Accueil > SCIENCES > Alexis Lemaire, prodige du calcul mental

Alexis Lemaire, prodige du calcul mental

vendredi 8 avril 2005, par nassim

En jean, tennis, derrière ses petites lunettes cerclées de métal et sa barbe, Alexis Lemaire, 24 ans, est concentré à l’extrême.

Dans quelques minutes,

Alexis Lemaire

cet étudiant rémois en informatique tentera de battre le record mondial de calcul mental, en trouvant la racine treizième d’un nombre de 200 chiffres (il s’agit du nombre qui, élevé à la puissance 13, donne ce résultat). Assis face à une petite table, il n’a devant lui qu’un ordinateur lui présentant une série de nombres de 200 chiffres. Il faut pas moins de dix lignes de vingt chiffres pour inscrire chacun d’entre eux sur écran. Alexis pourra faire autant de tentatives qu’il souhaite et choisir le nombre qui l’inspire le plus pour réaliser son record. Le calcul se fera de tête, sans note.

9 h 27 : top départ ! Alexis se frotte la barbiche. Gêné par la présence d’un photographe, le prodige lui demande de sortir de son champ de vision. Il n’y a désormais plus que deux huissiers, le mathématicien Jean-Paul Delaye, de l’université de Lille, et un représentant du magazine Sciences et Avenir, qui organise le challenge, dans cette petite salle parisienne. Soudain, plus un bruit. Seules les lèvres d’Alexis remuent, murmurant des calculs que lui seul est en mesure de décoder. Les pages défilent, et les cohortes de chiffres qui s’affichent à l’écran avec.

« Moins de bruit, s’il vous plaît ! » La tension monte. A 9 h 59, Alexis entame sa quatrième tentative, après avoir fait défiler 742 nombres qui ne lui convenaient guère sur l’écran. 10 h 8 : 8 minutes 30 après s’être penché sur le problème, les seize chiffres du résultat s’affichent sous ses doigts : 2 391 481 494 636 373. Personne n’avait réalisé qu’il était déjà si près du but. « Mais, vous ne regardez même pas ce que je fais ? », s’étonne l’intéressé, un brin vexé.

Le calcul a été réalisé en 510 secondes. « Moins que mon précédent record ! Ce n’est pas un hasard. Si, si, je vous assure... » C’est que l’homme est superstitieux. Il a ses chiffres favoris : le 13, le 67 ou le 37.

Aucune explosion de joie, en revanche. La tension n’est peut-être pas encore retombée. Mais au grand dam des photographes dont les flashes commencent à crépiter, il n’est pas simple d’arracher un sourire à cet être peu expansif, qui semble isolé dans son monde. Même lorsqu’il se retrouve avec une coupe de champagne entre les mains, pour fêter son succès. Tout juste parvient-on à lui arracher un « oui, je suis content ».

Pourtant, c’est le « calcul mental le plus difficile au monde », se plaît à répéter l’intéressé. « Il est cent fois plus difficile que le record que j’ai battu en décembre, car, cette fois, il y avait 400 000 milliards de chances de trouver le résultat par hasard, contre seulement 8 millions de possibilités en décembre ». Le 17 décembre dernier, le recordman du monde avait en effet déjà pulvérisé le record précédent en trouvant en 3 secondes 62 la racine treizième d’un nombre de 100 chiffres, détrônant ainsi l’Allemand Gert Mittring (13,55 secondes). Une guerre des règles du jeu avait même alors opposé les deux concurrents. « L’exploit d’aujourd’hui règle le problème », tranche, laconique, le tenant du titre.

Malheureusement, le Livre Guinness des records ne s’intéresse plus à cette performance depuis 2002, déplore l’intéressé. Mais celle-ci répond aux exigences d’un groupe international de calculateurs et sera validée en juin prochain par le Comité international des jeux mathématiques. Il faut se rendre à l’évidence : sa technique de calcul joue un rôle essentiel dans ce succès. Mais il la tient jalousement secrète, même si elle sera en partie dévoilée dans le numéro de mai de Sciences et Avenir. Et pour cause : une centaine de concurrents s’entraînent actuellement pour tenter de le détrôner. Tout juste l’as du calcul lâche-t-il qu’il a mémorisé 3 000 racines carrées, qu’il utilise en priorité sa mémoire visuelle et que les nombres sur lesquels il décide de se concentrer sont choisis en priorité parce qu’ils correspondent au modèle mathématique qu’il a élaboré.

« Dès l’âge de 8 ans, j’ai essayé d’imiter la calculatrice », avoue-t-il. Depuis, il ne s’est jamais arrêté. Ses facultés dépassent-elles celles du commun des mortels ? L’équipe de chercheurs du Groupe d’imagerie neurofonctionnelle de Caen s’est penchée sur la question, en étudiant le cas d’un de ses concurrents, l’Allemand Rüdiger Gamm. Ces travaux ont mis en évidence que, si un calculateur normal sollicite, lors d’un calcul mental simple, les aires pariétales et frontales de l’hémisphère gauche, siège de la mémoire de travail, un prodige du calcul mental comme Rüdiger Gamm a, recours, en plus, à sa mémoire épisodique, dite à long terme, pour stocker les résultats intermédiaires. « Il est difficile pour autant de généraliser à tous les prodiges des mathématiques, met en garde Laure Zago, chargée de recherches au CNRS et membre de cette équipe. Si Rüdiger Gamm recourt à sa mémoire visuelle, d’autres utilisent leur mémoire auditive ou d’autres techniques encore. »

Alexis Lemaire entend, à l’avenir, mettre à profit son savoir-faire au service de l’informatique, qu’il juge avoir « une utilité que les mathématiques n’ont pas toujours ». Il s’est lancé un autre défi : apprendre 40 langues en simultané.

Par Caroline de Malet, lefigaro.fr