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La démocratisation du Moyen-Orient passera aussi par Beyrouth...

mercredi 16 février 2005, par Hassiba

Le milliardaire El Hariri a-t-il payé les frais de son engagement en faveur du départ des troupes syriennes du Liban ? Il se savait menacé au lendemain de la tentative d’assassinat de l’ex-ministre druze Marwan Hamadé en septembre dernier.

Un mois plus tard, il jetait l’éponge et remettait sa démission du poste de Premier ministre. Ami personnel de Jacques Chirac et proche du roi Fahd, il n’aurait jamais imaginé cette fin sanglante. Si son statut de père de la reconstruction du pays du Cèdre lui allait comme un gant, son poids sur la scène mondiale lui jouerait tôt au tard ce mauvais tour. Mais tue-t-on un homme juste parce qu’il est internationalement célèbre ?

De son exil parisien, le général Michel Aoun rompt le silence et invite à la méditation à travers une bien triste rétrospective. « Chaque fois qu’on voulait faire sortir les Syriens [du Liban], il y avait une série d’attentats et ça visait les personnes libanaises qui s’opposaient à la Syrie », déclare le général sur les ondes de France-Info. Sans aucun doute, insiste-t-il, c’est la Syrie qui a commandité l’assassinat d’El Hariri.

La technique de la voiture piégée est bien connue et le conforte un peu plus dans ce qu’il avance, l’ancien ministre Hamadé en a été victime lui aussi. Le général n’est pas le seul à parier, les yeux bandés, sur la nationalité des cerveaux de l’attentat. Des analyses se bousculent sur la suspecte rapidité avec laquelle le régime de Bachar El Assad a réagi. L’opposition anti-syrienne n’a pas ménagé la chèvre et le chou pour montrer de quoi ce dernier est capable quand il s’agit de maintenir le statu quo.

A la veille des obsèques d’El Hariri, elle exige une enquête internationale comme le réclame le nouveau moteur européen franco-espagnol. Et le départ des 140 000 soldats syriens avant les élections d’avril et mai prochains. A la même date, il sera question de la présentation d’un rapport sur l’état d’avancement de cette « décolonisation » devant le Conseil de sécurité. Mis à part quelques redéploiements dans la banlieue de Beyrouth, rien n’a été fait dans ce sens, s’accordent à dire des spécialistes du Liban. Pis, le remodelage de la Constitution au profit du maintien du président Lahoud à la tête de l’Etat prouve l’entêtement des Syriens à ne pas plier bagage.

On se frotte déjà les mains du côté de New York où l’on attend le régime de Damas d’un pied ferme. La résolution franco-américaine serait réadaptée à la mesure des défis que livrent les autorités syriennes à la société internationale. Paris n’attendra pas si longtemps, le Quai d’Orsay annonce qu’une déclaration sur l’intégrité territoriale du Liban et condamnant l’assassinat de l’ami de la France devait être adoptée aujourd’hui même. Sous le coup de sanctions américaines pour son soutien au terrorisme -sinon aux résistants du Hezbollah, du Hamas palestinien et du Djihad islamique-, le pouvoir d’El Assad fils se permettrait-il un tel affront qu’on allait évidemment lui coller ? Personne n’en croira mot quand l’ambassadeur de Syrie à Washington déclare que Hariri n’était pas un ennemi de son pays. Sa seule opposition à l’éternité de l’influence syrienne chez son petit voisin suffisait à l’assassiner, répondent ceux qui veulent se débarrasser au plus vite de la mainmise de Damas.

Condy Rice a reçu leur message cinq sur cinq ; la « diplomatie préventive » contre les Syriens a, elle aussi, ses limites. Promesses faites, non seulement ils devront quitter le Liban mais ils feront en sorte de couper les vivres à l’islamisme radical sur leur sol. Lorsque le premier attentat terroriste a eu lieu l’année dernière sur ce même sol syrien, des experts occidentaux et israéliens concluaient à une manœuvre des services de renseignement locaux. Histoire de confirmer, avançaient-ils, un retournement de l’islamisme sur ses propres « parrains ». Ce qui leur fait dire aujourd’hui que la Syrie est le suspect numéro 1 dans l’affaire Hariri.

