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Aux Etats-Unis, la naissance d’un nouvel islam

samedi 19 mars 2005, par nassim

Porté par des jeunes progressistes qui veulent rompre avec le conservatisme ce qui ne les empêche pas d’être très pieux, ce mouvement né aux Etats-Unis après les attentats du 11 septembre 2001, est encore très minoritaire.

Chercheuse à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), Malika Zeghal travaille sur « islam et pouvoir » dans les sociétés contemporaines, en particulier aux Etats-Unis. Elle répond aux questions de Libération.fr, alors que pour la première fois à New York vendredi, une prière mixte va être dirigée par une femme musulmane.

Qui est Amina Wadud, cette musulmane américaine qui fait scandale en prêchant aujourd’hui à New York ?
C’est une intellectuelle, professeure dans une université de Virginie, une Afro-américaine convertie à l’islam et qui connaît très bien l’arabe. Elle est spécialiste de la question de la femme dans le Coran et veut relire la religion musulmane de l’intérieur. Amina Wadud porte par exemple le voile, mais elle peut l’enlever, elle n’en fait pas une question de principe. Elle remet en cause l’islam patriarcal, se dit totalement opposée à la lapidation et à la polygamie. Contre l’interprétation littérale, elle justifie cette position en affirmant que le Coran est un texte historique et qu’elle vit l’esprit de l’islam dans l’histoire. Si elle prône l’égalité absolue entre hommes et femmes, sa démarche est très individualiste, elle ne prétend parler qu’en son nom.

Est-elle néanmoins représentative d’une tendance chez les musulmans américains ?
Elle appartient au nouvel islam réformé qui est en train de naître aux Etats-Unis depuis deux ou trois ans et qui n’a d’équivalent nulle part ailleurs. Il s’agit d’un courant encore très minoritaire révélé par le 11-Septembre. Les attentats de 2001 ont permis à cette mouvance qui se veut ouverte aux minorités, ethniques et autres, de s’exprimer ouvertement. Elle a conquis l’espace public, en utilisant notamment l’Internet. Certains accusent ces progressistes musulmans de faire le jeu de Bush et même de n’être que des pantins de la CIA, mais en réalité il y a plutôt une convergence d’intérêts entre eux et l’administration Bush. Les tenants de l’islam réformiste ne sont pas toujours d’accord avec les méthodes employées pour lutter contre le terrorisme islamiste, mais ils profitent de l’occasion pour critiquer avec virulence l’intégrisme salafiste.

Cet islam américain réformiste est-il limité à la côte Est ?
Non, on le trouve partout aux Etats-Unis, mais c’est un courant très éclaté en multiples groupes, qui communiquent et débattent grâce à de nombreux sites web (voir, par exemple Muslim WakeUp !. Ses représentants sont des jeunes de la nouvelle génération, nés aux Etats-Unis, élevés dans la religion mais qui refuse de la pratiquer comme leurs parents. Ils ne veulent plus de cet islam très conservateur, avec ses mosquées installées dans des enclaves ethniques, souvent dans les banlieues des grandes villes. Parmi eux, on trouve des étudiants, de journalistes, des femmes qui ne portent pas le voile mais se définissent comme très pieuses, d’autres qui portent le hidjab. Et aussi des noirs américains, car ce mouvement tente de dépasser le clivage qui reste fort entre « Black Muslims » (40% des 5 à 6 millions de musulmans qui vivent sur le sol américain) et musulmans d’origine indo-pakistanaise ou arabe.

Comment ces nouveaux Musulmans sont-ils perçus par leurs coreligionnaires qui vivent aux Etats-Unis ?
Aucune mosquée à New York n’a voulu accueillir le prêche d’Amida Wadud, qui préfère elle aussi prendre ses distances avec les mosquées conservatrices : la prière se fait dans une galerie d’art de Soho (1). L’année dernière, la journaliste et écrivain d’origine pakistanaise Asra Nomani a été exclue de sa mosquée pour avoir milité pour que les
femmes puissent entrer par la porte de devant, réservée aux hommes. C’est dire que ce mouvement est encore marginal, même si certains veulent maintenant ouvrir leur propre mosquée.

Par Judith RUEFF, liberation.fr


(1) Suite à une alerte à la bombe, le prêche aura lieu dans une salle de conférence (à lire dans le New York Times).