussière, au contraire de ceux du siège de la daïra, dont le beige éclatant donne un peu de gaité à l’artère principale de la ville. Le bâtiment administratif est sans doute le seul alentour, avec son entrée en coupole, à être complètement achevé. Les industriels sont une dizaine à avoir également pris leurs quartiers dans ce poumon qui mène directement à la nationale, puis vers les grandes villes du Centre-Est.

Le producteur-exportateur Haddoud, présent depuis 1920, a choisi de s’installer dans une rue perpendiculaire, non loin de l’APC. L’accès direct est bouché par des eaux stagnantes, sans doute peu profondes, mais dont l’odeur et la texture suffisent à rebuter le 4x4 le plus téméraire. Le pâté de maisons qu’il faut alors contourner donne à voir une route défoncée, bordée de milliers de détritus repoussés sur les côtés comme de la neige. De l’extérieur, il est facile de distinguer l’étendue de l’usine en suivant le blanc immaculé qui recouvre ses murs.

« Taxer les palmeraies ! »
Tolga n’est pas une ville jeune. Elle est même millénaire. Depuis l’époque où elle était berbère, elle a subi les campagnes carthaginoises, arabes, ottomanes puis françaises. Aujourd’hui, le centre s’est détaché des palmeraies où la ville s’est d’abord développée, près de son précieux trésor, pour se rapprocher de la route et des entreprises. Sans que celles-ci lui rendent assez, si l’on en croit le vice-président d’APC, Torki Benhachour. Celui-ci regrette que les recettes de sa ville, qui n’atteignent que les 40 millions de dinars, proviennent essentiellement de la taxe foncière. Il souhaiterait que les palmiers soient taxés afin que les 50 000 habitants de la daïra profitent des retombées économiques de la Tolga.

Pour avoir une idée de l’étendue de la ville et croire que 50 000 âmes y cohabitent bien, il faut monter vers le mausolée de Sidi Rouag, ancien chef coutumier, sur une colline de pierre qui surplombe la ville d’une trentaine de mètres. Le bâtiment, blanc, avec sa tour et son léger rempart, donne enfin à respirer l’histoire de Tolga. Mais pour peu de temps. Sur la pente, 180 degrés autour de la bâtisse, se serrent des centaines, voire des milliers de carcasses de maisons. Pour presque toutes, les briques grises sont apparentes... comme les paraboles. Les propriétaires occupent la première pièce construite sans attendre que les travaux aillent plus loin. L’ensemble est né dans l’anarchie, sans autorisation des autorités, si l’on en croit le responsable de l’office de tourisme de la ville. Dos à ce faubourg, face au quartier administratif et industriel et bien avant les derniers monts des Aurès, acérés, couleur bronze, apparaît Tolga l’ancienne. Celle qui se serre contre les palmeraies et s’y confond parfois. Celle que l’on rêve lorsque l’on savoure ses dattes.

En vert, ocre et bleu
Là, à deux kilomètres de l’avenue principale, les yeux semblent retrouver leur fonction « couleur » : entre le vert des palmes, le châtain de l’écorce et le bleu du ciel, que l’on avait oublié tant le regard restait auparavant au niveau du sol. Le mur de roches ocre, qui délimite la forêt à deux mètres de hauteur, le long d’une petite route, est un enchantement. Quelques habitations de style colonial subsistent, un seul rez-de-chaussée, un étage au plus, la peinture craquelée, les fenêtres à cinquante centimètres du sol et des portes qui paraissent minuscules. De l’autre côté de la route, en contrebas de la place du marché, qu’occupe une dizaine de marchands de légumes frais, se dresse ce qui devrait être un éden pour les habitants de Tolga. Une palmeraie, au cœur de la ville, derrière les constructions qui bordent la route. Les arbres n’y sont pas alignés de façon aussi stricte que dans les zones de production intensive. Mais les carrés de terre relevés autour d’eux indiquent qu’ils sont soigneusement arrosés et qu’ils rendent encore leur dû. Seul ennui à cette période de l’année, le réseau de rigoles ne charrie plus que des détritus de toutes sortes et de toutes les couleurs : produits alimentaires et d’entretien courant, en conserve, bouteilles ou sacs en plastique. C’est également ici que l’on se donne rendez-vous pour « siffler » des Côteaux de Tlemcen et des Bavaroises, si l’on se fie aux bouteilles de verre et aux boîtes métalliques bleu turquois qui tapissent le sol. Un spectacle désolant qui n’atténue pourtant pas la joie de se trouver dans un si bel endroit. Dans chaque carré de palmiers, malgré les déchets, pousse une herbe d’un vert incroyablement phosphorescent que l’on croirait coupée aux ciseaux. Des murets de roche ocre essaient de séparer les propriétés, mais ils tombent en ruine et dévoilent par endroits des trous béants. Ce qui rend le jeu de labyrinthe plus facile. Les maisons construites dans l’enceinte, dans le même matériau, perdent également les pierres les unes après les autres. Ce qui a poussé des habitants à prendre les devants et à construire dans les murs de nouvelles façades en brique grise... En suivant les ruelles, parfois larges d’une cinquantaine de centimètres, on s’aperçoit que certaines demeures n’ont pas eu cette chance. Des chemins sont directement bouchés par des bâtiments écroulés. D’autres passent sous de magistraux édifices, fabriqués et retenus à deux mètres de hauteur par des écorces de palmiers, auxquels on souhaite un meilleur destin. Pour réaliser son rêve éveillé, il faut s’enfoncer dans les proches palmeraies, sur les pistes blanchâtres, lisses et bosselées, bordées par endroits de petits murets de pierre et qui forment un labyrinthe perdu d’avance. Alignés à perte de vue, des palmiers dressent leur mince tronc à plus de vingt mètres de hauteur, leur large chevelure balayée par la bise. Le vent produit à cet endroit le seul son perceptible, avec l’écoulement de l’eau, le long des rigoles, ici dégagées de tout obstacle. Une infime quantité de figuiers trouve encore protection au pied des géants palmés, les fellahs ayant définitivement adopté la culture sous serre. Les quelques feuilles qui tiennent à leurs branches dégagent alors une odeur sucrée qui rend le repos à cet endroit encore plus savoureux.

Par Saïd Aït Hatrit, El Watan