D’après le ministre libanais de l’Intérieur, les enquêteurs sont presque sûrs qu’il s’agit d’un attentat suicide. Aurait-il été commis par ce groupuscule inconnu au bataillon, « la Victoire et le Djihad dans la Grande Syrie » ? Au Liban, ce qui ressemble à un nouveau modèle déposé d’Al Qaïda ne convainc presque personne bien qu’il y ait pu avoir recrutement de mercenaires. Ni d’ailleurs le feuilleton de ce Palestinien suspect absent lors de la perquisition de son domicile. Les partisans du départ des Syriens s’en tiennent à leur hypothèse première, il n’y a que Damas capable d’un tel acte. L’Etat hébreu n’en demandait pas plus, il tient là une occasion rêvée pour abattre le régime des Assad. Et dans la foulée, tendre la perche à l’administration américaine qui compte bien briser cet axe syro-iranien, véritable barrage à sa marche « démocratisante » au Moyen-Orient.

Vigilance accrue donc à la frontière libano-israélienne où le Hezbollah chiite garde un drôle de silence. Politiques et médias israéliens sont quasi unanimes donc à pointer un doigt accusateur en direction de l’ennemi syrien. Ce dernier s’était dit pourtant prêt à reprendre les négociations avec l’Etat juif sans conditions mais, pour celui-ci, c’était aussi venir en travers de la politique « éradicatrice » de l’allié américain dans sa lutte internationale contre le terrorisme. Ainsi, le régime de Damas se retrouve dans une délicate position défensive, n’ayant pour sortie de secours actuelle qu’un rejet systématique des accusations. A son tour de rendre Israël coupable du crime après que la république des Mollahs l’a fait bruyamment. « C’est d’autant plus absurde qu’Israël n’avait aucun intérêt à la disparition d’un dirigeant comme Hariri qui a pris ces derniers mois clairement position pour que le Liban ne soit plus sous la coupe de la Syrie », déclarera un responsable israélien pour faire taire ses détracteurs du camp des durs. A en croire ses dires, Rafik El Hariri a même eu des contacts avec le gouvernement de Tel-Aviv à propos de la présence syrienne au Liban. De ce point de vue, serait-il devenu aux yeux des groupes islamistes radicaux -Hezbollah ou autres-, ce « collaborateur » qu’il fallait absolument abattre ? Sur le perron de l’Elysée, le chef de la diplomatie israélienne avait peu de doutes sur les commanditaires de l’assassinat du milliardaire.

Le chef druze, Walid Joumbalat, ne passera pas non plus par mille chemins pour dire sa haine de l’actuel régime libanais et de ses protecteurs syriens : « [...] C’est un régime qui nous a accusés, le Premier ministre [Omar Karamé] et le reste de sa clique, il y a trois jours, d’être des traîtres, des agents à la solde d’Israël, de l’Amérique et de la France. » Que l’axe irano-syrien ne cache pas sa répugnance envers ces derniers fait-il de lui l’unique suspect dans l’affaire Hariri ? Pas si sûr. Tout de même, il venait tout juste de perdre l’une de ses cartes maîtresses -la cause palestinienne-, que provoque la récente embellie du processus de paix au Proche-Orient. L’émergence du réformisme chez les Palestiniens et le processus de démocratisation en Irak finiraient-ils par venir à bout de l’alliance des derniers des Mohicans du nationalisme arabe ? Soit cette dislocation qu’Israël n’a jamais perdue de vue. L’épée de Damoclès qu’agite la communauté internationale risque de frapper fort dans les mois qui viennent.

Par Anis Djaad, latribune-online.com