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Xavier Richet :« La capacité à créer de la richesse explique le succès »

mardi 15 février 2005, par Hassiba

Xavier Richet est professeur d’économie à l’université Paris III Sorbonne Nouvelle. Spécialiste des restructurations dans les économies en transition, il a édité plusieurs ouvrages sur les expériences menées dans les pays de l’Europe de l’Est et en Chine.

Il est conseiller au gouvernement français, à l’Union européenne et à la Banque mondiale. Parallèlement à ses activités de recherche, dans les pays en transition, il assure des enseignements réguliers, notamment en Chine où il se déplace souvent.

Invité par le MDI, Xavier Richet a séjourné récemment à Alger où il a donné des conférences sur l’expérience chinoise. Les exposés faits devant les managers du secteur de l’énergie et le Forum des chefs d’entreprise (FCE) ont suscité des débats animés.Les taux de croissance atteints par l’économie chinoise ces dernière années et le volume important des investissements directs étrangers que la Chine a pu attirer suscitent l’admiration mais aussi beaucoup de curiosité. A tel point que l’idée d’une « menace chinoise » est évoquée dans certains cercles des puissances industrialisées. Mais ce qui pourrait intéresser un pays en transition, ce sont les facteurs qui ont permis à l’économie chinoise de devenir performante. Surtout que le pays reste toujours dirigé par le système du parti unique.

Profitant de la présence de M. Richet à Alger, nous lui avons posé quelques questions sur la Chine. Il a accepté de répondre sans détours.

Comment peut-on expliquer le boom chinois ? Surtout que le pays repose sur un régime communiste et que le multipartisme est absent ?
Je dirais que ce qui explique le boom chinois, c’est l’accumulation de toute une série de facteurs qui tient à la fin du chao économique des années 1960 et 1970, une volonté comment dire de remettre les choses en ordre d’une part, une rationalité économique qui montre que le volontarisme qui existait à l’époque a dû être abandonné par des pratiques plus réalistes, une ouverture contrôlée de l’économie avec ce que l’on a appelé le double chemin : contrôle macroéconomique d’une part et libéralisation partielle et continue d’un grand nombre d’activités d’autre part. J’ajouterai aussi la concurrence interne - concurrence interne de différents niveaux. D’abord entre les provinces, parce que les provinces et les grandes villes sont autonomes, ce qui offre la possibilité de développer leurs propres activités. Concurrence interne aussi en termes d’entrée, liberté d’entrée à la fois pour les firmes locales, capacités de création de firmes privée, totalement privées ou bien des firmes collectives, etc. Donc une assez grande hétérogénéité dans le tissu industriel d’entreprises qui ont différentes formes et qui ont la possibilité de développer leurs activités. J’ajouterai deux autres raisons.

La première, c’est le fait que quand on a 1,3 milliard de personnes à nourrir, il faut être pragmatique, il faut trouver comment créer la richesse en termes réels, l’idéologie ne compte plus. Et puis il y a un dernier point qui me paraît important sur le plan de la politique internationale, c’est le positionnement de la Chine qui entend jouer un très grand rôle dans le concert des nations. Et les Chinois sont conscients que contrairement aux Russes, il ne suffit pas d’avoir la bombe atomique ou des équipements militaires sophistiqués pour faire peur, mais c’est la capacité économique à créer de la richesse, construire des firmes compétitives, être un exportateur, etc..,. qui donne un pouvoir économique, un peu en suivant ce qu’ont fait le Japon et la Corée dans les années 1960 et 1970.

Beaucoup d’observateurs attribuent aussi le succès chinois à la culture... Quel rôle joue la culture d’une manière pratique ?
En Chine, je crois qu’il faut mentionner un rôle, le rôle très important de l’entreprenariat, donc c’est dans la culture chinoise de développer un business, peut-être petit par le biais de l’entraide familiale, disons en forme de crédits que les familles se font et une capacité d’épargne très importante des ménages qui font que les entrepreneurs peuvent s’introduire et éventuellement supporter le risque grâce à ce soutien. Cela est un premier point.

