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Bobby Fischer retrouve la liberté

vendredi 25 mars 2005, par nassim

Bobby Fischer a gagné. L’ancien champion du monde a quitté, jeudi 24 mars, la cellule japonaise où il se morfondait depuis huit mois.

Casquette de base-ball et barbe blanche, Bobby Fischer s’est envolé peu après vers la Scandinavie. Echec et mat pour les Etats-Unis, son pays natal, qui réclamaient l’extradition de leur ancienne idole.

La partie, qui vit les juristes et les diplomates s’affronter sur l’échiquier, fut des plus rudes. Mais le grand maître américain trouva l’ultime parade. A 62 ans, il changea de nationalité. Mardi 22 mars, le"Kid de Brooklyn"est devenu islandais, par la grâce d’une loi spéciale du Parlement de Reykjavik. Son nouveau passeport, daté du même jour, le montre barbu, souriant de toutes ses dents (www.chessbase.com). Jusqu’au bout, sous la pression de Washington, les autorités japonaises ont essayé de résister à cette ouverture scandinave. L’ambassade d’Islande à Tokyo a dû montrer la preuve de la naturalisation. Jeudi, le Japon a dû laisser le champion rejoindre son pays d’adoption. Retour en Islande, donc, sur les lieux d’une rencontre de légende. A Reykjavik, en 1972, le prodige venu de Manhattan avait mis fin à un quart de siècle d’hégémonie soviétique sur le monde des échecs. Boris Spassky avait été terrassé. Ce"match du siècle", très médiatisé sur fond de Guerre froide, avait symbolisé, aux yeux des Américains, une victoire sur le"bloc de l’Est".

Vingt ans après, en juillet 1992,

Bobby Fischer

la revanche avait été organisée au Monténégro ­ au mépris d’un embargo économique international décrété contre Belgrade et son allié monténégrin. Fischer avait d’abord refusé de venir à la cérémonie d’ouverture, ce qui avait permis de doubler les primes promises au gagnant. Puis, devant les caméras, il avait craché sur une lettre du gouvernement américain qui lui demandait de renoncer à la rencontre.

Le titan américain avait encore battu Boris Spassky (naturalisé français) et empoché la prime de 3,35 millions de dollars. Du coup, la justice des Etats-Unis avait poursuivi son ressortissant pour violation de l’embargo et, vraisemblablement, fraude fiscale. Fischer risquait une peine de dix ans de prison dans son pays.

Vint alors le temps de la fuite et de la clandestinité ­ toujours avec le soutien des amateurs du jeu des rois. On vit passer Bobby Fischer en Hongrie, puis en Asie, notamment aux Philippines et au Japon. En juillet 2004, il fut finalement arrêté à l’aéroport de Tokyo-Narita, au moment de s’envoler pour Manille muni d’un passeport américain annulé.

SANS PASSER PAR LES ÉTATS-UNIS

Le héros déchu vivait depuis enfermé dans le centre de détention pour étrangers d’Ushiku (nord-est de Tokyo). Avec des hauts et des bas, selon les informations qui filtraient de son comité japonais de soutien. Le 25 janvier, Bobby Fischer avait écrit au président islandais pour lui demander de devenir son concitoyen. Début mars, une bagarre avait opposé le sexagénaire à ses gardiens.
Jeudi 24 mars, la dernière attaque de Bobby Fischer a été imparable. Le voici en Islande, sans passer par la case prison aux Etats-Unis ­ il n’en serait "jamais sorti vivant", selon ses propres termes. Le département d’Etat américain s’est déclaré "déçu". Son porte-parole adjoint, Adam Ereli, a déploré : "M. Fischer fuit la justice. Il y a un mandat d’arrêt fédéral visant son arrestation". La"fiancée"nippone de Bobby Fischer, Myoko Watai, présidente de l’Association japonaise des échecs, avec laquelle un mariage a été envisagé, s’est réjouie.

L’Islande a-t-elle assortie sa décision d’une obligation de discrétion ? Il y a longtemps que l’obsédé des 64 cases se plaît aux insanités. En décembre 1992 à Belgrade, il s’était emporté, devant la presse, reprochant à "la communauté juive et notamment le New York Times, contrôlé par des juifs riches", de comploter contre lui. Le fantasque grand maître avait eu des mots similaires sur une radio philippine, Radio Bombo, quelques heures après les attentats du 11 septembre 2001. "C’est un jour merveilleux", avait-il asséné, dérapant un peu plus sur sa diagonale du fou. Jeudi, à sa libération, Bobby Fischer a qualifié George Bush de "criminel" et fustigé le Japon, un pays "très très corrompu", avant de gagner la Scandinavie.

Par Erich Inciyan, lemonde.fr