Le deuxième point, c’est le phénomène d’hétérogénéité qu’on trouve dans la structure industrielle chinoise, puisque à côté des très grandes firmes d’Etat, les monopoles naturels, etc... on va trouver des firmes socialistes de secteurs concurrentiels qui son gérées comme des firmes capitalistes, c’est-à-dire qu’elles ont des objectifs de résultats économiques, de performances. Elles doivent investir. Elles doivent innover.

Et puis il faut mentionner aussi le rôle très important qu’a joué l’investissement direct étranger, c’est-à-dire les firmes étrangères qui se sont implantées en Chine. Soit sous la forme de joint-venture, d’entreprises conjointes, soit 100% étrangères localisées en Chine et qui sont venues avec du savoir-faire, du management, du savoir-faire managerial, de technologies et qui ont permis aux Chinois de s’approprier et de dominer un certain nombre de technologies, qui ensuite les autorisent à monter dans la chaîne de valeur ajoutée, enfin disons d’être dans la gamme de production et de se mettre à produire des biens qui sont exportables, mais à plus fort contenu en valeur ajoutée. Donc, on va trouver tout sur les firmes chinoises, de la firme du XIXe siècle avec des conditions d’exploitation qu’on trouve dans les bouquins de Zola et on va trouver des usines à haute technologie intensive en capital, en capital humain. Donc, on trouve tout cela en même temps.

Donc vous voyez, c’est ce caractère très hétérogène de la structure industrielle qui explique un peu le succès chinois. Mais avec des grandes difficultés quand même qu’il faut voir sur le plan social, la protection sociale, la pollution, la sécurité sociale, ect.

Est-ce que la Chine constitue « une menace » ? Disons une menace pour les puissances développées ?
Oui et non. Oui parce que sa montée en puissance se fait déjà sentir au niveau régional, par exemple en Asie. Si on compare l’Asean, le fameux marché commun d’une dizaine de pays de la région, la Chine est vraiment présente. Et les choses ne peuvent plus se faire en Asie sans que la Chine n’ait son mot à dire. Par exemple, il y a un effet d’éviction qui existe aujourd’hui pour les investissements étrangers. Au lieu d’aller au Vietnam ou au Laos, etc. Ils vont d’abord en Chine... On va d’abord en Chine puis on regarde après. Et la Chine devient l’organisation, un répartiteur en quelque sorte de la sous-traitance au niveau local en raison de cette puissance régionale. Menace aussi pour des pays, semi-industrialisés qui se sont trouvés des créneaux. On le voit avec le textile aujourd’hui, la libéralisation du textile, des quotas.

Il y a des pays comme par exemple le Mexique qui s’était fait un créneau, et se voit concurrencer par la montée en puissance chinoise. A terme aussi, on peut penser que dans d’autres secteurs, la Chine va constituer une menace. Alors, il faut voir aussi qu’il y a quand même un écart qui existe. Ce n’est pas encore une grande puissance sur le plan économique. Le PIB chinois, ce n’est qu’un quart du PIB japonais d’une part. D’autre part, la Chine essaie d’entrer et de monter en grade dans certaines technologies. Mais elle peine. Il y a des secteurs dans lesquels elle a un retard très important. Donc, il ne faut pas voir une menace globale immédiate. Cela dit, il est clair qu’il y a une volonté chinoise de poursuivre cette croissance, de mieux l’organiser, de l’assainir éventuellement. On voit par exemple avec les mesures de l’OMC qui vont conduire les firmes chinoises à se restructurer davantage ou à développer un secteur financier plus efficace qui ne marche pas très bien pour le moment. Donc, il y a encore des réformes institutionnelles importantes à réaliser et aussi des investissements à faire pour menacer les secteurs produisant à plus haute valeur ajoutée.

Par Liès Sahar, El Watan